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Il se rappelait avoir appris, alors qu’il se tenait avec ses soldats survivants au beau milieu des ruines fumantes, que les forces terrestres des Mondes syndiqués l’avaient emporté et contrôlaient à présent ce qui naguère encore avait été une cité. Une semaine plus tard, quand les renforts de l’Alliance avaient fait irruption dans ce système stellaire, Drakon et ses compagnons avaient été exfiltrés, en même temps que se repliaient les forces mobiles syndics rescapées, désormais cruellement surclassées en nombre.

Les rapports officiels avaient parlé d’une victoire syndic.

Le premier verre ne suffit pas à éteindre le souvenir de ces feux. Il gagna le bar pour s’en servir un second. Légère amélioration. Mais les anciennes batailles et les amis morts continuaient d’affluer dans sa mémoire et de saper la quiétude à laquelle il aspirait, alors que cette même insatisfaction indéfinissable quant aux événements de Taroa le perturbait encore, de sorte qu’il alla s’en verser un troisième. Il était rarement sujet à ces excès, ne buvait jamais autant, mais, ce soir-là, il lui semblait comprendre Gaiene mieux que d’ordinaire. Songer à ce nouveau cuirassé, qui ne serait peut-être achevé et opérationnel que dans un an, n’améliorait guère son moral. S’il n’arrivait pas à trouver un semblant d’apaisement cette nuit, un oubli temporaire devrait au moins faire l’affaire.

Il avait déjà largement entamé le troisième verre quand l’alerte de la porte d’entrée carillonna. Nul n’aurait dû parvenir jusqu’à elle sans avoir franchi au préalable bon nombre de postes de garde, si bien qu’il cria « Ouvert ! » et regarda se rétracter les loquets et le vantail pivoter.

Morgan entra comme une panthère qui vient tout juste de tuer sa proie. Quand la porte se referma, la clarté des flammes fit chatoyer sa combinaison noire moulante. Au lieu d’être absorbée par l’étoffe sombre, elle semblait souligner chacune des courbes visibles sous l’étroit vêtement. « Salut, patron ! » Elle regarda autour d’elle en affichant une expression mystifiée assez cocasse. « Je m’attendais à trouver un tas de femmes ravagées gisant sur le parquet. »

Drakon fit la grimace. « Ce n’est pas mon genre.

— Je sais que vous aimez les femmes, mon général.

— C’est vrai. Mais je ne les force pas. Je ne l’ai jamais fait et je ne le ferai jamais. C’est bon pour les mauviettes et les couards. » Il termina son troisième verre cul sec, en même temps qu’à l’arrière de son esprit de mâle, devant le spectacle de Morgan s’avançant de quelques pas avec une grâce assassine, le macaque émettait de petits bruits excités.

« Vous pourriez en payer une. Voire deux ou trois, suggéra-t-elle avec un sourire malicieux. Malin vous les trouverait. Ce type a l’âme d’un maquereau s’il en est.

— Je n’en ai pas besoin, affirma Drakon non sans une certaine véhémence.

— Bien sûr que non. Vous pourriez avoir toutes celles que vous voudriez. Elles se donneraient à vous. Consentantes. Parce que vous êtes un vainqueur, mon général. » Morgan s’était arrêtée à quelques pas de Drakon et le toisait en souriant. « Et, si vous écoutez celles qui tiennent à vous voir triompher, tout vous est permis. »

Le général s’efforça de faire taire le macaque imbibé d’alcool qui, la bave aux lèvres, trépignait avec une telle véhémence sous son crâne qu’il ne parvenait plus à entendre les mises en garde que s’évertuait à lui souffler son bon sens. « Bien sûr. Écoute, je suis fatigué et sur les nerfs. Pourquoi est-ce que tu ne…

— Je sais que vous êtes tendu. Depuis quand, mon général ? Je connais les hommes. Je sais comment ils sont. Ils ont des besoins à assouvir, et plus l’homme est grand, plus ces besoins sont impérieux. » Son sourire s’était élargi et avait pris un caractère qui plaisait beaucoup au macaque. « Il vous faut une femme forte. Aussi forte que vous.

— Morgan… »

Drakon s’interrompit brusquement. Ce qu’il s’apprêtait à dire lui était sorti de l’esprit quand elle avait levé la main pour entreprendre de dégrafer sa combinaison.

Elle l’ouvrit de l’épaule à la cuisse d’un seul geste lascif puis s’en débarrassa lentement. Les flammes faisaient désormais miroiter sa peau, et ses yeux, à leur clarté, brillaient d’un sourd éclat rouge. « Fêtons donc votre victoire. »

Il tenta bien de dire non, mais le rhum avait assez ragaillardi le macaque pour qu’il fît taire toute voix qui s’élèverait encore dans sa tête. Et le macaque la désirait plus que tout au monde. Morgan franchit d’un bond la distance qui les séparait encore et lui arracha ses vêtements. Puis Drakon ne vit plus rien, ne sut plus rien, n’aspira plus à rien qu’à la toucher.

Au matin à son réveil, elle était déjà partie, lui laissant fugacement l’espoir qu’il ne s’agissait que d’un rêve extraordinairement vivace, long et précis. Mais, à la vue des draps arrachés, des quelques bleus et égratignures qui n’étaient pas là la veille au soir, il se rendit compte qu’il n’aurait jamais pu imaginer ce qu’ils avaient fait ensemble. Pas tout, du moins.

Et s’il frappa le mur du poing, assez violemment pour fendre le mince lambris, la gueule de bois n’y était pour rien.

Une fois qu’il eut fait sa toilette et se fut habillé, Drakon se refusa à réintégrer la chambre à coucher de l’ex-CECH. Cela étant, le bureau attenant à la suite était équipé d’un assez impressionnant matériel de surveillance et se prêterait admirablement au travail qu’il lui faudrait abattre. Et il y avait au moins une tâche dont il devait indubitablement s’acquitter. « Colonel Morgan, je dois vous parler en privé. »

Elle entra quelques minutes plus tard en adoptant une contenance tout à fait normale. Normale pour Morgan, à tout le moins. Mais l’ombre d’un sourire qui s’attardait sur ses lèvres quand elle le regardait n’était probablement pas le fruit de son imagination. « Oui, mon général. »

Drakon resta aussi inflexible qu’il le put. « Je voulais m’assurer que vous étiez consciente d’une chose : ce qui s’est passé cette nuit ne se reproduira plus.

— Cette nuit ? » Morgan sourit cette fois ouvertement. « C’était à ce point désagréable ? »

Drakon espéra que sa propre réaction ne l’avait pas trahi. Jamais je n’avais passé une nuit comme celle-là, et j’en veux encore et encore, mais c’est exclu. « Vous savez ce que m’inspirent les coucheries avec une subalterne. Que vous n’ayez pas respecté ma volonté me déçoit beaucoup. »

Elle prit un air éberlué. « Vous aurais-je violé ?

— Non. » Soutenir qu’elle avait profité de son ivresse serait un argument aussi minable que stupide. « J’ai fait une erreur. Ça n’arrivera plus.

— C’est votre décision, mon général.

— Pourriez-vous me dire ce qu’exactement vous espériez obtenir ? »

Elle sourit à nouveau. « Il me semble que ça crève les yeux. J’ai obtenu ce que je voulais. Et plus d’une fois. »

Dans la tête de Drakon, les souvenirs de la nuit entravaient sa colère. « C’est tout ? Vous n’aspiriez à rien d’autre ?

— Oh si ! » Le sourire de Morgan s’altéra et sa voix redevint grave. « Tout ce que je fais, c’est dans votre intérêt, mon général.