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— Alors respectez mes souhaits. Je n’y reviendrai plus.

— J’aime bien qu’un homme ne se vante pas de ses conquêtes. » Elle fit mine de tiquer en surprenant son expression. « J’ai compris, mon général. L’affaire d’une nuit. C’est fini.

— Ce sera tout. »

Malin rappliqua quelques minutes après le départ de Morgan. Drakon se faisait-il des idées ou bien le colonel se montrait-il réellement plus froid qu’à l’ordinaire ? Il ne se faisait aucune illusion à cet égard : certains devaient déjà savoir que Morgan avait passé un bon moment dans sa suite. En dehors de Malin, peu de gens le lui reprocheraient sans doute et, pour on ne sait quelle raison, cela ne faisait que l’exaspérer davantage. « Quoi ? » demanda-t-il sèchement.

Malin se figea un instant en percevant le ton de son supérieur. « J’ai du nouveau sur les “blessés” que le colonel Gaiene a envoyés aux chantiers orbitaux, mon général.

— Oh ! » Le monde continuait de tourner, insensible à ses manquements et à son malaise. « A-t-on fini de les interroger et de les filtrer ?

— Oui, mon général. Interrogatoires exhaustifs. Rien ne montre que certains aient été entraînés à les déjouer. » Malin consulta son lecteur. « Nous avons la confirmation que, sur les quatre-vingt-sept qui se sont rendus à la brigade du colonel Gaiene, six ont participé activement à des exactions à l’encontre de citoyens. Dix-neuf autres y ont assisté passivement sans y participer eux-mêmes. Les autres appartiennent à des sous-unités dont les officiers ont désobéi aux ordres en refusant de commettre de telles atrocités. Ils n’en ont été ni témoins ni complices. »

Drakon se rejeta en arrière en s’efforçant de réfléchir à ces chiffres. « Certains de ces officiers innocents ont-ils survécu pour se rendre à nous ?

— Oui, mon général. Deux d’entre eux font partie des quatre-vingt-sept. Un cadre supérieur et un cadre subalterne.

— Offrez-leur un poste équivalent dans nos rangs. Repassez au crible les dix-neuf témoins passifs d’atrocités. Assurez-vous qu’ils ont refusé de perpétrer ces exactions de leur plein gré et pas seulement parce qu’on ne les y a pas incités. Je tiens à savoir exactement comment réagiront les hommes qui seront sous mes ordres plutôt que d’avoir à me le demander. Offrez un poste dans nos forces à ceux qui n’ont commis aucune de ces horreurs et n’y ont pas non plus assisté, mais dispersez-les dans toutes les brigades. S’ils acceptent, je tiens à ce qu’on modifie leurs états de service de manière à signaler qu’ils ont appartenu aux unités des Libres Taroans réputées ne pas s’en être rendues coupables. » Drakon ne se donna pas la peine de préciser que ces altérations devraient demeurer indétectables. Malin était suffisamment au fait de ces problèmes pour s’assurer que nul ne s’apercevrait du tripatouillage.

Le colonel opinait tout en prenant des notes. « Et pour les six coupables ? »

Les remettre aux Libres Taroans reviendrait à reconnaître qu’il avait envoyé des soldats loyalistes aux chantiers spatiaux, et courir également le risque que ces six hommes leur apprennent que d’autres se trouvaient encore entre ses mains.

En outre, il devait prendre ses responsabilités.

« Peloton d’exécution. Faites puis débarrassez-vous des corps. Ces hommes sont morts sur la planète. C’est vu ?

— Oui, mon général. » Malin tourna les talons, s’apprêtant à prendre congé.

« Colonel Malin. » Drakon attendit qu’il se fût arrêté. « Vous vouliez me dire autre chose ? » L’invite laisserait au colonel une chance de s’ouvrir à lui, et Drakon, pour une certaine raison, tenait à savoir ce qu’il avait en tête.

Malin prit son temps puis lui fit carrément face. « J’aimerais des éclaircissements sur le statut futur du colonel Morgan, mon général.

— Inchangé. »

Était-ce du soulagement qui venait de traverser les traits du colonel ?

Nouveau bref silence, puis Malin reprit la parole en choisissant soigneusement ses mots : « Mon général, je me rends compte que je n’ai aucunement le droit de vous poser cette question, mais…

— Ça n’arrivera plus », le coupa Drakon. Cette fois, il vit distinctement le soulagement gagner la physionomie de Malin. Et il avait besoin de se confesser. « J’étais ivre. Je ne raisonnais plus. Ça ne se reproduira pas. »

Malin baissa les yeux et hocha la tête. « Elle a des projets personnels, mon général. J’ignore ce qu’ils sont exactement, mais Morgan aspire à bien davantage qu’à… partager votre couche pour une nuit.

— Et vous, colonel Malin, à quoi aspirez-vous ? »

Le colonel marqua une pause. « Ce que je fais, mon général, c’est toujours dans votre intérêt. »

Drakon fixa longuement la porte après son départ, en se demandant pourquoi Malin et Morgan s’étaient servis exactement des mêmes mots pour exprimer leurs intentions à son égard.

Ce même après-midi, il prit une navette pour se rendre aux chantiers spatiaux, bien décidé à ne plus fouler le sol de Taroa. Il en avait par-dessus la tête des gens qu’il fallait convaincre de faire le nécessaire. Un seul homme fort devrait y parvenir.

Mais on n’en disposait pas non plus à Midway. Il devait obtenir l’approbation d’Iceni en pareil cas. Qu’adviendrait-il si elle élevait des objections ? Comment une direction à deux têtes pourrait-elle fonctionner correctement ? Et si elle apprenait pour Morgan ? Il n’aurait pas dû s’en inquiéter, ni de sa réaction, mais toutes ces questions le tracassaient pourtant, aigrissant encore son humeur.

La visite de la coque du cuirassé ne contribua pas à l’améliorer. Elle ne fit que souligner tout ce qui restait à faire, mettre en relief sa vacuité et son inachèvement comparé au statut de celui qu’Iceni avait rapporté de Kane.

Ramener tous les soldats de trois brigades et leur matériel aux chantiers spatiaux et aux cargos réaménagés prit un bon bout de temps. Le Congrès provisoire de Taroa Libre tergiversait et discutaillait, mais, grâce aux copieux pots-de-vin distribués par le colonel Malin et aux efforts des agents à sa solde, il finit par approuver les deux accords temporaires portant sur le commerce et la défense, qui devraient perdurer jusqu’à ce qu’un gouvernement établi les entérine ou les invalide.

« Major Lyr. » Drakon fit signe au second du colonel Gaiene de prendre place. « Que diriez-vous de devenir colonel ? »

Lyr scruta Drakon avec toute la méfiance d’un vétéran. « Où est le piège, mon général ?

— Un commandement autonome. »

Lyr mit un moment à percuter. « Ici, mon général ?

— Exact. » Drakon se pencha et posa ses coudes sur le bureau. « Vous êtes un bon soldat et je sais que vous vous êtes échiné pour maintenir votre brigade au top. » Il se garda bien de mettre l’accent sur l’importance qu’avaient prise ces efforts en regard des fréquentes « absences » du colonel Gaiene entre deux combats. Lyr savait Drakon au courant, et jamais le général ne rabaissait ses officiers devant leurs subordonnés. « Vous conserverez deux des compagnies de Gaiene plus une troisième composée des réguliers taroans considérés comme les plus fiables. Cette mission exige des hommes capables d’initiatives personnelles et susceptibles de travailler avec les Libres Taroans. Ce qui risque d’être assez épineux. Il vous faudra éviter de trop les regarder de haut car nous tenons à ce qu’ils voient en nous des partenaires, mais vous ne devrez en aucun cas leur laisser croire qu’ils peuvent nous dicter notre conduite. Je vous en sais capable. »

Lyr hocha la tête. « Oui, mon général.

— Un civil devra aussi rester ici. Un des représentants de la présidente Iceni, dont la mission sera de se charger de toutes les affaires commerciales et diplomatiques en dehors des aspects militaires et des questions de sécurité. Des cargos devraient transiter fréquemment entre Taroa et Midway, de sorte que vous ne rencontrerez aucune difficulté pour me tenir informé. Réglez les menus problèmes et tâchez de repérer les plus gros à temps pour me permettre de prendre des mesures.