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Je poursuivais ma route et l’herbe se raréfiait. Les arbres étaient plus grands maintenant ; ils atteignaient une vingtaine de mètres, et de gros rochers s’entassaient entre leurs troncs. C’était l’endroit rêvé pour une embuscade ; l’endroit rêvé aussi pour passer inaperçu.

Les ombres étaient profondes, et j’entendais au-dessus de moi les cris des parasinges, tandis que se massait à l’ouest une légion de nuages. Le soleil bas effleurait leurs rangs de ses flammes et projetait à travers les feuillages des javelots de lumière. Aux arbres géants s’accrochaient des plantes grimpantes dont les fleurs ressemblaient à des candélabres d’argent, et l’air environnant faisait penser à des temples et à l’odeur de l’encens. J’ai traversé à gué une rivière couleur de nacre, et des serpents aquatiques ont nagé à mes côtés en hululant comme des chouettes. Ils étaient très venimeux mais extrêmement amicaux.

Sur l’autre rive, le sol se mettait à monter ; en continuant de marcher, j’ai aperçu un changement subtil dans le monde qui m’entourait. Rien d’objectif, simplement la notion que l’ordre des choses avait été légèrement dérangé.

La fraicheur matinale, au lieu de se dissiper à mesure qu’avançait le jour, semblait au contraire augmenter. Il y avait quelque chose de glacé dans l’air, comme une humidité gluante. Mais le ciel était maintenant à demi couvert de nuages, et l’ionisation qui précède un orage donne parfois naissance à de tels symptômes.

En m’arrêtant au pied d’un arbre pour manger, j’ai effrayé un pandrilla qui fouillait le sol entre ses racines. En le voyant s’enfuir, j’ai aussitôt su qu’il y avait une anomalie.

J’ai rempli ma pensée du désir qu’il revienne et je l’ai dirigée vers lui.

Il s’est interrompu dans sa fuite et a fait demi-tour pour me regarder. Lentement il est revenu vers moi. Je lui ai tendu un cracker et j’ai tenté de lire dans ses yeux pendant qu’il le mangeait.

La peur, la reconnaissance de ce que j’étais, encore la peur… Et ce moment de panique hors de propos.

Ce n’était pas naturel.

J’ai relâché mon emprise mentale et il est resté près de moi, heureux de manger mes crackers. Mais je ne pouvais éluder sa réaction initiale. Je craignais ce qu’elle suggérait.

Je pénétrais en territoire ennemi.

Après avoir mangé, je me suis remis en marche. Mes pas m’ont conduit vers une vallée embrumée ; en la quittant, j’avais toujours la brume avec moi. Le ciel s’était couvert presque entièrement. De petits animaux se sauvaient à mon approche, et je n’essayais pas d’agir sur leur esprit. L’humidité de mon haleine maintenant se condensait. Je me suis tenu à l’écart de deux nœuds énergétiques, de crainte que leur usage ne trahisse ma position auprès d’un quelconque récepteur.

Un nœud énergétique est partie constituante de tout ce qui possède un champ électromagnétique. Chaque planète présente dans sa matrice gravitationnelle de nombreux points de jonction, sur lesquels peuvent se brancher certaines machines ou certains individus dotés de facultés spéciales, afin d’opérer comme relais de transmission, batteries ou condensateurs. C’est ce qu’on appelle des nœuds énergétiques. Pour ma part, je ne voulais pas utiliser l’un d’eux avant d’être assuré de la nature de l’ennemi, car tous les porteurs de Noms détiennent normalement cette capacité.

J’ai donc laissé le brouillard humecter mes vêtements et ternir le lustre de mes bottes, alors que j’aurais pu tout assécher. J’avançais avec ma badine à la main gauche, la droite prête à dégainer et à faire feu.

Mais rien ne m’attaqua et, au bout d’un temps, je ne vis plus aucun être vivant.

J’ai marché jusqu’au soir, et à la fin de la journée j’avais parcouru peut-être une trentaine de kilomètres. L’humidité était pénétrante mais il n’y avait pas de pluie. J’ai repéré une petite caverne dans les collines que j’avais commencé à gravir et j’y suis entré. J’ai étalé par terre mon plastique – une feuille de trois mètres sur trois, de trois molécules d’épaisseur – pour me protéger de la poussière et de l’humidité, et, après avoir dîné, je me suis endormi, mon arme à portée de la main.

Le lendemain matin, le brouillard s’était épaissi. Soupçonnant une intention derrière ce phénomène, j’ai commencé ma route avec précaution. Tout cela était un peu trop mélodramatique. S’il pensait me faire peur avec les ombres, la brume, le froid et la désaffection de certaines de mes créatures, il se trompait. Irrité par l’inconfort qui en résultait, je n’en étais que plus déterminé à remonter à sa source et à en finir le plus vite possible.

Ce second jour, j’ai achevé l’ascension des collines et, une fois le sommet atteint, j’ai entamé la redescente. Vers le soir, je me suis trouvé pourvu d’un compagnon de route.

À ma gauche était apparue une lumière qui se déplaçait parallèlement à moi. Elle était en suspension au-dessus du sol, à une hauteur qui pouvait aller de un à trois mètres, et sa couleur variait du jaune pâle au blanc en passant par l’orangé. Elle pouvait être à cinq mètres de moi aussi bien qu’à trente. Parfois elle disparaissait mais finissait toujours par revenir. Un feu follet expédié vers moi pour m’attirer dans une crevasse ou un marécage ? Peut-être. En tout cas cette compagnie m’amusait ; j’en admirais la persistance et elle excitait ma curiosité.

— Bonsoir, ai-je dit. Je suis venu tuer celui qui t’envoie, tu sais.

« Mais si tu n’es qu’un simple gaz des marais, ai-je ajouté, fais comme si je n’avais rien dit.

« En tout cas, ai-je poursuivi, je ne tiens pas à me fourvoyer en te suivant. Tu peux t’en aller.

Je me suis mis à siffler It’s a long way to Tipperary. La lumière continuait de m’accompagner. Je me suis arrêté sous un arbre pour allumer une cigarette, et je suis resté sur place pour la fumer. La lumière demeurait immobile à une quinzaine de mètres de moi, comme en attente. J’ai cherché à l’atteindre mentalement mais n’ai senti que le néant. J’ai sorti mon pistolet puis, me ravisant, l’ai remis dans son étui. Ma cigarette était terminée ; j’ai écrasé le mégot et repris mon chemin.

La lumière s’était ébranlée en même temps que moi.

Une heure plus tard, je faisais halte dans une clairière. Le dos contre un rocher, enveloppé dans ma feuille de plastique, j’ai allumé un petit feu pour me chauffer du potage. Par une telle nuit, les flammes ne s’apercevraient pas de loin.

Le feu follet flottait à quelque distance. Je lui ai demandé :