Выбрать главу

Un jour, je m’étais effondré dans un désert, en essayant d’atteindre un avant-poste civilisé après avoir abandonné mon vaisseau endommagé. J’avais marché quatre jours, en passant les deux derniers sans boire ; ma gorge était comme du papier de verre et mes pieds étaient à un million de kilomètres de moi. Je finis par m’évanouir. J’ignore pendant combien de temps. Peut-être une journée entière. Puis je vis s’approcher et s’accroupir près de moi ce que je pris pour un produit de mon délire. Un être de couleur pourpre, avec une collerette autour du cou et trois protubérances cornées sur une tête de lézard. Son corps écailleux mesurait environ un mètre vingt. Il avait une petite queue et des griffes à chaque doigt. Ses yeux étaient des ellipses sombres avec des paupières nictitantes. Il tenait un long tube analogue à une tige de roseau et un petit sac. Je n’ai jamais su à quoi servait ce dernier. Il me regarda un moment avant de s’éloigner. Je roulai sur le côté pour l’observer. Il enfonçait le tube dans le sol, appliquait sa bouche à l’autre extrémité, puis le retirait pour aller le replanter ailleurs, et ainsi de suite. À la onzième reprise, ses joues se mirent à s’enfler comme des ballons. Il courut jusqu’à moi, laissant le tube en place, et me toucha la bouche avec son membre antérieur. Devinant ce qu’il voulait me faire comprendre, j’ouvris la bouche. Il se pencha vers moi et lentement, avec précaution, pour ne pas perdre une goutte, il laissa couler de sa bouche dans la mienne l’eau sale et chaude. Six fois de suite il retourna au tube et rapporta de l’eau qu’il me faisait boire de cette façon. Puis je m’évanouis à nouveau. Quand je m’éveillai, c’était le soir, et l’être me redonna de l’eau. Au matin je fus capable de marcher jusqu’au tube et de m’agenouiller à sa hauteur pour y puiser moi-même le liquide. L’extra-terrestre sortait paresseusement du sommeil dans le froid de l’aube. Quand il fut éveillé, je tirai de mes poches mon chronomètre, mon couteau de chasse et des pièces de monnaie et plaçai le tout devant lui. Il examina mes offrandes. Je les poussai dans sa direction, tout en désignant le sac dont il était porteur. Il les repoussa vers moi en faisant claquer sa langue. Alors je touchai son membre antérieur en lui disant merci dans tous les dialectes que je connaissais, et je ramassai mes affaires avant de reprendre ma route.

Une fille, un oiseau, un monde, une gorgée d’eau, et Dango la Fine Lame foudroyé de la tête aux pieds. L’après-midi suivant j’étais à la base.

Les cycles du souvenir placent la peine au même rang que la pensée, la vue, le sentiment et le perpétuel qui-quoi-pourquoi ? Le sommeil, conducteur de la mémoire, sauvegarde ma raison. Je n’en sais pas plus. Mais je ne pensais pas faire preuve de dureté ou d’indifférence en me levant le lendemain plus préoccupé de regarder devant moi que derrière.

Ce qui s’étendait devant moi, c’était une centaine de kilomètres de terrain qui devenait progressivement difficile. Le sol était plus aride et plus rocheux. Les feuilles avaient des bords dentelés et acérés.

Les arbres étaient différents, les animaux aussi. C’étaient des parodies, des créations dont j’avais été si fier. Ici mes fauvettes de minuit émettaient des croassements discordants, tous les insectes piquaient et les fleurs avaient une odeur nauséabonde. Il n’y avait pas de grands arbres élancés. Ils étaient tous tordus ou rabougris. Mes léogahs au corps de gazelle ressemblaient à des infirmes. Les petits animaux montraient les crocs et se sauvaient à mon approche. Les plus grands manifestaient de l’hostilité, et je devais les regarder fixement pour qu’ils s’écartent.

L’altitude croissante me faisait bourdonner les oreilles et j’étais toujours environné de brouillard, mais je continuais de progresser régulièrement, et à la fin de la journée je devais avoir couvert une quarantaine de kilomètres de plus.

Plus que deux jours pour arriver, pensais-je. Peut-être moins. Et un autre pour accomplir le travail.

Cette nuit-là une explosion épouvantable m’a tiré du sommeil. Je me suis levé, prêtant l’oreille aux échos de la déflagration – qui n’étaient peut-être que la vibration de mes tympans. J’ai attendu sous un arbre, l’arme à la main.

Au nord-ouest, malgré le brouillard, je distinguais une lumière : une tache orange qui grossissait.

La seconde explosion a été moins forte que la première. De même que la troisième et la quatrième. Mais à cet instant j’avais d’autres sujets de pensée.

Car sous moi la terre se mettait à trembler.

Je suis resté à la même place. L’intensité des secousses augmentait.

À en juger par la lumière qui se répandait maintenant dans le ciel, le quart de la planète était en feu.

Je ne pouvais rien faire pour le moment. J’ai rengainé mon pistolet et me suis assis sous l’arbre en allumant une cigarette. Tout cela était vraiment un peu gros. Vert Vert se donnait un mal fou pour m’affoler, mais il aurait dû savoir que je ne me laissais pas intimider pour si peu. Est-ce qu’il cherchait à me dire : « Regarde, Sandow, je mets ton monde en pièces. Qu’est-ce que tu vas faire ? » Est-ce qu’il faisait une démonstration de la puissance de Belion dans le but de mieux m’effrayer ?

Un moment j’ai caressé l’idée de chercher un nœud énergétique et de déclencher sur toute la surface du globe le plus terrifiant des orages, afin de lui faire voir à quel point j’étais impressionné. Mais j’y ai renoncé. Je ne tenais pas à le combattre à distance. Je voulais le rencontrer face à face et lui dire ce que je pensais de lui. Je voulais l’affronter en me montrant à lui et en lui demandant pourquoi il se comportait à ce point comme un imbécile – pourquoi le fait que je sois un homo sapiens avait suscité en lui tant de haine et un tel désir de vengeance.