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— Ces nouveaux rappelés n’auront aucun souvenir de ces événements.

— Là n’est pas la question. Ils existent en ce moment. Ils sont aussi réels que toi et moi. Ça ne change rien que je puisse en tirer des duplicata. Ils sont sur l’Ile des Morts, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Alors, si je dois la détruire pour venir à bout de Shandon, je liquiderai tout le monde ?

— C’est inévitable. Mais…

— Je refuse.

— Tu en as le droit.

— As-tu d’autres suggestions ?

— Non.

— Bien. Maintenant que tu as fait tout ce que tu pouvais pour changer de sujet, raconte-moi ce qui s’est passé là-bas entre toi et Shandon.

— Il porte un Nom.

— Quoi ?

— L’ombre de Belion est derrière lui.

— C’est impossible. Ça ne se produit pas comme ça. Ce n’est pas un faiseur de mondes…

— Patiente un moment, Frank, car je sais que la chose exige une explication. Il y a apparemment certains points dont Dra Marling n’a pas jugé bon de t’informer. Mais c’est compréhensible, puisque c’était un révisionniste.

» Tu sais, a-t-il continué, il n’est pas indispensable d’être un porteur de Nom pour être capable de façonner et d’édifier des mondes…

— Bien sûr que si. C’est l’artifice psychologique nécessaire pour libérer les pouvoirs subconscients qui permettent d’accomplir certaines phases du travail. Il faut se sentir un dieu pour agir comme tel.

— Alors pourquoi puis-je y parvenir ?

— Je n’en ai jamais entendu parler avant que tu mettes ta vengeance à exécution. Je ne t’ai jamais vu à l’œuvre, sinon ici. Et si ce que tu as greffé sur ma création est représentatif, je dirai que tu es un bien médiocre artisan.

— Il n’en est pas moins vrai que je peux manipuler les forces voulues.

— Tout le monde peut apprendre à le faire. Mais il était question du processus créateur. Je n’en vois pas de signe chez toi.

— Je parlais du panthéon de la religion strantriste. Il existait avant qu’il y ait des faiseurs de mondes, tu le sais.

— Je le sais. Et alors ?

— Les révisionnistes, comme Dra Marling et ses prédécesseurs, se servaient de la religion dans leur métier. Ils ne la prenaient pas pour ce qu’elle apportait, mais simplement en tant qu’artifice psychologique, comme tu le disais. Ta confirmation au rôle de Semeur de Tonnerre n’était qu’un moyen de coordonner ton subconscient. Aux yeux d’un fondamentaliste, c’est-là un blasphème.

— Tu es un fondamentaliste ?

— Oui.

— Alors pourquoi as-tu fait l’apprentissage d’un métier que tu considères comme un péché ?

— Afin d’être confirmé par un Nom.

— Je ne te suis plus.

— C’était le Nom que je voulais, pas le commerce qui s’y rattache. Mes raisons étaient religieuses et non économiques.

— Mais s’il ne s’agit que d’un artifice psychologique…

— Justement ! Ce n’est pas le cas. Il s’agit d’une authentique cérémonie, dont les résultats – le contact personnel avec le dieu – sont authentiques. C’est le rite d’ordination des grands prêtres du strantrisme.

— Pourquoi n’es-tu pas entré dans les ordres au lieu de choisir le façonnage des mondes ?

— Parce que seul un Nom peut célébrer le rite, et que les vingt-sept Noms vivants sont tous des révisionnistes. Ils ont dépouillé le rite de sa signification ancienne.

— Vingt-six, ai-je rectifié.

— Vingt-six ?

— Dra Marling est sous la montagne, et Lorimel aux Nombreuses Mains réside dans le néant bienheureux.

Il a baissé la tête et s’est recueilli un instant.

— Un de moins, a-t-il fini par dire. Je me rappelle le temps où ils étaient quarante-trois.

— Ceci est triste.

— Oui.

— Pourquoi désirais-tu un Nom ?

— Afin de devenir prêtre et non faiseur de mondes.

Mais les révisionnistes ne voulaient pas de quelqu’un comme moi parmi eux. Ils m’ont laissé finir mon apprentissage, puis m’ont exclu. Et, pour m’insulter encore davantage, ils ont ensuite confirmé un homme d’une autre race.

— Je vois. C’est pourquoi tu m’as choisi comme objet de ta vengeance ?

— Oui.

— Mais tu sais que je n’y étais pour rien. C’est la première fois que j’entends cette histoire. J’avais toujours cru que les différences de dénomination ne comptaient guère à l’intérieur du strantrisme.

— Maintenant tu es mieux renseigné. Tu dois aussi comprendre que je ne te porte aucun ressentiment personnel. À travers toi, ce sont les blasphémateurs que vise ma vengeance.

— Pourquoi pratiques-tu le façonnage de mondes, si tu considères que c’est une activité immorale ?

— Elle n’est pas immorale. C’est contre l’usage de la religion à une telle fin que je m’élève. Je ne porte pas un Nom au sens orthodoxe du terme, et le travail que je fais me rapporte. Pourquoi refuserais-je de le faire ?

— Si quelqu’un est prêt à te payer pour ça, je ne vois pas en effet pourquoi. Mais quel rapport entre toi et Belion, et entre Belion et Mike Shandon ?

— Le châtiment du péché, je suppose. J’ai entrepris moi-même le rite de la confirmation, une nuit au temps de Prilbei. Tu connais la cérémonie : quand le sacrifice est accompli et que les prières sont prononcées, on se déplace le long du mur du temple en rendant hommage à chaque dieu, jusqu’au moment où une tablette s’éclaire devant vous et où l’on sent la puissance qui vous pénètre, et c’est le Nom de ce dieu qu’on portera.

— Oui.

— La chose m’est arrivée devant l’image de Belion.

— Alors tu t’es confirmé toi-même.

— C’est lui qui m’a confirmé. Il m’a donné son Nom. Ce n’est pas lui que je voulais être, car il est un destructeur et non un créateur. J’avais espéré que Kirwar aux Quatre Visages, le Père des Fleurs, viendrait à moi.

— Chacun doit obéir à sa disposition.

— C’est vrai, mais la mienne n’a pas été acquise comme il le fallait. Belion me fait agir même quand je ne l’invoque pas. J’ignore même si ce n’est pas lui qui m’a insufflé l’idée de me venger de toi, car tu portes le Nom de son ancien ennemi. Je sens mes pensées changer en ce moment rien qu’à t’en parler. Oui, ce n’est pas impossible. Depuis qu’il m’a quitté, les choses ont été si différentes…

— Comment t’a-t-il quitté ? Une fois qu’on possède la disposition, on la garde pour la vie.

— Mais la nature de ma confirmation ne le liait pas à moi. Il est parti maintenant.

— Shandon…

— Oui. C’est l’un des rares de ta race qui puisse communiquer sans mots, comme toi.

— Je ne l’ai pas toujours pu. Cette faculté m’est venue peu à peu, pendant que j’étudiais avec Marling.

— Quand je l’ai rappelé à la vie, j’ai d’abord lu dans son esprit l’angoisse de périr de ta main. Puis, très rapidement, il a rejeté ce souvenir et sa pensée s’est réorientée. Ses processus mentaux m’intéressaient, et je lui ai réservé un traitement de faveur par rapport aux autres qui restaient mes prisonniers. Je lui parlais souvent et je lui enseignais des choses. Il m’a aidé à préparer les lieux pour ta visite.

— Depuis combien de temps est-il ici ?

— Depuis environ un splanth. (Un splanth correspond à huit mois et demi de la Terre.) Je les ai tous rappelés en même temps.