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Arrête, Frank ! Il va savoir que tu es ici ! C’était la pensée de Vert Vert, adressée à cette partie de moi qu’il souhaitait atteindre.

Il le sait déjà, n’est-ce pas ? aurais-je pu répondre. Cache-toi jusqu’à ce que ce soit fini et attends-moi !

Et, au milieu de l’eau qui déferlait et du vent qui tournoyait, j’ai senti une fois de plus le sol trembler sous mes pieds. Face à moi l’étincelle du volcan grossissait et brillait comme un soleil enseveli. Autour d’elle se déhanchaient les éclairs qui couronnaient le sommet de l’île ; ils inscrivaient des noms sur le chaos, et l’un de ces noms était le mien.

Une nouvelle secousse sismique m’a fait perdre l’équilibre ; je me suis redressé et j’ai levé les deux bras.

… Et je me suis retrouvé en un lieu qui n’était ni solide, ni liquide, ni gazeux. Il n’y régnait ni lumière ni ténèbres. Il n’y faisait ni chaud ni froid. Peut-être cette contrée gisait-elle à l’intérieur de mon esprit, peut-être ailleurs.

Nous nous regardions, lui et moi. Je tenais un éclair dans mes mains vertes.

Il ressemblait à un large pilier gris et son corps était recouvert d’écailles. Il avait une mâchoire de crocodile et la férocité habitait son regard. Ses six bras adoptaient des postures variées pendant que nous conversions. Le reste de sa personne était immobile.

Vieil ennemi, vieux camarade… me déclarait-il.

Oui, Belion. Je suis ici.

… Ton cycle a pris fin. Épargne-toi l’ignominie d’être détruit de mes mains. Retire-toi maintenant, Shimbo ; préserve ce monde que tu as créé.

Je ne pense pas que ce monde soit condamné, Belion.

Un silence.

Puis : Alors il doit y avoir une confrontation.

… À moins que tu ne choisisses toi-même de te retirer.

Je ne le ferai pas.

Alors il y aura une confrontation.

Il a exhalé un soupir de flamme.

Qu’il en soit ainsi.

Et il a disparu.

… J’étais toujours debout au sommet de l’éminence. J’ai abaissé lentement les deux bras, car la puissance m’avait quitté.

C’était une étrange expérience, telle que je n’en avais jamais connu. Un rêve éveillé, si l’on veut. Mais plus qu’un simple fantasme né de la tension d’esprit et de la peur.

La pluie tombait toujours, mais avec moins d’intensité. Le vent aussi avait décru. Les éclairs et les tremblements de terre avaient cessé. Et le volcan, dont l’activité avait diminué, n’était plus surmonté que d’une étroite calotte orange.

Les yeux fixés sur ce qui m’environnait, je sentais à nouveau le froid, l’humidité, la fermeté du sol sous mes pieds. Notre combat à longue distance avait été interrompu et nos pouvoirs annulés. Je n’en étais pas fâché toutefois. L’eau du lac semblait plus fraîche et l’île aux contours gris moins menaçante.

Le soleil a soudain percé les nuages et un arc-en-ciel s’est déroulé au milieu des gouttelettes brillantes, en encadrant dans l’air clarifié le lac, l’île et le volcan, comme un paysage en réduction à l’intérieur d’un presse-papier de verre.

J’ai quitté les lieux où je me trouvais pour regagner la rive. La construction du radeau m’attendait.

7

Comme je pleurais ma lâcheté disparue, qui dans le passé m’avait si souvent sauvé la vie, elle s’est en réponse emparée à nouveau de moi, me laissant mort de peur.

J’avais vécu trop longtemps, et chaque jour qui passait diminuait mes chances de survie. De ce point de vue, l’attitude de ma compagnie d’assurances en ce qui concerne le montant de mes primes est significative. Ils me placent au même rang que les cas xénopathiques extrêmes, ce qui est réconfortant – et probablement justifié. C’était la première fois depuis longtemps que j’étais engagé dans une aventure dangereuse. Je me rendais compte que je manquais un peu d’entraînement. Même s’il remarquait que mes mains tremblaient. Vert Vert ne faisait aucun commentaire. Son sort était entre ces mains-là, et cela suffisait à le retenir. Il pouvait maintenant me tuer dès qu’il le voulait. Il le savait. Je le savais aussi. Et il savait que je le savais.

Mais il avait besoin de moi pour quitter Illyria – ce qui signifiait logiquement que son astronef était resté sur l’île. Ce qui signifiait en outre que Shandon avait cet astronef à sa disposition et pouvait nous attaquer par la voie des airs, en dépit de l’accord de nos doubles hallucinatoires concernant une confrontation. Autrement dit, il valait mieux travailler sous le couvert des arbres que sur la plage, et effectuer notre expédition de nuit. Approuvé par Vert Vert, j’ai donc décidé de transporter notre matériel à l’intérieur des terres.

Dans l’après-midi, tandis que nous assemblions le radeau, il y a eu des éclaircies et le jour est devenu un peu plus lumineux. La pluie continuait néanmoins. Dans le ciel passaient deux lunes blanches : Kattontalus et Flopsus, auxquelles il ne manquait que d’être évidées de trois trous en guise d’yeux et de bouche pour ressembler à des citrouilles de Halloween.

Tandis que la journée s’avançait, un insecte d’argent trois fois plus gros que le Model T et aussi laid qu’une larve a quitté l’île et a fait six fois le tour du lac. Nous sommes restés cachés sous les feuillages, en nous terrant là où ils étaient le plus denses, et n’en sommes sortis que lorsque l’appareil a regagné l’île. Pendant tout ce temps-là, j’avais agrippé ma vieille patte de lapin dans ma poche. Elle ne m’avait pas trahi.

Nous avons achevé le radeau deux heures avant le coucher du soleil et avons fini la journée assis le dos contre des troncs d’arbres.

— Je donnerais cher pour connaître tes pensées, ai-je dit à Vert Vert.

— Il est étrange d’offrir de l’argent en échange d’une pensée. Était-ce une coutume en usage chez ton peuple autrefois ?

— Pourquoi pas ? Tout a un prix.

— C’est un concept très intéressant, et quelqu’un comme toi pourrait fort bien y croire. Achèterais-tu un pai’badra ?

— Ce serait une tromperie. Un pai’badra est le motif d’une action.

— Mais payerais-tu quelqu’un pour abandonner sa vengeance contre toi ?

— Non.

— Pourquoi pas ?

— Tu prendrais l’argent et chercherais quand même à te venger, en espérant me bercer d’un faux sentiment de sécurité.

— Je ne parlais pas de moi. Tu sais que je suis riche et qu’aucune raison ne peut pousser un Pei’en à abandonner sa vengeance. Non, je pensais à Mike Shandon. Il est de ta race et lui aussi peut croire que tout a un prix. Si ma mémoire est bonne, il a encouru ta défaveur parce qu’il avait besoin d’argent et, en vue de l’obtenir, t’a causé des offenses. Maintenant il te hait parce que tu l’as envoyé en prison, avant de le tuer. Mais puisqu’il est de ta race et que celle-ci place plus haut que tout les valeurs monétaires, peut-être pourrais-tu le payer suffisamment cher en échange de son pai’badra pour qu’il s’en aille satisfait.

Acheter notre salut ? La pensée ne m’avait pas frappé. J’étais venu sur Illyria prêt à affronter un ennemi pei’en. Maintenant je tenais ce dernier sous ma coupe et il ne représentait plus un danger. Un Terrien l’avait remplacé, et c’était lui la plus grande menace pour le moment, si mon évaluation était correcte. Nous sommes une race vénale, pas nécessairement plus que toutes les autres, mais plus certainement que beaucoup d’entre elles. C’était à cause de ses goûts de luxe que Shandon avait été amené à descendre la pente. Les événements survenaient rapidement depuis mon arrivée sur Illyria, et chose bizarre – pour moi et mon Arbre – il ne m’était pas apparu que l’argent pourrait me tirer d’affaire.