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— Pour l’instant, nous ne savons qu’une chose : c’est du métal. Sans doute un acier spécial, contenant un mélange de tungstène et de nickel, dit Ballmin qui, sans se soucier de la confusion, avait profité de l’occasion et procédé à une analyse spectroscopique des flammes qui avaient embrasé les ruines.

— Pouvez-vous en apprécier l’âge ? demanda Rohan, tout en essuyant le sable poudreux qui s’était déposé sur ses mains et son visage.

Ils avaient laissé derrière eux la partie de la ruine qui avait été épargnée et qui surplombait le chemin qu’ils venaient de parcourir, telle une aile brisée.

— Non. Je peux seulement vous affirmer que c’est diantrement vieux. Diantrement vieux, répéta-t-il.

— Nous devrons étudier ça de plus près … Et je ne demanderai pas de permission au vieux, ajouta Rohan avec une détermination soudaine.

Ils s’arrêtèrent devant une structure compliquée, faite de plusieurs bras qui se rejoignaient au centre. Un passage, signalé par deux spots lumineux, s’ouvrit dans le champ de force. De près, l’impression de chaos prédominait. Le fronton du « bâtiment » était formé de dalles triangulaires, recouvertes de « brosses » en fil de fer ; vers l’intérieur, ces plaques maintenaient un système de tiges épaisses comme des branches. Superficiellement, cela semblait plus ou moins ordonné ; mais plus profondément, là où ils s’efforçaient de pénétrer en s’éclairant à l’aide de puissants projecteurs, la forêt des tiges formait des sortes d’arbres, elles partaient en tous sens depuis de gros nœuds, se rejoignaient de nouveau, et tout cela était semblable à un gigantesque taillis, fourmilière de millions de câbles contorsionnés. Ils y cherchèrent des traces de courant électrique, de polarisation, des restes de magnétisme ou de radioactivité — sans le moindre résultat.

Les spots verts qui indiquaient l’entrée dans les profondeurs du champ clignotaient nerveusement. Le vent sifflait, les masses d’air engouffrées dans le taillis métallique émettaient des chants stupéfiants.

— Qu’est-ce que cette peste de jungle peut bien signifier ?

Rohan se frottait constamment le visage où le sable collait à la peau couverte de sueur. Tous deux, Ballmin et lui-même, se tenaient à califourchon sur le dos de l’éclaireur volant, protégés par une sorte de léger garde-fou, suspendus à une quinzaine de mètres au-dessus de la « rue » ou plutôt d’une place triangulaire, recouverte de sable, entre deux ruines qui se rejoignaient. Très loin, en bas, se trouvaient leurs machines et leurs hommes qui semblaient des jouets et qui les regardaient, la tête levée.

L’éclaireur planait. Ils se trouvaient à présent au-dessus d’une surface pleine de pointes acérées de métal noirâtre, surface inégale, couturée, par endroits recouverte de ces dalles triangulaires qui ne reposaient pas toutes sur le même plan : inclinées vers le haut ou vers le bas, elles permettaient de deviner les entrailles pleines de ténèbres. L’épaisseur des obstacles entremêlés, des tiges, des convexités à aspect plâtreux était telle que la lumière du soleil ne parvenait pas à la transpercer et que même les faisceaux de lumière des projecteurs ne pouvaient y pénétrer.

— Qu’en pensez-vous, Ballmin ? Qu’est-ce que cela peut bien signifier ? répéta Rohan.

Il était furieux. Son front, sans cesse essuyé, était rouge, la peau lui faisait mal, ses yeux étaient enflammés, d’ici quelques minutes il lui faudrait présenter un nouveau rapport à L’Invincible, alors qu’il était bien incapable de trouver les mots propres à définir ce devant quoi il se trouvait.

— Je ne suis pas un voyant, répondit le savant. Je ne suis même pas un archéologue. Je pense du reste qu’un archéologue ne pourrait rien vous dire non plus. Il me semble …

Il s’interrompit.

— Parlez donc !

— Ça ne ressemble pas à des maisons, à des ruines de logements de créatures — peu importe lesquelles — vous me comprenez ? Si on peut tenter une comparaison, ce serait plutôt avec une machine.

— Quoi, une machine ? Mais de quelle sorte ? Une mémoire recueillant des informations ? Peut-être que c’était là une sorte de cerveau électronique ? …

— Sans doute n’y croyez-vous pas vous-même … répondit flegmatiquement le planétologue.

Le robot se dirigea vers le côté, effleurant presque les tiges qui saillaient en désordre parmi les dalles disloquées.

— Non. Ceci n’a jamais été un ensemble de circuits électriques. Où trouvez-vous les cloisons, les isolateurs, les blindages ?

— Peut-être que tout cela était inflammable. Le feu aurait pu tout détruire. C’est une ruine, à présent, rétorqua Rohan, sans conviction particulière.

— Peut-être, acquiesça machinalement Ballmin.

— Alors, que dois-je dire à l’astronavigateur ?

— Le mieux serait de lui transmettre directement tout ce fourbi par télévision.

— Ce n’était donc pas une ville … dit soudain Rohan, comme s’il résumait en pensée tout ce qu’il avait vu.

— Non, sans doute, confirma le planétologue. En tout cas, pas de l’espèce que nous pouvons imaginer. N’ont habité ici ni des créatures à forme humaine, ni même un peu semblables à l’homme. Or, les formes océaniques sont tout à fait proches de celles qu’on trouve sur Terre. Il aurait donc été logique qu’il existât quelque chose d’analogue sur la terre ferme.

— Oui, j’y pense sans cesse. Aucun des biologistes ne veut en parler. Qu’en pensez-vous ? Ils ne veulent pas en parler, car cela touche à quelque chose de peu vraisemblable : tout semble indiquer que quelque chose n’a pas permis que la vie s’implantât sur la terre ferme … comme si ce quelque chose lui avait interdit d’émerger …

— Une telle cause aurait pu exister, une fois, une seule fois ; par exemple sous la forme de l’explosion très proche d’une supernova. Vous savez certainement que Zêta de la Lyre était une nova il y a quelques millions d’années de cela. Il se peut qu’un rayonnement ait détruit la vie sur les continents, tandis que des organismes subsistaient dans les profondeurs des océans …

— Si le rayonnement avait été tel que vous le dites, aujourd’hui encore on pourrait en découvrir les traces. Or, l’activité du sol est exceptionnellement faible, pour cette région de la galaxie du moins. En outre, pendant ces millions d’années, l’évolution aurait à nouveau progressé ; évidemment, il n’y aurait pas eu le moindre vertébré, mais des formes littorales primitives. Avez-vous remarqué que la côte est complètement morte ?

— Je l’ai noté. Est-ce vraiment si important que ça ?

— D’une importance décisive. La vie apparaît en règle générale tout d’abord dans les bas-fonds, près du littoral, puis descend dans les profondeurs de l’océan. Il n’a pas pu en être autrement ici. Quelque chose l’a refoulée. Et j’estime que jusqu’à aujourd’hui encore, ce quelque chose ne permet pas à la vie d’émerger sur la terre ferme.

— Pourquoi ?

— Parce que les poissons ont peur des sondes. Sur les planètes que je connais, aucun animal n’avait peur des appareils. Ils n’ont jamais peur de ce qu’ils n’ont jamais vu.

— Vous voulez dire par là qu’ils ont déjà vu des sondes ?