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Jarg réussit à l’arrêter dans le sas de décompression, l’aida à ajuster son appareil à oxygène, lui en glissa même l’embout entre les lèvres.

— On ne sait rien, navigateur ?

— Non, Jarg. Rien, absolument rien !

Il ne savait pas avec qui il descendait en ascenseur. Les moteurs des machines grinçaient en tournant. Le vent était devenu plus violent, et des vagues de sable déferlaient, hachant la surface de la coque, granuleuse et inégale. Rohan avait totalement oublié ce phénomène. Aussi, s’approcha-t-il de la poupe et, se hissant sur la pointe des pieds, il tâta du bout des doigts le métal épais. Le blindage était comme une roche, exactement comme une très vieille surface de roche pourrie, envahie par les durs grumeaux des aspérités. Il distingua entre les transporteurs la haute silhouette de l’ingénieur Ganong, mais il n’essaya même pas de lui demander ce qu’il pensait de ce phénomène. L’ingénieur en savait autant que lui. Autrement dit rien. Rien,

Il fit le chemin de retour en compagnie d’une douzaine d’hommes, assis dans un coin de la cabine du plus gros transporteur. Il entendait leurs voix comme si elles provenaient de très loin. Terner, le bosco, parlait d’empoisonnement, mais les autres couvrirent sa voix de leurs protestations.

— Empoisonnement ? Avec quoi ? Tous les filtres sont en parfait état ! Les réservoirs pleins d’oxygène. Les réserves d’eau intactes … les vivres, en abondance …

— Vous avez vu à quoi ressemblait celui que nous avons trouvé dans la petite chambre de navigation ? demanda Blank. Je le connaissais … Je ne l’aurais pas reconnu, mais il portait cette chevalière …

Nul ne lui répondit.

De retour à la base, Rohan se rendit droit chez Horpach. Celui-ci était déjà au courant de la situation, grâce à la transmission télévisée et aux rapports du groupe qui était revenu le premier et avait ramené plusieurs centaines de photographies précises. Rohan en éprouva un soulagement involontaire : il ne lui faudrait pas relater au commandant dans les détails ce qu’il avait vu.

L’astronavigateur le scruta attentivement, en se levant de derrière la table sur laquelle des épreuves photographiques recouvraient la carte de la région environnante. Ils étaient seuls tous les deux, dans la grande cabine de navigation.

— Essayez de vous reprendre, Rohan, lui dit-il. Je comprends ce que vous ressentez, mais ce qui nous est le plus nécessaire dans l’immédiat, c’est du bon sens. Et de la maîtrise de soi. Nous devons aller jusqu’au fond de cette histoire de fous.

— Ils avaient tous les moyens de protection : des ergorobots, des lasers, des lance-antimatière. Le lance-antimatière principal est tout près du Condor. Ils avaient le même équipement que nous, dit Rohan d’une voix blanche.

Il s’assit inopinément.

— Pardon … murmura-t-il.

L’astronavigateur sortit du placard une bouteille de cognac.

— Un vieux remède. Parfois il est bien utile. Buvez cela, Rohan. On l’utilisait jadis sur les champs de bataille …

Rohan avala en silence le liquide de feu.

— J’ai vérifié les compteurs récapitulatifs de tous les groupes du champ de force, dit-il sur un ton de récrimination. Ils n’ont pas eu à supporter la moindre attaque. Ils n’ont même pas tiré une seule fois. Tout simplement … tout simplement …

— Ils sont devenus fous ? suggéra tranquillement l’astronavigateur.

— J’aimerais au moins en être certain. Mais comment est-ce possible ?

— Avez-vous vu le livre de bord ?

— Non. Gaarb l’a emporté. Vous l’avez ?

— Oui. Après la date de l’atterrissage, il n’y a que quatre annotations. Elles concernent ces ruines que vous avez explorées … et des « mouches ».

— Je ne comprends pas. Quelles mouches ?

— Ça, je n’en sais rien. Littéralement, le texte dit que …

Il prit sur la table un registre ouvert.

— « Aucune trace de vie sur la terre ferme. La composition de l’atmosphère … » Ici figurent les résultats des analyses … Voilà, ici : « À 18 h 40, la seconde patrouille montée sur chenilles a été prise dans une tempête de sable localisée avec forte activité de décharges atmosphériques. Contact radio établi, malgré les parasites. La patrouille fait état de la découverte d’une quantité considérable de petites mouches, couvrant … »

L’astronavigateur s’interrompit et reposa le registre.

— Et après ? Pourquoi n’achevez-vous pas ?

— C’est justement la fin. C’est sur ces mots que s’interrompt la dernière annotation.

— Et il n’y a rien de plus ?

— Vous pouvez voir par vous-même.

Il lui tendit le registre ouvert à cette page. Elle était couverte de griffonnages illisibles. Rohan, les yeux écarquillés, fixait le chaos des traits qui s’entremêlaient.

— On dirait qu’il y a ici la lettre « b », dit-il doucement,

— Oui. Et ici un « G ». Un « G » majuscule. Tout à fait comme si cela avait été écrit par un petit enfant … Vous êtes bien d’accord ?

Rohan se taisait, son verre vide à la main. Il avait oublié de le poser. Il se mit à penser à ses ambitions récentes : il avait rêvé être seul à commander L’Invincible. À présent, il remerciait le ciel de ne pas avoir à décider de la suite de l’expédition,

— Rohan ! Veuillez convoquer les chefs des groupes spécialisés. Rohan ! Secouez-vous !

— Pardon. Une conférence, monsieur ?

— Oui. Qu’ils se rendent tous à la bibliothèque.

Un quart d’heure plus tard, ils étaient déjà tous assis dans la grande salle carrée, aux murs revêtus d’un émail de couleur ; des livres et des microfilms se dissimulaient derrière. Le plus affreux, sans doute, était l’incroyable ressemblance entre les installations du Condor et de L’Invincible. Chose bien compréhensible, puisque c’étaient des vaisseaux frères, mais Rohan, regardant dans n’importe quel coin, ne pouvait repousser les images de folie qui s’étaient gravées dans sa mémoire.

Chaque homme avait ici sa place établie. Le biologiste, le médecin, le planétologue, les ingénieurs électriciens et des transmissions, les cybernéticiens et les physiciens étaient assis dans des fauteuils disposés en demi-cercle. Ces vingt hommes représentaient le cerveau stratégique du vaisseau. L’astronavigateur se tenait tout seul, sous un écran blanc à demi déroulé.

— Est-ce que tous les présents ont pris connaissance de la situation découverte à bord du Condor ?

En réponse, s’éleva un brouhaha d’acquiescements.

— Jusqu’à présent, annonça Horpach, les équipes travaillant dans le périmètre du Condor ont retrouvé vingt-neuf corps. Dans le vaisseau lui-même, on en a découvert trente-quatre, dont l’un en état de conservation parfaite, puisqu’il était congelé dans l’hibernateur. Le docteur Nygren, qui vient de revenir de là-bas, va nous faire une relation d’ensemble …

— Je n’ai pas grand-chose à dire, déclara en se levant le petit docteur.

Il s’approcha lentement de l’astronavigateur. Ce dernier le dépassait d’une tête.

— Nous n’avons trouvé que neuf corps momifiés. En plus de celui dont vient de parler le commandant, et qui sera disséqué à part. Le reste, ce sont en réalité des squelettes ou des parties de squelette extraites du sable, La momification s’est produite à l’intérieur de la fusée, où régnaient des conditions favorables à ce processus : très peu d’humidité dans l’air, une absence pratiquement totale de bactéries pathogènes et une température pas trop élevée. Les corps qui se trouvaient à l’air libre ont subi une décomposition, particulièrement intense pendant les périodes de pluie, car le sable contient ici un pourcentage appréciable d’oxydes et de sulfures de fer, qui réagissent en présence des acides faibles … Du reste, je pense que ces détails importent peu … S’il était indiqué d’exposer avec précision les réactions qui se produisent en pareil cas, il serait possible de confier l’affaire à nos collègues chimistes. En tout cas, dans les conditions de l’espace extérieur, la momification pouvait d’autant moins se faire que s’additionnaient à tout cela l’action de l’eau et des substances qu’elle contient en dissolution, ainsi que celle du sable, qui s’est poursuivie des années durant. C’est ce dernier phénomène qui explique pourquoi la surface des ossements est polie.