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— Pardon, interrompit l’astronavigateur. L’essentiel, pour l’instant, c’est la cause de la mort de ces hommes, docteur …

— Aucun symptôme de mort violente, du moins sur les corps les mieux conservés, expliqua immédiatement le médecin.

Il ne regardait personne et l’on avait l’impression qu’il observait quelque chose d’invisible dans sa main levée vers son visage.

— Le tableau clinique est le même que s’ils étaient morts de mort naturelle.

— Ce qui signifie ?

— Sans intervention extérieure violente. Certains os longs, trouvés à part, sont brisés, mais cela s’est peut-être produit plus tard. Pour l’établir, il faudra des recherches assez longues. Ceux qui étaient vêtus ont tant l’enveloppe épidermique que le squelette intacts. Pas la moindre blessure, si l’on ne tient pas compte de nombreuses petites égratignures qui assurément n’ont pas pu provoquer la mort.

— Mais alors, de quelle façon sont-ils morts ?

— Ça, je l’ignore. On peut estimer qu’ils sont morts de faim ou de soif …

— On n’a pas touché, là-bas, aux réserves d’eau ni de vivres, fit remarquer Gaarb de sa place.

— Je le sais.

Pendant un instant, ce fut le silence.

— La momification consiste avant tout à priver l’organisme de son eau, expliqua Nygren. (Il continuait à ne regarder aucun des présents.) Les tissus adipeux subissent des transformations, mais ils sont décelables. Mais voilà … ces hommes en étaient pratiquement dépourvus. Précisément comme après un très long jeûne.

— Mais pas celui qui est resté dans l’hibernateur, lança Rohan qui se tenait debout derrière la dernière rangée de fauteuils.

— C’est vrai. Mais il est sans doute mort de froid. Il a dû entrer dans l’hibernateur d’une façon que nous ignorons ; peut-être s’y est-il tout simplement endormi pendant que la température descendait.

— Admettez-vous la possibilité d’un empoisonnement collectif ? demanda Horpach.

— Non.

— Mais docteur … vous ne pouvez pas aussi catégoriquement …

— Je peux le dire, répondit le médecin. Un empoisonnement, dans des conditions planétaires, ne peut se produire que par voie pulmonaire, en raison des gaz respirés, ou par l’intermédiaire du tube digestif, ou encore de la peau. L’un des cadavres les mieux conservés portait un appareil à oxygène. Il y avait de l’oxygène dans la bouteille. La réserve aurait suffi pour plusieurs heures encore …

« C’est vrai », se dit Rohan. Il se souvenait de cet homme, la peau tendue sur le crâne ; avec des traces brunâtres sur les os des pommettes, et des orbites d’où le sable s’écoulait,

— Ces gens n’ont rien pu manger d’empoisonné, car ici, c’est bien simple, il n’y a rien à manger. Je veux dire sur la terre ferme. Et ils n’ont pas entrepris de pêches dans l’océan. C’est tout juste s’ils ont envoyé une patrouille dans le fond des ruines. C’est tout. Du reste, j’aperçois là-bas Mac Minn. Cher confrère, avez-vous terminé ?

— Oui, dit le biochimiste depuis le seuil.

Toutes les têtes se tournèrent vers lui. Il passa entre les assistants assis et s’arrêta à côté de Nygren. Il portait encore sa longue blouse de laboratoire.

— Vous avez fait les analyses ?

— Oui.

— Le docteur Mac Minn vient d’étudier le corps de l’homme qui a été découvert dans l’hibernateur, expliqua Nygren. Si vous disiez tout de suite ce que vous avez trouvé ?

— Rien, dit Mac Minn.

Il avait les cheveux si clairs qu’on se demandait s’ils n’étaient pas blancs, et les yeux aussi pâles. Même ses paupières étaient parsemées de grandes taches de rousseur. Mais à présent, cette longue tête de cheval ne faisait plus sourire personne.

— Aucun poison, organique ou pas. Toutes les liaisons enzymatiques des tissus sont correctes. Le sang correspond aux normes. Dans l’estomac, des restes de biscottes et de concentrés digérés.

— Comment donc est-il mort ? demanda Horpach.

Il était toujours aussi calme.

— Il est mort, tout simplement, répondit Mac Minn qui ne s’aperçut qu’à cet instant qu’il portait encore sa blouse.

Il en défit les boucles et la lança sur un fauteuil vide, tout à côté. Le tissu soyeux glissa et tomba à terre.

— Quelle est donc votre opinion ? reprit avec détermination l’astronavigateur.

— Je n’en ai pas, dit Mac Minn. La seule chose que je puisse dire, c’est que ces hommes n’ont pas été empoisonnés.

— Une substance radioactive se décomposant rapidement ? Ou un rayonnement dur ?

— Un rayonnement dur, à dose mortelle, laisse des traces : des hémorragies, des pétéchies, des modifications de l’image du sang. Or il n’y en a pas. Il n’existe pas davantage de substance radioactive qui, consommée à dose mortelle il y a huit ans, aurait pu disparaître sans laisser de traces. Le niveau de la radioactivité est plus bas ici que sur Terre. Ces hommes ne sont entrés en contact avec aucune forme d’activité de rayonnement. Je puis le garantir.

— Mais quelque chose les a pourtant tués ! lança le planétologue Ballmin en élevant la voix.

Mac Minn se taisait. Nygren lui dit quelque chose à voix basse. Le biochimiste inclina la tête et sortit, passant entre les rangs des personnes assises. Alors Nygren, lui aussi, descendit de l’estrade et s’assit à sa place.

— L’affaire ne se présente pas bien, remarqua l’astronavigateur. En tout état de cause, nous ne pouvons attendre aucune aide des biologistes. Est-ce que l’un de vous, messieurs, a quelque chose à dire ?

— Oui.

Sarner, l’atomiste, se leva.

— L’explication de la fin du Condor se trouve en lui-même,

Il regarda chacun à tour de rôle avec ses yeux perçants d’oiseau. Contrastant avec ses cheveux noirs, ses iris paraissaient presque blancs.

— Je veux dire que l’explication s’y trouve, mais que nous ne savons pas la déchiffrer pour l’instant. Le chaos qui règne dans les cabines, les provisions intactes, l’état et la disposition des cadavres, les dommages faits à l’installation — tout cela signifie quelque chose.

— Si vous n’avez rien de plus à dire … laissa tomber Gaarb avec découragement.

— Doucement. Nous nous trouvons dans les ténèbres. Nous devons chercher un chemin. Pour l’instant, nous savons très peu de choses. J’ai l’impression que nous n’avons pas le courage de nous rappeler certaines choses que nous avons vues à bord du Condor. C’est pourquoi nous sommes revenus avec tant d’obstination à l’hypothèse de l’empoisonnement qui aurait provoqué la folie collective. Dans notre propre intérêt — et par égard pour eux aussi — nous devons être vraiment, intransigeants en face des faits. Je suggère ou plutôt je propose catégoriquement de décider ce qui suit : que chacun de vous dise maintenant, tout de suite, ce qui, pour lui, a été le plus choquant sur Le Condor. Ce qu’il n’a peut-être encore dit à personne. Ce dont il a pensé qu’il fallait l’oublier.