— Quand il est bien cémenté, rien, en fait, dit l’adjoint de l’ingénieur principal. On peut parvenir à le forer légèrement à l’aide d’un diamant, mais pour cela il faut des tonnes de forets et des milliers d’heures. Plutôt à l’aide d’acides. Mais ce sont des acides inorganiques, ils doivent agir à une température d’au moins deux mille degrés et en présence de catalyseurs appropriés.
— Et qu’est-ce qui, selon vous, a attaqué le blindage du Condor ?
— Je n’en ai pas la moindre idée. Il aurait présenté cet aspect s’il avait été plongé un certain temps dans un bain d’acide, à la température nécessaire. Mais comment cela a été fait — sans arcs à plasma et sans catalyseurs — ça, je suis bien incapable de l’imaginer.
— Et voilà pour vos « mouches », collègue Ballmin, dit Lauda, et il se rassit.
— Je pense que cela n’aurait aucun sens de poursuivre la discussion, fit remarquer l’astronavigateur qui se taisait depuis longtemps. Peut-être était-il prématuré de la commencer. Il ne nous reste rien d’autre à faire qu’à procéder aux examens, analyses et recherches. Nous allons nous diviser en trois groupes. L’un s’occupera des ruines, l’autre du Condor et le troisième fera quelques sorties dans les profondeurs du désert occidental. C’est là le maximum que nous puissions faire, car même si l’on remet en marche certaines machines du Condor, je ne puis prélever du périmètre plus de quatorze ergorobots. En outre, le troisième degré reste maintenu …
CHAPITRE IV
LE PREMIER
Des ténèbres noires, phosphorescentes et soyeuses l’entouraient de toutes parts. Il étouffait. Avec des mouvements désespérés, il s’efforçait de repousser les volutes immatérielles qui l’enveloppaient, mais il s’enfonçait de plus en plus ; un cri étranglé dans la gorge, il cherchait en vain son arme ; il était nu. Il tendit une dernière fois toutes ses forces pour pousser un cri.
Un bruit assourdissant l’arracha au sommeil. Rohan sauta en bas de sa couchette, à moitié conscient, sachant seulement qu’il était entouré de ténèbres au sein desquelles sonnait de façon continue le signal d’alarme. Cela, ce n’était plus un cauchemar. Il alluma la lumière, sauta dans sa combinaison et courut vers l’ascenseur. Des hommes se pressaient devant la cage, à chaque étage. On entendait le long grondement des signaux ; des lettres rouges, « ALERTE », flamboyaient sur les murs. Il entra en courant dans le poste de pilotage. L’astronavigateur, habillé comme en plein jour, se tenait devant l’écran principal.
— J’ai déjà décommandé l’alerte, dit-il d’une voix calme. Ce n’est que la pluie. Regardez plutôt, Rohan : un très joli spectacle.
Et, de fait, l’écran qui permettait de voir la partie supérieure du ciel nocturne, brillait de milliers d’étincelles dues à des décharges électriques. Les gouttes de pluie, en tombant du ciel, se heurtaient à la protection invisible du champ de force qui recouvrait L’Invincible telle une énorme calotte, et, se transformant en un clin d’œil en de microscopiques explosions flamboyantes, éclairaient tout le paysage d’une lumière vacillante, semblable à une aurore boréale cent fois multipliée.
— Il va falloir mieux programmer les appareils, dit Rohan à voix basse, déjà tout à fait réveillé. (Il n’avait plus sommeil.) Je dois dire à Terner de ne pas brancher l’annihilation. Sinon, la moindre poignée de sable apportée par le vent nous tirera du lit au milieu de la nuit …
— Admettons que ç’ait été un exercice, des sortes de manœuvres, répondit l’astronavigateur qui semblait être de particulièrement bonne humeur. Il est quatre heures du matin. Vous pouvez regagner votre cabine, Rohan.
— À vrai dire, je n’en ai nulle envie. Est-ce que vous ? …
— J’ai déjà dormi … Quatre heures de sommeil me suffisent. Après seize années d’apesanteur, le rythme du sommeil et de l’état de veille n’a plus aucun rapport avec les vieilles habitudes terrestres. Je me suis demandé comment protéger au mieux les équipes d’exploration. C’est se créer bien des embarras que d’emmener partout des ergorobots et de déployer des champs de force protecteurs. Qu’en pensez-vous ?
— On pourrait donner aux hommes des émetteurs de champ individuels. Mais cela ne résout pas tout, non plus. Un homme qui est enfermé dans une bulle énergétique ne peut rien toucher de ses mains … vous savez bien, Monsieur, ce qu’il en est. Et si, de surcroît, le rayon de cette bulle vient à diminuer trop considérablement, on peut parfaitement se brûler soi-même. J’ai déjà vu des accidents de ce genre.
— J’ai même pensé à la chose suivante : ne laisser personne descendre à terre et travailler seulement à l’aide de robots gouvernés à distance, reconnut l’astronavigateur. Oui, mais c’est bon pour quelques heures, pour un jour à la rigueur, alors qu’il me semble que nous devrons rester ici plus longtemps …
— Mais alors, qu’avez-vous l’intention de faire ?
— Chaque groupe aura sa propre base de départ entourée d’un champ de force, mais les chercheurs devront, individuellement, disposer d’une certaine liberté de mouvements. Dans le cas contraire, nous nous serions si bien assurés contre les accidents possibles que nous ne parviendrions à rien. La condition nécessaire est que chaque homme travaillant en dehors du champ de force ait derrière lui un homme protégé, qui veillera à ses déplacements. Ne jamais disparaître des yeux des autres — tel est le premier principe sur Régis III.
— À quoi m’affecterez-vous ?
— Aimeriez-vous travailler au Condor !.. Je vois que non. Restent la « ville » ou le désert. Vous pouvez choisir.
— Je choisis la « ville », Monsieur. Je considère toujours que le mystère se trouve caché là-bas.
— Possible. Par conséquent demain ou à vrai dire aujourd’hui, car c’est déjà l’aube, vous prendrez avec vous votre équipe d’hier. Je vous donnerai deux arcticiens de plus. Vous ferez bien de prendre aussi quelques lasers manuels, car j’ai l’impression que « ça » agit à faible distance …
— « Ça » ? Qu’est-ce que c’est ?
— Si je savais ! À … a … Prenez donc aussi une roulante, pour être tout à fait indépendant de nous et, en cas de besoin, pouvoir travailler sans avoir à vous faire ravitailler par le vaisseau …
Un soleil rouge, qui ne chauffait presque pas, avait parcouru le firmament. Les ombres des constructions grotesques s’allongeaient et se rejoignaient. Le vent faisait se déplacer sans cesse dans une autre direction les dunes mobiles entre les pyramides métalliques. Rohan était assis sur le capot du gros transporteur, et observait à la jumelle Gralew et Chen qui, au-delà de la limite du champ de force, procédaient à des fouilles au pied d’un « rayon de miel » noirâtre. La courroie qui maintenait son laser portatif lui sciait la nuque. Il la rejeta en arrière autant qu’il le put, sans quitter les deux hommes de vue. Le chalumeau à plasma, dans la main de Chen, brillait comme un petit diamant aveuglant. Un signal d’appel, se répétant rythmiquement, lui parvint de l’intérieur du véhicule, mais pas un instant il ne détourna la tête. Il entendit le chauffeur répondre à la base.
— Monsieur le navigateur ! Ordre du commandant ! Nous devons rentrer immédiatement ! lui cria Jarg, plein d’excitation, sortant la tête par la trappe de la tourelle.
— Rentrer ? Pourquoi ?
— Je n’en sais rien. Ils répètent sans cesse le signal de retour immédiat et quatre fois EV.