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— Les piles à zéro. Apprêtez-vous à atterrir par poussée froide.

Tous les cœurs battirent plus vite, les yeux se penchèrent sur les instruments, les poignées devinrent humides sous la crispation des paumes moites. Ces paroles sacramentelles signifiaient qu’ils ne rebrousseraient plus chemin, qu’ils allaient marcher sur un sol véritable. Même si ce n’était que le sable d’un globe désertique, il y aurait lever et coucher du soleil, horizon et nuages et vent.

— Atterrissage ponctuel au nadir.

Le vaisseau était plein du gémissement interminable des turbines. Le faisceau conique du feu vert le relia à la roche fumante. De toutes parts s’élevèrent des nuages de sable qui aveuglèrent le périscope des étages centraux ; dans le poste de pilotage, et là seulement, apparaissaient et disparaissaient comme auparavant, sur l’écran des radars, les contours du paysage noyés dans un chaos de typhon.

— Stop au contact.

Le feu contrarié bouillonnait sous la poupe, écrasé millimètre par millimètre sous l’astronef qui s’abaissait ; l’enfer vert projetait de longues éclaboussures dans la profondeur des nuages de sable déchaînés. L’écart entre la poupe et le basalte échauffé du roc devint une étroite lézarde, une traînée de combustion verte.

— Zéro zéro. Tous les moteurs stop.

Une sonnerie. Un choc, un seul, comme d’un énorme cœur qui éclate. La fusée s’était arrêtée. L’ingénieur en chef se tenait debout, les deux mains sur les poignées des réacteurs de secours ; le rocher pouvait fort bien céder. Ils attendaient tous. L’aiguille des secondes continuait à avancer de son mouvement d’insecte. Le commandant observa pendant un instant l’indicateur de la verticale : sa petite lumière argentée ne s’écarta pas l’espace d’une seconde du Zéro rouge. Ils se taisaient. Les tuyères portées à l’incarnat commençaient à se rétracter, émettant une série de bruits caractéristiques, semblables à un gémissement enroué. Le nuage rougeâtre, soulevé sur des centaines de mètres, retombait lentement. En émergea le sommet aplati de L’Invincible ; ses flancs, grillés par le frottement de l’atmosphère, ressemblaient à présent, par leur couleur, à de la vieille roche ; le blindage double était tout rugueux. Le tourbillon roux continuait autour de la poupe, mais le vaisseau était parfaitement immobile, comme s’il était devenu une partie de la planète et qu’il tournât à présent avec elle d’un mouvement paresseux qui se poursuivait depuis des siècles, sous le ciel violet où les plus grosses étoiles brillaient, qui ne devenaient invisibles que dans le voisinage immédiat du soleil rouge.

— La procédure normale ?

L’astronavigateur, penché sur le livre de bord où, au milieu d’une page, il venait d’inscrire le signe conventionnel de l’atterrissage, l’heure, et avait ajouté à côté, dans la rubrique du nom des planètes : « Régis III », se redressa :

— Non, Rohan. Nous commencerons par le troisième degré.

Celui-ci essaya de ne pas trahir son étonnement.

— Bien. Pourtant … ajouta-t-il avec la familiarité que Horpach tolérait parfois de sa part, je préférerais ne pas être celui qui devra le dire aux hommes.

L’astronavigateur, comme s’il n’entendait pas les paroles de son officier, le prit par le bras et le conduisit vers l’écran, comme si c’était une fenêtre. Repoussé de part et d’autre par le souffle de l’atterrissage, le sable avait formé une sorte de cuvette plate, encerclée de dunes qui s’affaissaient. D’une hauteur de dix-huit étages, ils regardaient, à travers la surface trichromatique des impulsions électroniques, donnant un tableau fidèle du monde extérieur, le cône du cratère distant de trois milles. Le versant ouest disparaissait derrière l’horizon. Sur le versant est, des ombres impénétrables se tapissaient dans les crevasses. Les larges coulées de lave, dont la surface saillait au-dessus du sable, avaient une couleur de sang séché. Une puissante étoile brillait dans le ciel, presque au ras supérieur de l’écran. Le cataclysme provoqué par la descente de L’Invincible appartenait au passé ; le vent du désert, ce puissant courant circulant constamment des zones équatoriales vers le pôle, faisait déjà glisser les premières langues de sable sous la poupe du vaisseau, comme s’il s’efforçait patiemment de cicatriser la plaie faite par le feu des réacteurs. L’astronavigateur brancha le réseau des microphones extérieurs et le hurlement strident du lointain, mêlé au frottement du sable contre les blindages, emplit le vaste espace du poste de pilotage. Il coupa le contact au bout d’un moment et le silence se rétablit.

— Voilà comment ça se présente, dit-il d’une voix volontairement lente. Mais Le Condor n’est pas revenu d’ici, Rohan.

L’autre serra les mâchoires. Il ne voulait pas discuter. Il avait parcouru bien des parsecs avec le commandant, mais aucune amitié n’avait réussi à s’établir entre eux. Peut-être la différence d’âge était-elle trop grande ? Ou les dangers partagés trop petits ? Qu’il était intransigeant, cet homme aux cheveux presque aussi blancs que son vêtement ! Cent hommes ou peu s’en fallait se tenaient immobiles, chacun à son poste ; le travail intense qui avait précédé l’approche de la planète, les trois cents heures de freinage de l’énergie cinétique accumulée dans chaque atome de L’Invincible, la mise en orbite et l’atterrissage étaient achevés. Ils étaient près de cent hommes qui, depuis des mois, n’avaient pas entendu le bruit que fait le vent et qui avaient appris à haïr le vide, comme seul peut le haïr celui qui le connaît. Mais le commandant, très certainement, ne pensait pas à tout cela. Il traversa lentement le poste de pilotage et, s’appuyant au dossier d’un fauteuil relevé à une nouvelle hauteur, grommela :

— Nous ne savons pas ce qu’est Régis III.

Et brusquement, d’un ton cassant :

— Qu’attendez-vous encore ?

Rohan s’approcha d’un pas vif des pupitres de commande, brancha l’installation intérieure et, d’une voix qui tremblait encore d’une indignation refoulée, lança :

— Tous les niveaux, attention ! Atterrissage terminé. Procédure de sécurité : troisième degré. Niveau huit : préparez les ergorobots. Niveau neuf : les piles du blindage en action. Les techniciens de la protection, à vos postes. Le reste de l’équipage, aux postes assignés. Terminé.

Il lui sembla, pendant qu’il parlait tout en regardant l’œil de l’amplificateur qui vibrait en harmonie avec les modulations de sa voix, deviner leurs visages levés vers les haut-parleurs, tandis qu’ils se figeaient dans une stupéfaction et une colère soudaines. Ce n’était qu’à présent qu’ils avaient été obligés de comprendre, ce n’était qu’à présent qu’ils commençaient à jurer …

— La procédure de troisième degré est en cours, Monsieur, dit-il, sans regarder le vieil homme.

Celui-ci le regarda et sourit inopinément du coin des lèvres :

— Ce n’est que le commencement, Rohan. Peut-être y aura-t-il tout de même de longues promenades au coucher du soleil … qui sait …

Il sortit d’un petit placard peu profond un volume long et étroit, l’ouvrit et, le posant sur le pupitre blanc hérissé de manettes, s’adressa à Rohan :

— Avez-vous lu ça ?

— Oui.

— Leur dernier signal, enregistré par le septième hypertransmetteur, est parvenu il y a plus d’un an à la sonde de basse altitude de la Base.