Alors, au début de la seconde semaine, on s’intéressa de moins en moins à sa personne, d’autant plus que les médecins expliquèrent qu’il ne pourrait rien dire des circonstances de l’accident, même une fois revenu, éventuellement, à un état normal, ou plutôt lorsque son étrange mais indispensable éducation serait achevée.
Pendant ce temps, les travaux suivaient leur cours. Les plans de la « ville » affluaient, ainsi que les détails de la construction de ses « pyramides en buisson », dont la destination demeurait toujours aussi mystérieuse, pourtant. Considérant que des recherches plus poussées auprès du Condor ne donneraient rien, l’astronavigateur les fit interrompre. Il fallait abandonner le vaisseau lui-même, car les réparations de la coque dépassaient les possibilités des ingénieurs, surtout compte tenu d’autres travaux, bien plus urgents. On se contenta de ramener auprès deL’Invincible quantité d’ergorobots, des transporteurs, des jeeps, et toutes sortes d’appareils, tandis que l’épave — car c’était littéralement devenu une épave une fois vidée de son contenu — fut hermétiquement fermée ; ils se consolaient à l’idée qu’eux-mêmes ou une expédition suivante finiraient par ramener le croiseur à son port d’attache. Horpach, alors, envoya l’équipe du Condor vers le nord ; elle rejoignit ainsi, en tant que « groupe de Regnar », le groupe de Gallagher ; quant à Rohan, il était à présent le coordinateur en chef de toutes les recherches et il ne s’éloignait des abords immédiats de L’Invincible que pour de courts instants et, en outre, pas tous les jours.
Dans un système de failles creusées par les eaux souterraines, les deux groupes firent des trouvailles peu ordinaires.
Les couches d’argile apportées par les alluvions étaient séparées par des strates d’une substance roux noirâtre d’une origine qui n’était ni géologique ni planétaire. Les spécialistes ne pouvaient guère en dire plus. Tout semblait indiquer qu’il y avait des millions d’années de cela, à la surface de la vieille calotte basaltique, de la couche inférieure de l’écorce, des quantités énormes de chutes métalliques avaient été dispersées — peut-être tout simplement des débris de métal (une hypothèse fut avancée : à cette époque lointaine, dans l’atmosphère de Régis, un gigantesque météore de fer et de nickel aurait volé en éclats, et sa pluie de feu se serait répandue sur la roche) — débris qui, s’oxydant peu à peu, entrant en réaction chimique avec leur entourage, auraient fini par se transformer en ces dépôts disposés en couches d’un brun noirâtre, virant par endroits au pourpre et au roux.
Les découvertes ne portaient pour l’instant que sur une faible partie des couches du sol ; leur structure géologique, par sa complexité, pouvait faire tourner la tête au planétologue le plus expérimenté. Lorsqu’on eut foré jusqu’au basalte, vieux de milliards d’années, il apparut que les roches qui se superposaient au-dessus, malgré une recristallisation très poussée, présentaient des traces de carbone organique. Tout d’abord, on estima que cela avait été alors le fond de l’océan. Mais dans les couches de houille véritable, on découvrit les empreintes de nombreuses espèces végétales qui n’avaient pu pousser que sur la terre ferme. Peu à peu, le catalogue des formes continentales ayant vécu sur la planète se complétait et augmentait. On savait déjà que, trois cents millions d’années plus tôt, des reptiles primitifs avaient circulé dans les jungles. Les savants rapportèrent triomphalement les restes de la colonne vertébrale et les maxillaires cornés de l’un d’entre eux, mais l’équipage ne partagea pas cet enthousiasme. On avait l’impression que l’évolution s’était manifestée à deux reprises sur la terre ferme ; la première extinction du monde vivant se situait à environ cent millions d’années de cela. Alors, les plantes et les animaux avaient dépéri de façon brutale, ce qui, sans doute, avait été provoqué par l’explosion toute proche d’une nova. La vie avait néanmoins repris le dessus et avait abondé en formes nouvelles : toutefois, ni la quantité ni l’état des restes retrouvés ne permettaient une classification de quelque rigueur. La planète n’avait jamais produit de formes semblables aux mammifères. Quatre-vingt-dix millions d’années plus tôt, il s’était produit une seconde éruption stellaire, mais à une distance cette fois très éloignée ; ses traces, sous forme d’isotopes d’atomes divers, avaient pu être retrouvées. Selon des calculs approximatifs, l’intensité du rayonnement dur n’avait pas été alors d’une force suffisante pour provoquer une hécatombe d’êtres vivants. il n’en était que plus incompréhensible qu’à dater de cette époque, les fossiles des végétaux et les animaux deviennent de plus en plus rares dans les couches rocheuses plus jeunes. En revanche, on y trouvait en quantité croissante cette « argile » compressée, à savoir des sulfures d’antimoine, des oxydes de molybdène, des oxydes de fer, des sels de nickel, de cobalt et de titane.
Ces couches métalliques, vieilles de huit à six millions d’années, relativement plates, renfermaient par endroits de puissants foyers de radioactivité, mais c’était là une radioactivité de courte durée — comparée à la vie de la planète. En outre, tout semblait indiquer que quelque chose avait provoqué, pendant cette ère, une série de réactions nucléaires violentes mais bien localisées, dont les produits reposaient dans les « argiles métalliques ». En plus de l’hypothèse du « météore ferroradioactif », d’autres furent avancées, des plus fantaisistes, qui rattachaient ces foyers de « rayonnement chaud » à la catastrophe du système planétaire de la Lyre et à la disparition de sa civilisation.
On supposait donc que, pendant des tentatives en vue de coloniser Régis III, des confrontations atomiques avaient opposé les vaisseaux envoyés par le système menacé. Mais cela n’expliquait pas les étranges strates métalliques que l’on avait découvertes au cours des forages de prospection dans d’autres régions éloignées. En tout cas, un tableau aussi énigmatique qu’évident s’imposait à l’esprit : la vie sur les continents de la planète s’était éteinte au cours des millions d’années pendant lesquelles les strates métalliques avaient commencé à se former. La cause de la destruction des formes vivantes ne pouvait être d’ordre radioactif : la quantité globale du rayonnement avait été calculée en unités d’explosions nucléaires. Or, elle s’élevait à peine à vingt ou trente mégatonnes ; échelonnées sur des centaines de milliers d’années, de telles explosions (si c’était bien là des explosions atomiques et non d’autres formes de réactions nucléaires) n’auraient pas pu menacer sérieusement l’évolution des formes biologiques.
Soupçonnant quelque lien entre les couches métalliques et les ruines de la « ville », les savants insistaient sur la nécessité de poursuivre leurs recherches. Cela entraînait de nombreuses difficultés, puisque les travaux exploratoires exigeaient que l’on remuât de grandes quantités de terre. La seule solution était de forer une galerie, mais les hommes qui auraient travaillé sous terre ne se seraient plus trouvés sous la protection du champ de force. On poursuivit les travaux malgré tout. En effet, on avait découvert, à une profondeur de deux cents et quelques mètres, dans une couche où abondaient les oxydes de fer, des débris plus ou moins rouillés, de forme plus que particulière, et qui n’allaient pas sans ressembler à ce qui resterait de mécanismes fort compliqués, rongés par la corrosion et en pièces détachées.