Dix-neuf jours après l’atterrissage, des nuages épais et plus sombres que jamais se massèrent dans la région où travaillaient les équipes minières. Vers midi, un orage éclata, aux déflagrations électriques bien plus violentes que sur la Terre. Le ciel et les rochers furent reliés par un réseau embrouillé d’éclairs tonnants. Les eaux grossies, se précipitant le long des ravins sinueux, commencèrent à inonder les galeries creusées par les hommes. Ceux-ci durent les abandonner et chercher refuge, avec les automates, sous la calotte du champ de force, sur laquelle tombaient des éclairs longs de kilomètres. L’orage se déplaça lentement vers l’ouest et alors le mur noir, cerné d’éclairs, barra tout l’horizon au-dessus de l’océan. Sur le chemin du retour, les équipes des mines découvrirent une quantité assez considérable de petites gouttes minuscules de métal noir, disséminées sur le sable. On les prit tout d’abord pour les fameuses « mouches ». Elles furent soigneusement ramassées et rapportées au vaisseau où elles excitèrent l’intérêt des savants ; mais il était hors de question que ce puissent être là des débris d’insectes. Une nouvelle conférence de spécialistes, qui dégénéra à plusieurs reprises en âpres disputes, fut convoquée. Enfin, on décida d’envoyer une expédition en direction du nord-est, au-delà de la région des ravins tortueux et des couches de composés ferreux, parce que l’on avait découvert, sur les chenilles des véhicules du Condor, de faibles quantités de minéraux intéressants dont on n’avait pas trouvé trace dans les périmètres déjà étudiés.
Une colonne parfaitement équipée, dotée d’ergorobots, du lance-antimatière mobile récupéré à bord du Condor, de transporteurs et de robots, et notamment de douze arcticiens, équipée de pelles et de foreuses automatiques, s’ébranla le lendemain ; on avait embarqué vingt-deux hommes, des réserves d’oxygène, de vivres et de carburant atomique, sous la conduite de Regnar. L’Invincible resta en contact ininterrompu avec elle, par radio et télévision, jusqu’au moment où la convexité de la planète interrompit l’arrivée des ondes ultra-courtes en ligne droite. L’Invincible mit alors sur orbite un relais de télévision automatique fixe, qui permit de rétablir la liaison. La colonne avança pendant une journée entière. La nuit, après s’être disposée en cercle, elle s’entoura d’un champ de force ; elle reprit sa marche le lendemain. Vers midi, Regnar fit savoir à Rohan qu’il s’arrêtait au pied de ruines presque entièrement enfouies dans le sable, situées au centre d’un cratère plat et de faibles dimensions qu’il avait l’intention d’examiner de plus près. Une heure plus tard, la qualité de la réception radio commença à baisser, en raison de forts brouillages dus à de l’électricité statique. Les techniciens des transmissions passèrent donc à une bande d’ondes plus courtes dont la réception était meilleure. Bientôt, tandis que les coups de tonnerre d’un orage lointain qui se dirigeait vers l’est — c’est-à-dire là où s’était rendue l’expédition — commençaient à faiblir, le contact fut brusquement coupé. Auparavant, il y avait eu une douzaine de fadings de plus en plus forts ; le plus étrange était que, simultanément, la réception télévisée était devenue mauvaise, alors que, transmise par un satellite volant au-dessus de l’atmosphère, elle n’était pas tributaire de l’état de l’ionosphère. À une heure de l’après-midi, la liaison était complètement interrompue. Aucun des techniciens ni même des physiciens appelés en aide ne comprenait ce phénomène. On aurait dit qu’un mur de métal s’était abaissé quelque part dans le désert, coupant L’Invincible du groupe distant de 170 kilomètres. Rohan qui, pendant tout ce temps, n’avait pas quitté l’astronavigateur, remarqua son inquiétude. Elle lui sembla tout d’abord injustifiée. Il estimait que le nuage orageux pouvait présenter des propriétés particulières, le transformant en écran ; ne se dirigeait-il pas justement dans la direction où était partie l’expédition ? Toutefois, les physiciens, interrogés sur les possibilités de formation d’une masse aussi considérable d’air ionisé, se montrèrent sceptiques. Aux environs de six heures du soir, l’orage se tut, mais il ne fut pas possible de rétablir la liaison. Alors, après avoir répété sans relâche des signaux auxquels il n’obtenait pas de réponse, Horpach envoya deux appareils, du type disque volant, pour jouer le rôle d’éclaireurs.
L’un d’eux volait à quelques centaines de mètres au-dessus du désert, tandis que l’autre le survolait à une altitude de quatre mille mètres, tout en remplissant le rôle d’un relais de télévision pour le premier. Rohan, l’astronavigateur et Gralew, ainsi qu’une dizaine d’hommes parmi lesquels se trouvaient notamment Ballmin et Sax, se tenaient devant l’écran principal du poste de pilotage, observant directement tout ce qui était dans le champ de vision du pilote de la première machine. Au-delà de la zone des gorges tortueuses, remplies d’une ombre profonde, s’ouvrait le désert, avec ses successions interminables de dunes, rayées à présent de noir, car le soleil allait bientôt disparaître. Dans cet éclairage oblique qui donnait au paysage un aspect particulièrement lugubre, défilaient sous les machines quelques cratères de faibles dimensions, remplis de sable à ras bord. Certains n’étaient visibles que grâce au piton central du volcan éteint depuis des siècles. Le terrain se relevait peu à peu et devenait plus varié. Du sable, émergeaient de hautes bandes rocheuses qui formaient un système de chaînes montagneuses étrangement ébréchées. Des rochers pointus et isolés rappelaient des coques de navire éventrées ou d’énormes personnages. Les versants étaient indiqués par les lignes précises des ravins remplis d’éboulis en amoncellements coniques. Enfin, les sables disparurent tout à fait, laissant la place à un pays sauvage de roches abruptes et de cailloux. Çà et là serpentaient — de loin semblables à des rivières — les failles des fentes tectoniques de la carapace planétaire. Le paysage devenait lunaire. c’est à ce moment que se produisit la première aggravation de la réception télévisée : l’image bougeait et était mal synchronisée. Ordre fut lancé de renforcer l’émission, mais cela n’améliora la visibilité que pour peu de temps.
Les rochers, jusqu’alors de couleur blanchâtre, devenaient de plus en plus sombres. Les arêtes superposées qui fuyaient hors du champ de vision, avaient un reflet brunâtre, des étincellements métalliques inquiétants. Ici et là, on pouvait discerner des tables d’un bleu marine presque noir, comme si là-bas, sur la roche nue, poussait une végétation morte mais touffue. C’est alors que la phonie jusqu’alors muette de la première machine se fit entendre. Le pilote s’écriait qu’il entendait les signaux des émetteurs de position automatiques dont était équipé le véhicule de tête de l’expédition. Ceux qui se tenaient dans le poste de pilotage n’entendirent pourtant que sa seule voix, lointaine et qui commença à faiblir dès qu’il se mit à appeler le groupe de Regnar.
Le soleil, à présent, était très bas. Dans sa lumière sanglante, apparut sur la trajectoire de la machine un mur noir, qui roulait sur lui-même en volutes, tel un nuage ; il recouvrait tout, depuis le sommet des rochers jusqu’à une altitude de mille mètres. Tout ce qui se trouvait au-delà était invisible. N’avait été le mouvement lent et régulier des superpositions de cumulus de cette masse noire, par endroits aussi sombre que de l’encre de Chine et brillant ailleurs d’un violet métallique tournant à l’écarlate, on aurait pu la prendre pour une formation montagneuse hors du commun. Sous les rayons horizontaux du soleil s’ouvraient des cavernes remplies d’un éclat instantané et incompréhensible, comme si des cristaux étincelants de glace noire y tourbillonnaient rageusement. Au premier instant, les spectateurs eurent l’impression que le nuage se dirigeait vers la machine volante, mais c’était là une illusion. C’était le disque volant qui se rapprochait avec une vitesse uniforme, de cet étrange obstacle.