Выбрать главу

C’est ainsi que, vingt-sept jours après son atterrissage, presque la moitié de l’équipage de L’Invincible était hors combat.

CHAPITRE VIII

LA CATASTROPHE

Comme toute histoire vraie, le récit de Rohan était bizarre et incohérent. Pourquoi le nuage ne les avait-il pas attaqués, lui et Jarg ? Pourquoi n’avait-il pas touché non plus Terner, tant que celui-ci n’avait pas quitté l’amphibie ? Pourquoi Jarg s’était-il sauvé, pour revenir ensuite ? Il était relativement facile de répondre à cette dernière question. Il était revenu, supposa-t-on, parce qu’il avait repris son sang-froid après un moment de panique et s’était rendu compte qu’il était à environ cinquante kilomètres de la base — distance qu’il ne pourrait parcourir à pied avec les réserves d’oxygène dont il disposait.

Les questions précédentes demeuraient des énigmes. Y répondre pourrait avoir pour tous les hommes une importance réellement vitale. Mais les considérations et les hypothèses devaient céder le pas à l’action.

Horpach apprit le sort du groupe de Rohan à minuit passé ; une demi-heure plus tard, il décollait.

Déplacer un croiseur cosmique d’un endroit à un autre, distant d’à peine deux cents kilomètres, est une tâche ingrate. Il faut conduire constamment le vaisseau suspendu verticalement au-dessus du feu de ses tuyères, à une vitesse relativement réduite, ce qui entraîne une consommation considérable de carburant. Les propulseurs, non adaptés à ce genre de travail, exigeaient l’intervention constante des automates électriques, et même ainsi, le colosse métallique se mouvait dans la nuit avec un faible roulis, comme s’il était porté sur la surface d’une mer légèrement houleuse. C’eût été assurément un spectacle extraordinaire pour un observateur resté sur Régis III, que cette forme peu distincte dans le reflet des flammes qu’elle projetait, qui avançait dans les ténèbres, telle une colonne de feu.

Il n’était pas facile non plus de se maintenir dans la bonne direction. Il fallut s’élever au-dessus de l’atmosphère puis y rentrer de nouveau, la poupe la première.

Tout cela absorba entièrement l’attention de l’astronavigateur, d’autant que le cratère recherché était dissimulé par un léger voile de nuages. À la fin, avant l’aube encore, L’Invincible se posait au lieu voulu, à deux kilomètres de l’ancienne base de Regnar. Le supercoptère, les machines et les baraquements furent pris alors dans le périmètre de protection du croiseur. Un groupe de secours, fortement armé, ramena ensuite, vers midi, tous les hommes du groupe de Rohan qui avaient été sauvés, en bonne santé, mais inconscients. Il fallut adjoindre à l’infirmerie deux nouvelles cabines, car la salle d’hospitalisation proprement dite était déjà comble. Ce ne fut qu’une fois tout cela terminé que les savants entreprirent de sonder le secret qui avait sauvé Rohan et qui aurait sauvé Jarg, sans le tragique accident du lance-flammes entre les mains du fou.

C’était incompréhensible, car tous deux, tant par leurs vêtements, leur armement que leur aspect, ne différaient en rien des autres. Cela ne signifiait sans doute rien, non plus, le fait qu’ils se trouvaient à trois, avec Terner, dans le petit véhicule tout terrain.

Horpach se trouvait en outre placé devant le dilemme suivant : que faire à présent ? La situation était suffisamment claire pour qu’il puisse rentrer à la Base avec les données qu’il possédait, qui justifiaient le retour et expliquaient en même temps la fin tragique du Condor. Ce qui intriguait le plus les savants, a savoir les pseudo-insectes métalliques, leur symbiose avec les « plantes » de fer enracinées sur les rochers, enfin la question du « psychisme » du nuage (alors qu’on ne savait même pas s’il en existait un ou plusieurs ou enfin si des nuages de petite taille pouvaient s’assembler et se fondre pour ne former plus qu’un seul nuage homogène) — tout cela ne l’aurait pas incité à rester sur Régis III même une heure de plus, sans le fait qu’il y avait quatre manquants de l’équipe de Regnar, ce dernier inclus.

Les traces laissées par les égarés avaient entraîné le groupe de Rohan dans la gorge. Il était incontestable que ces hommes sans défense y mourraient, même si les habitants inanimés de Régis les laissaient tranquilles. Il fallait donc fouiller les terrains avoisinants, car privés de toute capacité d’agir de façon raisonnée, les malheureux ne pouvaient compter que sur l’aide de L’Invincible.

La seule chose que l’on réussit à établir avec une approximation raisonnable, ce fut le rayon dans lequel mener les recherches, étant donné que les égarés, dans cette contrée de grottes et de ravins, n’avaient pas pu s’éloigner du cratère de plus d’une vingtaine ou d’une trentaine de kilomètres. Ils n’avaient déjà plus beaucoup d’oxygène dans leurs appareils, mais les médecins assuraient que respirer l’atmosphère de la planète ne comportait assurément pas de risque mortel et que, dans l’état où ces hommes se trouvaient, les vertiges provoqués par le méthane dissous dans le sang n’avaient guère d’importance.

La zone à explorer n’était pas très étendue ; mais exceptionnellement difficile et impénétrable. Passer au peigne fin tous les culs-de-sac, toutes les crevasses, les cryptes et les cavernes, même dans les conditions les plus favorables, pouvait prendre des semaines. Sous les rochers des ravins et des vallées, ne communiquant avec eux que de place en place, se dissimulait un second système de couloirs et de grottes creusés par les eaux. Il était parfaitement possible que les égarés séjournassent dans l’une de ces cachettes. En outre, on ne pouvait même pas espérer les retrouver tous en un seul et même endroit. Privés de mémoire, ils étaient plus démunis que des enfants puisque ceux-ci, du moins, fussent restés ensemble. Et, en plus de tout cela, cette région était le siège des nuages noirs. Le puissant armement de L’Invincible et ses moyens techniques ne pouvaient être d’un grand secours dans les recherches. La protection la plus sûre — le champ de force — ne pouvait absolument pas être utilisée dans les corridors souterrains de la planète. Ainsi donc, restait l’alternative : ou bien repartir immédiatement, ce qui équivalait à condamner les hommes perdus à la mort, ou bien entreprendre des recherches risquées. Elles ne pourraient laisser d’espoir qu’au cours des tout prochains jours, une semaine au maximum. Horpach savait que des recherches poursuivies au-delà de ce délai ne permettraient de découvrir que les dépouilles de ces hommes.

Le lendemain, de bon matin, l’astronavigateur convoqua les spécialistes, leur exposa la situation et leur communiqua qu’il comptait sur leur aide. Ils se trouvaient en possession d’une poignée d’« insectes métalliques » que Rohan avait rapportés dans la poche de son blouson. Ils avaient consacré près de vingt-quatre heures à les étudier. Horpach voulait savoir s’il existait la moindre chance de rendre ces objets radicalement inoffensifs. Une question fut de nouveau posée : qu’était-ce donc qui avait préservé Jarg et Rohan de l’attaque du « nuage » ?

Les « prisonniers » occupaient, pendant la conférence, la place d’honneur, dans un récipient en verre hermétiquement bouché, au centre de la table. Il n’en restait qu’une quinzaine, les autres ayant été détruits pendant les examens. Ces produits, à triple symétrie parfaite, rappelaient par leur forme la lettre Y, avec trois embranchements terminés en pointe acérée et réunis au centre par un renflement. Ils étaient noirs comme du charbon sous la lumière directe mais, sous la lumière réfléchie, ils prenaient des opalisations grises et olivâtres, comme les abdomens de certains insectes terrestres aux écailles faites de très petites surfaces, comme un diamant taillé en rose ; chacun renfermait une construction microscopique, toujours la même. Ses éléments, plusieurs centaines de fois plus petits qu’un grain de sable, formaient une sorte de système nerveux autonome, au sein duquel il avait été possible de distinguer des systèmes partiellement indépendants les uns des autres.