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La partie la plus petite, occupant l’intérieur des jambages de la lettre Y, constituait le système gouvernant les mouvements de l’ « insecte » qui, dans la structure microcristalline de ses jambages, possédait quelque chose qui ressemblait à un accumulateur universel qui serait en même temps un transformateur d’énergie. Selon la façon dont les microcristaux entraient en contact, ils créaient soit un champ électrique, soit un champ magnétique, soit encore des champs de force alternatifs qui pouvaient porter à une température relativement élevée la partie centrale. Alors, la chaleur accumulée rayonnait vers l’extérieur dans une seule direction. Le mouvement d’air ainsi produit, une sorte de jet, permettait à l’organisme de s’élever dans n’importe quelle direction. Un petit cristal isolé ne volait pas, mais voletait plutôt, et il n’était pas capable — du moins pendant les expériences en laboratoire — de diriger son vol avec précision. En revanche, lorsqu’il se joignait à d’autres par contact entre l’extrémité de leurs jambages, il donnait naissance à un agrégat dont les capacités aérodynamiques étaient d’autant plus grandes que le nombre des composants était plus considérable.

Chaque petit cristal pouvait s’unir à trois autres ; en outre, il pouvait aussi entrer en contact avec la partie centrale d’un autre par l’extrémité de l’un de ses jambages ; cela permettait une construction en couches multiples des ensembles ainsi constitués. L’assemblage ne devait pas se faire obligatoirement par contact réel ; il suffisait que les extrémités se rapprochassent pour que chaque champ magnétique ainsi formé maintînt le tout en équilibre. Pour une quantité déterminée d’« insectes », l’agrégat commençait à faire montre de nombreuses propriétés : il pouvait en effet, en fonction de l’ « excitation » par des stimulants extérieurs, modifier la direction de son mouvement, sa forme, la fréquence des impulsions vibratoires internes. Si les stimulants se modifiaient de certaine façon, les signes du champ s’inversaient et, au lieu de s’attirer, les cristaux métalliques se séparaient, passant à l’état de « dissémination individuelle ».

Outre le système dirigeant ces mouvements, chacun des petits cristaux noirs comportait à l’intérieur un autre système de connexion ou plutôt un fragment d’un tel système, qui semblait bien être une partie d’un ensemble plus considérable. Ce tout d’ordre supérieur, apparaissant sans doute seulement lorsqu’une énorme quantité d’éléments s’assemblaient, était le véritable moteur régissant les activités du nuage. Mais là s’arrêtaient les connaissances des savants. Ils ne savaient rien des possibilités de croissance des systèmes d’ordre supérieur ; ce qui, en outre, restait particulièrement obscur pour eux, c’était le problème de leur « intelligence ». Kronotos supposait que plus le nombre d’éléments s’unissant entre eux était considérable, et plus grande était la capacité à résoudre un problème. Cela semblait assez convaincant, mais ni les cybernéticiens, ni les informaticiens ne connaissaient l’équivalent d’une telle construction, à savoir d’un « cerveau croissant à volonté » et adaptant ses dimensions à l’importance de ses intentions.

Une partie des cristaux apportés par Rohan était abîmée. Les autres, toutefois, avaient des réactions caractéristiques. Un cristal isolé pouvait voleter, s’élever en restant presque stable, retomber, se rapprocher de la source des stimulants ou s’en éloigner ; en outre, il était absolument inoffensif, et n’émettait, même lorsqu’il était sur le point d’être détruit — or les savants avaient essayé d’en détruire à l’aide de moyens chimiques, par la chaleur, en recourant à des champs de force et divers rayonnements — , et n’émettait donc alors aucune sorte d’énergie. Il était parfaitement possible de l’écraser, comme le plus faible hanneton sur la Terre — à cette seule différence près que sa carapace cristallo-métallique n’était pas facile à briser. En revanche, lorsqu’ils s’assemblaient pour former un agrégat, même de dimensions relativement faibles, les « insectes » commençaient, exposés à l’action d’un champ magnétique, à produire un autre champ qui annulait le premier ; chauffés, ils s’efforçaient de se débarrasser de la chaleur à l’aide d’un rayonnement infrarouge. Les expériences ne pouvaient être poussées plus avant, puisque les savants ne disposaient que d’une poignée de cristaux.

Aux questions de l’astronavigateur, ce fut Kronotos qui répondit au nom de tous les « en chef ». Les savants demandaient qu’on leur donnât le temps de poursuivre leurs recherches, mais avant tout ils souhaitaient se procurer une grande quantité de ces petits cristaux. Ils proposaient donc que l’on envoyât dans le fond du ravin une expédition qui, cherchant les disparus, pourrait en même temps leur procurer pour le moins quelques dizaines de milliers de pseudo insectes.

Horpach y consentit. Il considérait toutefois qu’il n’avait plus le droit de risquer la vie de ses hommes. Il décida donc d’envoyer dans le ravin une machine qui, jusqu’à présent, n’avait participé à aucune action.

C’était un véhicule de quatre-vingts tonnes, automoteur, d’affectation spéciale, utilisé d’ordinaire uniquement dans des conditions de pollution grave par rayonnement ou encore de pression ou de température considérable. Cette machine, vulgairement surnommée Le Cyclope, se trouvait tout au fond de la cale du croiseur, solidement arrimée à l’aide des poutrelles du panneau de charge. En principe, on ne l’utilisait jamais à la surface des planètes et, à vrai dire, L’Invincible n’avait jamais encore eu recours à son Cyclope. On aurait pu compter sur les doigts d’une seule main les circonstances exigeant le recours à cette extrémité — et ceci, en prenant en considération l’ensemble de la flotte dont disposait la Base.

Envoyer Le Cyclope faire quelque chose, cela signifiait, dans l’argot des équipages, confier la tâche au diable en personne : jamais on n’avait entendu dire que Le Cyclope eût connu un échec.

La machine, hissée à l’aide de grues, fut disposée sur la plate-forme supérieure de la rampe, où les techniciens et les programmateurs s’affairèrent, pour la préparer à sa mission. Elle possédait, outre le système habituel des Dirac produisant les champs de force, un lance-antimatière sphérique qui lui permettait donc de tirer des antiprotons dans n’importe quelle direction ou dans toutes à la fois. Une rampe de lancement construite à l’intérieur de son ventre blindé permettait au Cyclope, grâce à l’interférence des champs de force, de s’élever de quelques bons mètres au-dessus du sol et de n’être donc pas tributaire d’un socle ou de la présence de roues ou de chenilles. Sur l’avant, s’ouvrait un groin blindé par l’ouverture duquel pouvait émerger une sorte de « main » télescopique, capable de procéder sur place à des forages, de prélever à l’extérieur des échantillons de minéraux et d’exécuter divers autres travaux. Bien sûr, Le Cyclope était équipé d’un puissant émetteur radio et d’un émetteur de télévision, mais il n’en avait pas moins été conçu pour des activités indépendantes, grâce à un cerveau électronique qui le commandait. Les techniciens du groupe opérationnel de l’ingénieur Petersen introduisirent dans ce cerveau un programme préparé en vue de l’expédition : l’astronavigateur prévoyait en effet qu’il perdrait tout contact avec la machine une fois que celle-ci serait entrée dans la gorge. Ce programme comportait la recherche des hommes égarés, que Le Cyclope devait introduire dans ses entrailles en procédant de la façon suivante : tout d’abord il les protégerait ainsi que lui-même à l’aide d’un second champ de force, extérieur au sien propre, et ce n’est qu’alors qu’il ouvrirait un passage dans cette enveloppe protectrice interne. En outre, la machine devait attraper une grande quantité de petits cristaux parmi ceux qui l’attaqueraient. Le lance-antimatière ne devait être utilisé qu’en dernier recours, si le champ de force protecteur courait le risque d’être écrasé — étant donné que la réaction d’annihilation devait, par la force des choses, polluer par rayonnement radioactif toute la région, ce qui constituerait un danger pour la vie des hommes égarés qui se trouvaient peut-être non loin de l’endroit de l’affrontement.