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Les biologistes disaient qu’il existait une chance de vaincre les insectes inanimés à l’aide de leur propre arme. Du moment que cette espèce évoluait — tel était leur raisonnement — on pouvait, pourquoi pas ? prendre en main la poursuite de cette évolution. Il fallait tout d’abord introduire, dans une quantité considérable de spécimens que l’on se procurerait, des mutations, des modifications héréditaires d’un type déterminé, qui, au cours de la reproduction, seraient transmises aux générations suivantes et rendraient inoffensive toute cette race cristalline. Cela devrait être une modification très particulière, de façon qu’elle puisse apporter un avantage immédiat et fasse en même temps que cette nouvelle espèce ou variété ait une sorte de talon d’Achille, un point faible où l’on puisse l’atteindre. Mais c’était bien là, justement, un bavardage type de théoriciens : ils n’avaient pas la moindre idée de ce que devrait être cette mutation, comment la mener à bien, comment se saisir d’une quantité considérable de ces maudits cristaux, sans s’engager dans un nouveau combat au cours duquel on risquait d’essuyer une défaite pire que celle de la veille. Et même si tout réussissait, combien de temps faudrait-il attendre les effets de cette évolution à venir ? Ni un jour ni une semaine ! Et alors ? Ils devraient tourner autour de Régis pendant un ou deux ans, peut-être pendant dix ans ? Tout cela n’avait pas le moindre sens.

Rohan eut l’impression qu’il avait exagéré avec le climatiseur : de nouveau, il faisait trop chaud. Il se leva, rejetant la couverture, se lava, s’habilla rapidement et sortit.

L’ascenseur n’était pas là. Il l’appela et, attendant dans la pénombre où tressaillaient les petites lumières du voyant, sentant dans sa tête tout le poids des nuits sans sommeil et des journées pleines de tension, il se mit à écouter le silence nocturne du vaisseau, à travers la rumeur de son sang qui battait à ses tempes. Parfois, il y avait un gargouillement dans les tuyauteries invisibles ; des étages inférieurs montait le ronronnement étouffé des propulseurs travaillant à vide, car ils étaient toujours prêts à prendre le départ à tout instant. Un souffle d’air sec à goût métallique montait du puits vertical, de part et d’autre de la plate-forme sur laquelle il se tenait. Les portes s’ouvrirent, il entra dans la cabine. Il descendit au huitième niveau. Ici, le corridor tournait, suivant la paroi du blindage principal, éclairée par une file de petites lampes bleues. Il avançait, levant automatiquement les pieds au bon endroit, lorsqu’il franchissait les seuils surélevés des caissons hermétiques. Enfin, il aperçut les ombres des hommes qui étaient de service au réacteur principal. Le lieu était sombre ; seuls quelques cadrans brillaient sur les tableaux. Les hommes étaient assis en dessous, dans des fauteuils surbaissés.

— Ils sont morts, dit quelqu’un. (Rohan ne reconnut pas celui qui parlait.) Tu veux parier ? Dans un rayon de cinq milles, il y avait mille röntgens … Ils ne vivent plus. Tu peux être tranquille.

— Alors, pourquoi restons-nous ici ? grommela un autre.

(Non d’après sa place, mais à l’endroit qu’il occupait au contrôle gravimétrique, Rohan se rendit compte que c’était Blank, le bosco.)

— Le vieux ne veut pas rentrer.

— Et toi, tu rentrerais ?

— Que peut-on faire d’autre ?

Il faisait chaud ici, et dans l’air s’élevait une odeur particulière, un parfum artificiel d’aiguilles de pin par lequel on s’efforçait, grâce aux climatiseurs, de camoufler la puanteur des plastiques échauffés lorsque les piles travaillaient, et des tôles de la carcasse blindée. Le résultat était un mélange qui ne ressemblait à rien d’autre, une fois qu’on s’était suffisamment éloigné du huitième niveau. Rohan se tenait debout, invisible pour les hommes assis, le dos appuyé au rembourrage de mousse de la cloison. Ce n’était pas qu’il se cachait : tout simplement, il n’avait pas envie de se mêler à cette conversation.

— Il s’approche peut-être, maintenant …, dit quelqu’un après un court silence.

Le visage de celui qui parlait apparut un instant tandis qu’il se penchait en avant, à moitié rose, à moitié jaune dans le reflet des lampes témoins ; on avait l’impression que la paroi du réacteur regardait les hommes recroquevillés à ses pieds. Rohan, comme tous les autres, devina immédiatement de quoi il était question.

— Nous avons le champ et le radar, rétorqua à contrecœur le bosco.

— Ça t’avancera beaucoup, le champ, lorsque le rayonnement s’élèvera à un billion d’ergs.

— Le radar ne le laissera pas passer.

— C’est à moi que tu dis ça ? Voyons, je le connais comme ma poche.

— Et alors quoi ?

— Quoi ? Il a un antiradar. Un système de brouillage …

— Un drôle de fou ! Nous voilà bien ! Tu étais au poste de pilotage ?

— Non, je n’y étais pas.

— Bon, mais moi, j’y étais. Dommage que tu n’aies pas vu tomber les sondes.

— Ça veut dire quoi, ça ? Qu’ils l’on réglé autrement ? Qu’il est déjà sous leur contrôle ?

« Ils disent tous « ils », se dit Rohan. Comme si c’étaient vraiment des créatures vivantes, douées de raison … »

— Du diable si les protons le savent ! Il paraît que seules ses transmissions sont déréglées.

— Alors pourquoi qu’il lutterait contre nous ?

Le silence tomba de nouveau.

— On ne sait pas où il est ? demanda celui qui n’avait pas été dans le poste de pilotage.

— Non. Le dernier rapport remonte à onze heures. Kralik me l’a dit. Ils l’ont vu qui tournait en rond dans le désert.

— Loin d’ici ?

— Eh quoi, tu as la trouille ? À quelque quatre-vingt-dix milles d’ici. Il ne faut même pas une heure pour parvenir jusqu’à lui. Ou peut-être moins.