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Le commandant ne les autorisa pas à partir de nuit. Ils se mirent en marche à cinq heures, temps local, avant le lever du soleil. En raison de l’ordre de marche dicté par la nécessité, ainsi que de sa pénible lenteur, ils baptisèrent leur formation « convoi funéraire ». La colonne était ouverte et fermée par les ergorobots qui, à l’aide d’un champ de force ellipsoïdal, protégeaient toutes les machines se trouvant à l’intérieur de celui-ci : les glisseurs sur coussin d’air universels, les jeeps transportant les émetteurs radio et les radars, la cuisine roulante, le transporteur de la baraque d’habitation hermétique à automontage et le petit laser à frappe directe, vulgairement appelé « poinçon ». Rohan prit place, en compagnie des trois savants, sur l’ergorobot de tête ; c’était en vérité peu confortable, car ils avaient du mal à rester assis côte à côte, mais du moins avaient-ils l’illusion d’un voyage normal. Il fallait adapter la vitesse à celle des ergorobots, les machines les plus lentes du convoi. Le voyage n’était pas une partie de plaisir. Les chenilles hurlaient et grinçaient dans le sable, les moteurs à turbine bourdonnaient comme autant de moustiques de la taille d’un éléphant ; juste derrière les sièges, l’air des refroidisseurs s’échappait des écrans grillagés ; quant à l’ergo-robot, il avançait comme une lourde chaloupe secouée par la houle. Bientôt l’aiguille noire de L’Invincible disparut derrière l’horizon. Pendant un certain temps, ils avancèrent éclairés par les rayons horizontaux d’un soleil froid et rouge sang, à travers le désert monotone ; le sable devenait de plus en plus rare, laissant apparaître des dalles rocheuses inclinées qu’il convenait d’éviter. Les masques à oxygène et le hurlement des moteurs n’incitaient guère à la conversation. Ils observaient attentivement l’horizon, mais le paysage était éternellement le même : amoncellement de roches, grandes surfaces polies par l’érosion. À un endroit, la plaine commença à descendre en pente douce et, au fond d’une large vallée de faible profondeur, apparut un étroit ruisseau, à demi desséché, dont l’eau étincelante reflétait l’aube écarlate. Sur les deux rives, des traînées de sable, formant de véritables bancs, indiquaient que ce ruisseau devait parfois grossir considérablement. Ils s’arrêtèrent un instant pour analyser l’eau. Elle était tout à fait limpide, assez dure, contenait des oxydes de fer et une faible trace de sulfures. Ils repartirent, à présent relativement plus vite, car les chenilles rampaient aisément sur la surface pierreuse. Vers l’ouest, s’élevaient de faibles pentes. La machine en queue de convoi maintenait un contact constant avec L’Invincible, les antennes des radars tournaient, leurs servants, ajustant au mieux leurs écouteurs aux oreilles, avaient le regard cloué sur les écrans, tandis qu’ils mordillaient des miettes de nourriture concentrée ; parfois, une pierre jaillissait violemment de sous l’un des aéroglisseurs, comme si elle avait été éjectée par une petite trombe d’air, et sautait, soudain vivante, tout en haut de l’amoncellement de galets. Puis la route fut coupée par de douces collines, chauves et nues. Sans s’arrêter, ils prélevèrent quelques échantillons, et Fitzpatrick informa Rohan, en criant pour se faire entendre, que la silice était d’origine organique. Enfin, lorsque le miroir des eaux leur apparut sous l’aspect d’une ligne d’un gris noirâtre, ils trouvèrent aussi des calcaires. Dans un cliquetis, ils descendirent vers la rive sur les petits galets aplatis. Le souffle chaud des machines, le sifflement des chenilles, le hurlement des turbines, tout cela se tut d’un seul coup, lorsque l’océan, de près verdâtre et d’apparence parfaitement terrestre, ne fut plus qu’à cent mètres. Pour protéger le groupe de travail à l’aide du champ de force, la manœuvre était compliquée : il fallait faire avancer l’ergorobot de tête dans l’eau, jusqu’à une assez grande profondeur. On commença par rendre la machine étanche ; dirigée à distance par le second ergorobot, elle s’enfonça entre les vagues brisées, dans un jaillissement d’écume, jusqu’à n’être plus qu’une tache plus sombre et à peine visible dans la profondeur des eaux ; alors seulement, sur un signal envoyé du poste central. Le colosse englouti fit monter en surface son émetteur Dirac. Lorsque le champ, qui recouvrait de son hémisphère invisible une partie de la berge et des eaux du littoral fut établi, ils entreprirent les recherches proprement dites.

L’océan était légèrement moins salé que ceux de ta Terre ; les analyses n’apportèrent toutefois aucun résultat révélateur. Au bout de deux heures, ils en savaient à peu près autant qu’en commençant. Ils envoyèrent donc en pleine mer deux sondes de télévision commandées à distance et, du poste central, ils en suivirent la progression sur les écrans. Mais ce ne fut qu’une fois qu’elles se furent éloignées au-delà de l’horizon, que les signaux apportèrent une première information d’importance. Dans l’océan vivaient des organismes semblables par leur forme à des poissons à squelette osseux. Dès qu’ils apercevaient les sondes, toutefois, ils s’enfuyaient à une énorme vitesse, cherchant refuge dans les profondeurs marines. Des échos-sondes volantes déterminèrent la profondeur de l’océan à l’endroit où, pour la première fois, ils avaient rencontré des créatures vivantes : il y avait cent cinquante mètres de fond.

Broza s’obstina : il lui fallait avoir au moins un de ces poissons. Ils se mirent donc à pêcher, les sondes poursuivirent des ombres qui se faufilaient dans la pénombre verte, tirant des décharges électriques, mais ces prétendus poissons faisaient preuve d’une incomparable souplesse de mouvement. Il fallut tirer un grand nombre de coups avant de réussir à en blesser un, La sonde, qui l’avait saisi de ses pinces, fut immédiatement ramenée sur le littoral, tandis que Kœchlin et Fitzpatrick manipulaient l’autre sonde, récoltant des échantillons de fibres qui montaient dans le creux des vagues et qui leur semblaient être une sorte d’algue ou de plante aquatique. Ils l’envoyèrent enfin explorer le fond de la mer, à une profondeur de deux cent cinquante mètres. Un fort courant de grande profondeur rendait très difficile le guidage de la sonde qui était sans cesse renvoyée vers une grosse accumulation d’algues sous-marines. À la fin, il fut tout de même possible d’en écarter quelques-unes et apparut alors, comme le supposait très justement Kœchlin, toute une colonie de petites créatures flexibles, en forme de pinceau.

Les deux sondes revinrent dans l’intérieur du champ et les biologistes se mirent au travail. Pendant ce temps, dans la baraque qui avait été montée et où l’on pouvait retirer les masques si désagréables, Rohan, Jarg et cinq hommes prenaient leur premier repas chaud de la journée.

Le temps s’écoula jusqu’au soir à prélever des échantillons de minéraux, à étudier la radioactivité dans les profondeurs de l’océan, à mesurer l’insolation, et cent autres ennuyeuses besognes du même ordre, qu’il fallait pourtant consciencieusement mener à bien et même exécuter avec une perfection pédante, si l’on voulait obtenir des résultats précis et exacts. Au crépuscule, tout ce qui était possible avait été fait et Rohan put, la conscience tranquille, s’approcher du micro quand Horpach l’appela. L’océan était plein de formes vivantes qui, toutes sans exception, évitaient la zone côtière. L’organisme du poisson disséqué ne présentait rien de particulier. L’évolution — selon les estimations qu’ils pouvaient faire à partir des données en leur possession — se poursuivait sur la planète depuis plusieurs centaines de millions d’années. Une quantité considérable d’algues vertes avait été découverte, ce qui expliquait la présence d’oxygène dans l’atmosphère. La division du domaine des organismes vivants en flore et faune était typique ; typiques aussi les structures osseuses des vertébrés. Le seul organe du spécimen péché dont les biologistes ne connaissaient pas d’équivalent sur la terre était celui d’un sens spécial, sensible à de très faibles variations de l’intensité du champ magnétique. Horpach donna l’ordre à toute l’équipe de regagner L’Invincible au plus vite et, concluant ainsi l’entretien, il annonça qu’il avait des nouvelles : on avait sans doute réussi à localiser l’épave du Condor.