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Lorsque la marionnette eut fini de cabrioler et de frapper la petite scène de son arme pour bien nous montrer sa férocité, apparut alors un autre personnage, un petit garçon avec une épée à la main. Il était aussi délicatement fini que l’autre était grossier : on aurait pu croire qu’il s’agissait d’un véritable enfant réduit à la taille d’une souris.

Les minuscules personnages nous firent une révérence, puis commencèrent à se battre. La marionnette de bois faisait des bonds prodigieux et paraissait remplir tout l’espace de la scène de ses coups de massue ; le petit garçon dansait comme un grain de poussière dans un rayon de soleil pour l’éviter et tentait de porter l’estocade à son adversaire avec une lame de la dimension d’une aiguille.

Le personnage de bois finit par s’effondrer ; le petit garçon marcha vers lui comme s’il avait voulu poser le pied sur sa poitrine, mais avant qu’il y soit arrivé, la marionnette s’éleva mollement au-dessus de la scène, et, décrivant des cercles paresseux, monta jusqu’à disparaître de notre vue. Il ne restait plus, sur la scène, que le petit garçon, la massue et l’épée – ces deux dernières gisant brisées. Il me sembla entendre retentir une sonnerie de trompettes miniatures, mais sans doute était-ce le grincement des roues de charrettes dans la rue.

L’arrivée d’une troisième personne dans la chambre me réveilla complètement. Il s’agissait d’un petit homme alerte et vif, doté d’une chevelure d’un rouge flamboyant, bien habillé, avec ostentation et recherche. Quand il vit que j’avais complètement repris mes esprits, il alla pousser les volets de la fenêtre, et la lumière rouge du soleil entra à flots dans la pièce.

« Mon partenaire, me lança-t-il, jouit toujours d’un excellent sommeil. J’espère que ses ronflements ne vous ont pas assourdi…

— J’ai très bien dormi moi-même, lui répondis-je. Et s’il a ronflé, je ne l’ai pas entendu. »

Le petit homme, qui exhibait une belle rangée de dents en or lorsqu’il souriait, parut satisfait par ma réponse. « Et pourtant, il ronfle ! Il ronfle à faire trembler Teur, je vous assure. Je suis content que, malgré cela, vous ayez pu vous reposer. » Il me tendit une main gracile et soigneusement manucurée. « Je suis le Dr Talos.

— Et moi le compagnon Sévérian. » Je rejetai la mince couverture sous laquelle j’avais dormi et me levai pour lui serrer la main.

« Je vois que vous portez du noir. À quelle guilde appartenez-vous ?

— Je porte la fuligine des bourreaux.

— Ah ! » Il inclina la tête de côté du même mouvement vif qu’une grive, et se mit à aller et venir d’un pas sautillant pour me contempler sous différents angles. « Vous avez une taille élevée – voilà qui est dommage ; mais tout ce tissu couleur de suie produit un effet très impressionnant.

— Nous trouvons surtout que c’est pratique, dis-je. Nos oubliettes ne sont pas un endroit bien propre, et les taches de sang ne se voient pas sur la fuligine.

— Vous avez de l’humour ! Excellente chose… Y a-t-il qualité qui soit plus profitable à l’homme que le sens de l’humour, je vous le demande ? L’humour rassemblera un public ; l’humour peut calmer la populace ou rassurer les enfants d’une crèche. L’humour peut vous tirer d’un mauvais pas et vous donner le succès – et aussi attirer les asimis dans votre escarcelle comme un aimant ! »

Je ne comprenais pas grand-chose à ce qu’il voulait dire, mais comme il avait l’air d’être de bonne humeur, je risquai une question : « J’espère que je ne vous ai pas dérangé ? Le patron m’a dit de dormir ici ; il y avait d’ailleurs encore assez de place pour une personne supplémentaire.

— Non, non, pas du tout ! Je ne suis pas revenu de la nuit ; j’avais trouvé un endroit plus agréable où la passer. Je dors très peu, autant vous le dire, et j’ai le sommeil léger. J’ai tout de même passé une nuit excellente, vraiment excellente. Quels sont vos projets pour la matinée, Optimat ? »

J’étais en train de tâtonner sous le lit pour retrouver mes bottes. « Je crois bien que je vais commencer par essayer de déjeuner ; après quoi, je vais quitter la ville, en direction du nord.

— Parfait ! Il ne fait aucun doute que mon partenaire appréciera de déjeuner ; il n’y a rien qui lui fasse plus grand bien. Nous faisons également route vers le nord. Après avoir connu les plus grands succès dans toute la ville, figurez-vous, maintenant, nous retournons chez nous. Nous avons descendu la rive est en donnant des représentations, puis avons remonté la rive ouest de la même manière. Peut-être nous arrêterons-nous au Manoir Absolu, sur le chemin du Nord. C’est notre plus grand rêve, dans cette profession, comprenez-vous : jouer dans le palais de l’Autarque. Ou revenir y jouer, si on y a déjà donné un spectacle. Avec, à la clef, un plein chapeau de chrisos.

— J’ai rencontré au moins une personne qui rêvait d’y retourner.

— Ne faites pas une telle tête – il faudra que vous me racontiez cela un jour ou l’autre. Mais maintenant, il s’agit d’aller déjeuner et dans ce cas… Baldanders ! Réveille-toi, allons, réveille-toi ! » De son pas dansant, il alla jusqu’au pied du lit, et saisit le géant par une cheville. « Baldanders ! Ne l’attrapez surtout pas par l’épaule, Optimat ! » (Je n’avais pas fait le moindre mouvement en ce sens.) « Il lui arrive d’avoir des gestes violents. BALDANDERS ! »

Le géant murmura quelque chose et remua.

« Il fait jour, Baldanders ! Nous sommes toujours en vie ! Il est temps de manger, de déféquer et de faire l’amour ; oui, il est temps de faire tout cela ! Allez, debout maintenant, on nous n’arriverons jamais à rentrer chez nous ! »

Rien n’indiquait que le géant l’eût entendu. Le murmure qu’il avait laissé échapper un instant plus tôt aurait tout aussi bien pu être un grognement de protestation pendant un rêve, ou le râle de la mort. Des deux mains, le Dr Talos se saisit de l’infecte couverture et la tira brusquement, me révélant les formes monstrueuses de son partenaire.

Il était encore plus grand que je ne l’avais imaginé, presque trop grand pour le lit alors même qu’il dormait les genoux repliés jusqu’au menton ou presque. Ses épaules faisaient une aune de large ; elles étaient hautes et voûtées. Je ne pouvais rien voir de son visage qu’il avait enfoui dans son oreiller. Il portait d’étranges cicatrices au cou et autour des oreilles.

« Baldanders ! »

Il avait les cheveux grisonnants et très épais – malgré la prétendue erreur faite par l’aubergiste[4].

« Baldanders ! Je vous demande pardon, Optimat, mais puis-je vous emprunter cette épée ?

— Non, répondis-je. C’est exclu.

— Oh, ne vous inquiétez pas, je ne vais pas le tuer ; je ne veux que le frapper du plat de la lame. »

Je secouai la tête, et quand le Dr Talos vit que je resterais intraitable, il commença à fouiller partout dans la pièce. « J’ai dû laisser ma canne en bas. Étant donné la clientèle infâme de cet établissement, elle va certainement disparaître. Je devrais apprendre à boiter ; je le devrais vraiment… Je ne trouve absolument rien ici. »

Il se précipita vers la porte et revint un instant après, tenant une canne de bois de fer dont la poignée était en cuivre ouvragé. « Bon, allons-y maintenant ! Baldanders ! » Les coups tombaient sur le large dos du dormeur, drus comme grêle.

D’un seul coup, le géant se retrouva assis sur son séant. « Je suis réveillé, docteur. » Il avait un visage large, taillé à coups de serpe, mais qui exprimait aussi de la sensibilité et de la tristesse. « Auriez-vous enfin décidé de me tuer ?

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4

Lequel l’avait tout d’abord appelé «Baldy» c’est-à-dire le chauve (N.d.T.).