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« Au centre de la salle se trouvait quelque chose qu’elle prit tout d’abord pour une pièce plus petite – une pièce dans la pièce. Des labyrinthes étaient peints sur ses murs octogonaux. Juste au-dessus et visible seulement depuis l’entrée de la salle d’audience où Domnina se trouvait encore, brillait la lampe la plus éclatante qu’elle ait jamais vue ; elle émettait une lumière blanche légèrement bleutée, tellement aveuglante que même un aigle n’aurait pu la fixer des yeux.

« Elle avait entendu le bruit de la serrure après que la porte eut été refermée derrière elle, et elle n’apercevait aucune autre issue. Elle courut soulever les grandes tentures dans l’espoir d’y trouver une porte dérobée, mais à peine avait-elle tiré la première que l’un des huit murs peints de labyrinthes s’ouvrit, laissant passer le père Inire. Derrière lui, elle crut deviner ce qu’elle appela un trou lumineux sans fond.

« “Te voilà donc, lui dit-il. Tu es exacte au rendez-vous. Mon enfant, le poisson est sur le point d’être pris ; tu peux observer la disposition de l’hameçon, et apprendre par quels artifices ses écailles d’or vont se prendre dans les mailles de notre épuisette.” Il la saisit par le bras, et la conduisit dans la pièce octogonale. »

À ce point du récit, je dus m’interrompre pour aider Aghia à franchir un passage du chemin presque entièrement envahi par la végétation. « Vous parlez tout seul, remarqua-t-elle. Je vous entends murmurer dans mon dos.

— Je suis en train de me raconter l’histoire dont je vous ai parlé. Vous n’aviez pas l’air d’avoir envie de l’entendre, et je tenais à l’écouter à nouveau. Qui plus est, il y est fait mention du spécule du père Inire et peut-être s’y trouve-t-il des détails qui pourraient se révéler utiles pour nous. »

« Domnina s’avança donc dans la structure octogonale. Juste en son milieu, en dessous de la lampe, ondoyait une brume lumineuse et jaunâtre. Elle ne s’immobilisait jamais, me dit-elle, mais se déplaçait au contraire constamment de droite à gauche et de haut en bas, animée en outre de scintillements rapides ; elle ne dépassait jamais certaines limites, celles d’un volume d’environ quatre empans de haut et autant de large, et rappelait bien davantage un poisson que le petit flagelle aperçu dans les miroirs du Hall des Significations – un poisson nageant dans l’air, confiné dans un aquarium invisible. Le père Inire referma derrière lui la paroi de l’octogone. Il s’agissait d’un miroir dans lequel Domnina put voir se refléter les mains et le visage de l’homme, ses robes brillantes et indistinctes, ainsi que, derrière lui, son propre reflet et celui du poisson. Mais c’était comme si elle découvrait une autre fillette, comme si son propre visage venait la scruter par-dessus sa propre épaule – suivi d’un autre, puis d’un autre encore, à l’infini, et chaque fois un peu plus petit. Une chaîne sans fin de visages de Domnina de plus en plus flous.

« À ce spectacle, elle comprit que la cloison de l’octogone par laquelle elle avait pénétré faisait face à un autre miroir. En réalité, toutes les parois étaient des miroirs. La lumière d’un blanc bleuâtre de la lampe s’y trouvait piégée et renvoyée de l’un à l’autre, comme lorsque des enfants se passent des balles d’argent, créant ainsi un entrelacs, un réseau, qui est une danse sans fin. Au milieu, le poisson ondoyait toujours, forme paraissant née de la convergence des multiples reflets de la lumière.

« “Maintenant tu le vois bien”, lui dit le père Inire. “Les Anciens qui avaient connaissance de ce processus au moins aussi bien que nous sinon mieux, considéraient que le poisson était le moins important et le plus commun des habitants du spécule. Il est inutile de nous attarder sur la fausse croyance voulant que les créatures qu’ils mandaient soient toujours présentes dans les profondeurs du miroir. Ils en sont en revanche venus à se poser une question plus sérieuse : quels moyens employer pour voyager, lorsque points de départ et d’arrivée sont séparés par des distances astronomiques ?

— Est-ce que je peux y mettre la main ?

— À ce stade du phénomène, tu le peux, mon enfant. Je ne te le conseillerais pas dans un moment.”

« Elle avança donc sa main, et ressentit une impression de chaleur variable. “C’est donc par ce moyen que viennent les cacogènes ?

— Ta mère t’a-t-elle jamais emmenée faire un tour dans son atmoptère ?

— Bien sûr.

— Tu as également vu les jouets en forme d’atmoptère dont s’amusent les enfants à la nuit tombée : faits d’une coque en papier d’où pendent des lanternes de parchemin ? Ce que tu vois ici est aux appareils utilisés pour aller d’un soleil à l’autre, ce que ces jouets sont à l’atmoptère réel. Cependant, ceci nous permet d’invoquer le Poisson, et peut-être d’autres créatures aussi. Et de même qu’il arrive que les jouets des enfants mettent le feu aux toits des maisons, parfois, nos miroirs, quoique leur puissance de concentration ne soit pas très élevée, présentent tout de même quelques dangers.

— Je croyais que pour voyager jusqu’aux étoiles, on devait s’asseoir sur le miroir.”

« Le père Inire sourit. C’était la première fois qu’elle le voyait sourire, et elle avait beau se dire qu’il ne voulait que lui faire comprendre son amusement et combien sa remarque lui avait plu (davantage, peut-être, que si elle avait été une adulte), il avait quelque chose de déplaisant. “Non, non. Laisse-moi t’exposer les grandes lignes du problème. Quand quelque chose se déplace, vite, extrêmement vite – aussi vite que tu vois tous tes objets familiers, dans ta chambre, lorsque ta nourrice allume la chandelle –, cette chose devient de plus en plus lourde. Pas plus grande comprends-tu : simplement plus lourde. Elle subit l’attraction de Teur, ou de tout autre corps céleste, plus fortement. Si elle arrivait à se déplacer à une vitesse suffisante, elle deviendrait elle-même un monde, et attirerait à elle d’autres objets célestes. Il n’y a d’ailleurs rien qui aille aussi vite, mais c’est ce qui se produirait si une telle chose existait. Et cependant, même la lumière qui émane de ta chandelle ne voyage pas assez vite pour aller d’un soleil à l’autre.”

« (Le poisson continuait toujours à se déplacer de haut en bas et d’un côté à l’autre.)

“Ne peut-on fabriquer une chandelle plus grosse ?” « Je suis sûre que Domnina pensait au cierge pascal qu’elle voyait chaque printemps, et qui était plus gros qu’une cuisse d’homme.

« “Certes, on le pourrait, mais sa lumière ne se déplacerait pas plus rapidement. Et bien que la lumière ait tellement peu de poids que cette qualité fasse partie de sa définition, elle exerce une certaine pression sur tout ce qu’elle touche, tout comme le vent, que nous ne pouvons pas voir, fait tourner les ailes d’un moulin. Examinons maintenant ce qui se passe lorsque nous plaçons une lumière entre des miroirs placés en face l’un de l’autre. Le reflet de l’image voyage de l’un à l’autre et s’en retourne. Supposons qu’il se rencontre lui-même sur le chemin du retour : d’après toi, qu’est-ce qui va se produire ?”

« En dépit de sa frayeur, Domnina se mit à rire, et répondit qu’elle ne pouvait deviner.

« “Il se produit un phénomène d’annulation. Tu n’as qu’à penser à deux petites filles en train de courir sur une pelouse sans regarder où elles vont. Eh bien, si elles se rencontrent, il n’y a plus personne qui court. Cependant, si les miroirs sont bien faits, si la distance qui les sépare a été bien calculée, les images ne se rencontrent pas. Au lieu de cela, l’une vient derrière l’autre. La chose reste sans effet lorsque la lumière provient d’une chandelle ou d’une étoile ordinaire, car l’une comme l’autre n’émettent qu’une lumière se déplaçant au hasard, sans ordre, et les forces déployées, au lieu de se conjuguer, disparaissent – un peu comme si tu jetais une poignée de cailloux dans un étang ; les vaguelettes s’entrechoquent et s’annulent. Néanmoins, si la lumière provient d’une source cohérente et produit des images réfléchies dans un miroir optiquement parfait, l’orientation du train d’ondes est identique, car l’image est la même. Or, comme rien, dans l’univers, ne peut dépasser la vitesse de la lumière, celle qui subit une accélération de cette sorte le quitte et en pénètre un autre. Quand elle ralentit, elle revient dans le nôtre – mais, bien entendu, en un autre endroit.