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— Ah, dit le Dr Talos, vous êtes un conteur professionnel ! J’aurais aimé le savoir dès le début, car, comme vous pouvez le deviner, nous sommes à peu de chose près confrères. »

Jonas secoua la tête. « Pas du tout ; cette histoire est la seule que je connaisse, ou presque. » Il abaissa les yeux vers Jolenta. « Puis-je continuer, ô la plus merveilleuse des femmes ? »

Mon attention fut attirée à ce moment-là par une trouée de lumière en avant de nous, ainsi que par les désordres occasionnés par un embouteillage de véhicules ; certains cherchaient à reculer, et les conducteurs houspillaient leurs attelages, essayant de se frayer une voie à coups de fouet.

«… Elle montra les haricots aux seigneurs des hommes, et leur dit que si on ne lui obéissait pas en tout point, elle les jetterait dans l’océan, ce qui mettrait fin au monde. Ils la firent arrêter et elle fut mise en morceaux, car leur pouvoir était des centaines de fois plus fermement établi que celui de notre Autarque.

— Puisse-t-il vivre assez vieux pour voir le Nouveau Soleil », murmura Jolenta.

Dorcas affermit sa main sur mon bras et me demanda :

« Pourquoi ont-ils tellement peur ? » Puis l’instant d’après, elle poussa un cri et plongea son visage dans ses mains : elle venait d’être atteinte à la joue par le bout métallique d’une lanière de fouet. Je dépassai l’homme au merychippus, saisis par la cheville le charretier qui l’avait frappée, et l’arrachai de son siège. Entre-temps, c’est tout le passage sous la porte qui s’était mis à résonner du bruit des hurlements et des jurons, des cris des blessés, et des meuglements ou des hennissements des animaux effrayés. Je ne sais si l’étranger continua son récit, en tout cas je ne l’entendis pas.

Le conducteur que j’avais jeté à terre était certainement mort sur le coup. Voulant impressionner Dorcas, j’avais espéré pouvoir lui infliger ce supplice que nous appelons deux abricots ; mais il était tombé sous les pieds des passants et sous les lourdes roues des charrettes. Même ses cris se perdirent.

Ici, je fais une pause ; je t’ai conduit, lecteur, d’une porte à une autre – du portail verrouillé et emmitouflé de brumes de notre nécropole à cette porte-ci, ourlée de tortillons de nuages, la plus grande au monde, actuellement, et peut-être la plus grande de tous les temps. C’est en franchissant la première que j’ai fait le premier pas sur la route qui devait me conduire jusqu’à la seconde. Et en passant sous sa voûte, c’est un autre premier pas que je faisais, sur une nouvelle route. À travers cette gigantesque porte, elle allait me conduire, pendant longtemps, hors de la Ville impérissable, parmi forêts et pâturages, jusqu’aux montagnes et aux jungles du nord.

Ici je fais une pause. Si tu ne souhaites pas aller plus loin en ma compagnie, lecteur, je ne saurais te blâmer : le chemin n’est pas facile.

Appendice

Remarques sur la traduction

En traduisant ce livre – originellement écrit dans une langue qui n’a pas encore d’existence réelle – en anglais, j’aurais pu m’épargner beaucoup d’efforts en ayant recours à des termes de mon invention ; mais ce n’est pas ainsi que j’ai procédé. Cependant, dans nombre de cas, je me suis vu dans l’obligation de remplacer des concepts qui restent à découvrir par les équivalents les plus proches que l’on puisse trouver au XXe siècle. C’est ainsi que j’ai employé les termes de peltaste, d’androgyne et d’exultant ; mais il faut y voir davantage une indication qu’un mot clairement défini. Le substantif métal est utilisé – mais pas toujours – pour désigner une substance qui se rapproche en effet de ce que le mot évoque pour des esprits contemporains.

Lorsque le manuscrit parle d’espèces animales résultant de manipulations biogénétiques ou importées de planètes extrasolaires, j’ai pris la liberté de me servir du nom des espèces disparues les plus proches. (Et de fait, Sévérian, à plusieurs reprises, semble affirmer que des races éteintes ont été rétablies.) La nature des animaux de selle, comme de bât, n’est pas toujours très claire dans le texte original. J’ai éprouvé certains scrupules à appeler ces animaux des chevaux, car j’ai la certitude que le mot n’est pas correct. Les « destriers » du Livre du Nouveau Soleil sont des bêtes manifestement plus rapides et plus endurantes que celles que nous connaissons actuellement ; ceux qu’emploie la cavalerie, notamment, semblent pouvoir atteindre une vitesse telle qu’elle permet de lancer des charges contre des ennemis équipés d’un armement à rayonnement d’énergie.

Le latin est employé deux ou trois fois, lorsque Sévérian tombe sur des inscriptions ou des phrases dans un langage qui, à ses yeux, est périmé depuis longtemps. Je n’ai aucune idée de ce que pouvait être ce langage.

Je tiens à exprimer ma gratitude à tous ceux qui m’ont précédé dans l’étude du monde posthistorique, et en particulier aux collectionneurs – trop nombreux pour être nommés ici – qui m’ont permis d’examiner les artefacts ayant survécu à tant de siècles d’avenir, et tout spécialement à ceux qui m’ont permis de visiter et de photographier les rares constructions survivantes de cette époque.

G. W.

FIN LIVRE I