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– Il me semble aussi mais que pouvais-je faire ? C’est pourquoi j’ai télégraphié.

– Vous avez eu raison et je vais tirer tout cela au clair.

– Moi, ce que je voudrais bien tirer au clair c’est ce qu’il y a de vrai. Elle est ta fiancée oui ou non ?

– Non. J’admets lui avoir proposé, l’année dernière, de devenir ma femme mais ce projet n’a pas eu l’air de retenir son attention. Aussi tu n’as guère de raisons, Cecina, de faire tes bagages... Prépare-moi plutôt des scampis pour le déjeuner...

Quittant la cuisine, Morosini se dirigea vers l’escalier dans l’intention d’aller faire un peu de toilette. Il trouva d’ailleurs Zaccaria dans sa chambre, occupé à lui préparer un bain comme il en avait l’habitude à chacun de ses retours :

– Zaccaria, je voudrais que tu ailles saluer lady Ferrals de ma part et que tu lui dises de bien vouloir venir me rejoindre à dix heures dans la bibliothèque. Compris ?

– C’est très clair, il me semble ! Un peu solennel peut-être ?

La commission n’enchantait pas le vieux majordome qui, contrairement à son épouse, ne discutait jamais un ordre. Il s’acquitta de celui-là puis revint dire que c’était d’accord, sans autre commentaire.

Immergé dans sa baignoire, Aldo essaya de jouir pleinement du moment qu’il préférait dans la journée : tremper dans de l’eau chaude parfumée à la lavande en fumant une cigarette : c’était toujours là qu’il réfléchissait le mieux...

Durant tous ces mois écoulés, il avait bien souvent pensé à Anielka. Avec une irritation grandissante d’ailleurs. Le silence où elle avait choisi de disparaître après son acquittement par le tribunal d’Old Bailey était d’abord apparu à Morosini comme surprenant – il s’était donné assez de mal pour mériter au moins un mot de remerciement ! – puis blessant et, enfin, franchement offensant. Et voilà que la belle Polonaise tombait chez lui telle la foudre, sans se soucier le moins du monde des dégâts qu’elle pourrait causer en osant se déclarer sa fiancée.

– Et si je vivais avec quelqu’un, moi ? s’indigna Morosini en s’octroyant une seconde dose de tabac anglais. C’est un coup à briser un ménage... ou un embryon de ménage !

Sa colère, qu’il nourrissait, lui tint compagnie tandis qu’il achevait de se laver puis s’introduisait dans une chemise d’un bleu léger et dans un costume de flanelle tout aussi anglais que son tabac. Il brossa ses épais cheveux bruns que la quarantaine argentait légèrement aux tempes, ce qui ajoutait un charme supplémentaire à son brun visage où la nonchalance du sourire à belles dents blanches tempérait l’arrogance du nez et l’éclat des yeux d’un bleu d’acier facilement moqueurs. Il ne jeta qu’un regard distrait à son image et descendit enfin à la bibliothèque pour y rencontrer celle dont il ne savait plus trop quel effet elle allait lui produire.

Comme il n’était pas encore dix heures, il pensait arriver avant elle. Pourtant, elle était déjà là. S’il en fut contrarié, ce ne fut qu’un instant : son entrée n’ayant fait aucun bruit, il put s’accorder le loisir de contempler cette jeune femme qui, à vingt ans, tout juste, trouvait le moyen d’avoir derrière elle un passé déjà chargé et l’ombre tragique de deux hommes : son mari, sir Eric Ferrals, le richissime marchand de canons, assassiné par empoisonnement, et son amant Ladislas Wosinski, suicidé par pendaison.

Elle avait ouvert l’un des cartulaires et, debout près de la grosse mappemonde sur piétement de bronze placée devant la fenêtre centrale, elle examinait une carte marine ancienne. Sa fine silhouette se découpait harmonieusement dans la lumière du soleil et son image était toujours ravissante. Différente cependant, et il ne fut pas certain que ce changement lui plût. Certes, la robe courte, d’une teinte de miel qui s’accordait avec les yeux de la jeune femme, révélait jusqu’aux genoux les plus jolies jambes qui soient, mais les beaux cheveux blonds qu’Aldo avait toujours trouvés si émouvants étaient réduits à un petit casque lustré, à la dernière mode sans doute, mais infiniment moins seyant que la précédente coiffure. L’Amérique et ses outrances, Paris et sa garçonne étaient passés par là, et c’était dommage.

Cependant, en dépit de ce qu’il croyait, Anielka avait dû l’entendre arriver. Sans quitter des yeux le parchemin vénérable qu’elle contemplait, elle dit du ton le plus naturel, comme s’ils étaient quittés depuis quelques heures seulement :

– Vous avez ici des merveilles, mon cher Aldo !

– Cette bibliothèque est la seule pièce de ce palais avec la chambre de ma mère où je n’ai rien prélevé lorsque j’ai monté ma maison d’antiquités. Mais est-ce pour les admirer que vous avez pris la peine de venir jusqu’ici ? Il existe de par le monde des musées plus intéressants !

D’un geste désinvolte où entrait un défi, elle laissa tomber l’antique portulan qu’il attrapa au vol avant d’aller le remettre à sa place.

– Les musées ne m’ont jamais attirée : vous savez bien que j’aime surtout les jardins. Je n’ai pris ceci que pour passer le temps en vous attendant mais je sais tout de même reconnaître la valeur des choses.

– On ne le dirait guère !

Se retournant brusquement, il s’adossa au meuble et demanda froidement :

– Que venez-vous faire ici ?

Une surprise pleine d’innocence agrandit encore les yeux dorés de la jeune femme :

– Eh bien, quel accueil ! J’avoue que j’en espérais un autre. Ne fut-il pas un temps où vous vous déclariez mon chevalier, où vous vouliez me persuader de vous suivre à Venise, où vous juriez que, devenue votre femme, je n’aurais plus rien à craindre ?

– C’est exact mais n’avez-vous pas, très peu de temps après, choisi d’en épouser un autre ? Vous êtes toujours lady Ferrals, ou bien est-ce une erreur ?

– Non, je le suis toujours.

– Et comme je ne me souviens pas d’avoir jamais demandé la main de cette dame, j’apprécie peu que vous soyez arrivée ici en vous annonçant comme ma fiancée !

– C’est cela qui vous fâche ? Ne soyez pas stupide, mon ami ! Vous savez très bien que je vous ai toujours aimé et que, tôt ou tard, nous serons l’un à l’autre...

– Votre belle assurance m’enchante mais je crains de ne pas la partager. Il faut admettre, ma chère, que vous avez tout fait pour m’amener à une grande tiédeur de sentiments. La dernière fois que mon regard a croisé le vôtre, vous sortiez du tribunal en compagnie de votre père et vous avez disparu dans les brumes de l’Angleterre avant de vous embarquer à destination des États-Unis. Toutes choses que j’ai apprises par le superintendant Warren car vous n’avez jamais daigné m’en avertir. C’est pourtant vite écrit, un billet ! Sans parler d’un vulgaire coup de téléphone.

– Vous oubliez mon père. Dès que j’ai été libérée, il ne m’a plus lâchée une seconde. Et il ne vous aime pas, en dépit de ce que vous avez fait pour me secourir lorsque j’étais accusée de ce meurtre horrible. La sagesse était de l’écouter, de partir et de me faire oublier, pendant quelque temps tout au moins...

– Alors ne vous plaignez pas d’y avoir réussi ! Puis-je savoir quels sont vos projets à présent ? Mais d’abord, prenez un siège !

– Je ne suis pas fatiguée...

– Comme il vous plaira...

Anielka se déplaça lentement dans la vaste pièce en se rapprochant de la fenêtre et Aldo ne vit plus d’elle qu’un profil perdu.

– Vous ne m’aimez plus ? murmura-t-elle.

– C’est une question que je ne tiens pas à me poser. Vous êtes plus belle que jamais – encore que je déplore le sacrifice de vos cheveux ! – et, si vous posiez la question différemment, je répondrais que vous me plaisez toujours... !