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Brusquement, Aldo n’eut plus du tout envie de rire :

– Lisa ? Qu’est-ce qu’elle faisait là ?

– Elle est très liée avec l’une des filles de l’ambassadeur et, comme elle était à Paris pour courir les boutiques, elle n’a pas eu besoin d’être invitée puisqu’elle logeait chez son amie.

Morsini se rappela soudain qu’à Londres Kledermann lui avait dit que sa fille avait beaucoup d’amis en Angleterre.

– Et... l’agresseur ? C’était qui ?

– Oh rien ! Un quelconque attaché militaire persuadé qu’un uniforme peut tenir heu de séduction. Il a d’ailleurs vidé les lieux sans demander son reste. Ce n’était pas un foudre de guerre.

– Et... Lisa ?

– Elle m’a remercié puis nous avons bavardé... de tout et de rien. C’était très agréable, soupira Adalbert dont l’esprit était en train de s’évader vers les réminiscences de cette soirée dans un jardin nocturne.

– Elle va bien ?

Adalbert sourit aux anges sans s’apercevoir que le ton d’Aldo se faisait de plus en plus bref :

– Très bien... C’est une fille délicieuse ! Nous nous sommes revus à deux ou trois reprises : un déjeuner, un concert où je l’ai emmenée, un défilé de couturier...

– Bref, vous ne vous êtes plus quittés ? Et comme ce n’était pas suffisant, vous avez décidé de partir ensemble... en vacances ?

Le ton franchement acerbe finit par percer l’espèce de cocon moelleux dans lequel Vidal-Pellicorne se vautrait depuis quelques instants. Il tressaillit et regarda son ami avec la mine un peu ahurie de quelqu’un qui s’éveille : les prunelles couleur d’acier étaient en train de virer au vert ce qui, chez Morosini, était toujours signe de tempête :

– Mais qu’est-ce que tu vas imaginer ? Nous avons noué de vrais liens d’amitié. Bien sûr, nous avons un peu parlé de toi...

– Vous êtes très bons !

– Je crois qu’elle t’aime bien en dépit de la façon dont vous vous êtes quittés, et qu’elle regrette toujours Venise.

– Personne ne l’empêche d’y retourner. Alors, ce voyage ?

– J’y viens ! Un service dont je t’ai déjà parlé à demi-mot m’a demandé d’aller faire un tour en Bavière afin d’y observer les agissements d’un certain Hitler, qui s’est récemment lancé à l’attaque verbale de la République de Weimar et qui rassemble pas mal de monde autour de lui. Mais, pour ne pas trop attirer l’attention sur moi, on m’a demandé d’y aller en touriste donc en voiture. Le mieux était que j’emmène quelqu’un avec moi et, comme Lisa devait rentrer en Autriche pour l’anniversaire de sa grand-mère, l’idée de faire le voyage dans ma voiture lui a paru amusante et nous sommes partis... en camarades ! précisa Vidal-Pellicorne avec un clin d’œil inquiet au visage orageux de son ami...

– Et, bien que l’on t’ait envoyé en Allemagne, tu es allé jusqu’à Vienne ?

– Non. Jusqu’à Munich où mon travail m’a retenu plus que je ne le pensais. Aussi, pour ne pas retarder Lisa, je lui ai prêté ma voiture afin qu’elle soit à Bad Ischl en temps voulu. En dépit de l’envie qu’elle en avait, elle a commencé par refuser parce qu’ensuite elle devait monter sur Vienne, mais je l’ai convaincue en lui disant que j’irais reprendre ma voiture là-bas quand j’en aurais fini. Ce que je viens de faire. J’ajoute que je n’ai pas revu Lisa : elle venait de partir pour un bal à Budapest quand je suis arrivé. A présent, tu n’ignores plus rien !

– Elle savait ce que tu allais faire en Allemagne ?

– Tu rêves ? Je lui ai parlé d’une organisation de congrès d’archéologie, de quelques conférences éventuelles de ton serviteur.

– Et elle t’a cru ?

Les yeux qu’Adalbert planta dans ceux d’Aldo étaient d’une absolue candeur :

– Elle n’avait aucune raison de ne pas me croire. Je t’ai déjà dit que nous étions d’excellents amis.

– Eh bien, tu as plus de chance que moi ! A présent, oublions tout ça et occupons-nous de cette sacrée opale. Tu as une idée pour convaincre la dame aux dentelles de nous la vendre ?

– Comment veux-tu ? Je la connais encore moins que toi puisque je ne l’ai même pas vue. Le mieux et de rejoindre Ischl dès demain. Mme von Adlerstein doit y être encore, puisqu’elle n’était pas rentrée ce matin quand j’ai repris ma voiture.

Le lendemain, tandis que la petite Amilcar rouge trottait au long des cinquante-six kilomètres reliant Salzbourg à Bad Ischl à travers un charmant paysage de collines boisées et de lacs, Aldo laissait son esprit vagabonder à la suite de son ancienne secrétaire. S’il n’y avait eu l’évidence, il n’aurait jamais pu croire à une « Mina » allant à un bal hongrois, se faisant courtiser dans le jardin d’une ambassade par un sémillant officier, conduisant une voiture de sport et, enfin, courant les routes en compagnie d’Adalbert dont il se demandait sans oser vraiment se poser la question s’il n’était pas en train de tomber amoureux d’elle ? ... Et ce qu’il comprenait encore moins, c’était pourquoi tout cela lui était tellement désagréable ?

Soudain, il s’aperçut qu’en pensant à Lisa en tant que femme il était en train de tourner le dos à une évidence : elle devait se trouver à Vienne au moment du séjour de la dame mystérieuse, et donc la connaître. Au lieu d’aller faire le siège d’une vieille comtesse qui ne se laisserait peut-être pas convaincre, il serait peut-être beaucoup plus simple de courir après sa petite-fille ?

– Que diable, dit-il tout haut suivant le fil de sa pensée, elle a tout de même travaillé avec moi pendant deux ans, et bien travaillé ! Si quelqu’un peut nous renseigner c’est elle...

Sans cesser de surveiller la route d’un œil vigilant, Adalbert se mit à rire :

– Toi aussi, tu penses que Lisa serait pour nous la meilleure source de renseignements ? Le chiendent, c’est de lui remettre la main dessus.

– Ça devrait être facile pour toi puisque vous êtes si bons amis ? fit Morosini avec un rien de fiel.

– Pas plus que pour toi. Cette fille est un vrai courant d’air et j’ignore tout de ses projets.

– Tu lui as prêté ta chère voiture, tu lui as tenu heu de chevalier servant durant...

– Quinze jours ! Pas un de plus...

– ... et elle ne t’a pas dit où elle comptait se rendre après Budapest ?

– Eh non ! ... Pourtant, j’avoue le lui avoir demandé mais elle est restée très vague : peut-être un tour en Pologne où elle a des amis, ou alors Istanbul... à moins que ce ne soit l’Espagne. J’ai eu l’impression qu’elle n’entendait pas me mêler davantage à sa vie. Elle est très indépendante... et puis, elle m’avait peut-être assez vu !

Comme par magie, Aldo se sentit d’une humeur charmante qu’il conserva le reste du voyage. Il s’était même offert le luxe d’un : « Mais non, mais non ! » parfaitement hypocrite.

C’est à ses sources salées naturelles, jointes à une source sulfureuse, qu’Ischl devait sa renommée. La Cour avait choisi cette jolie ville au confluent de l’Ischl et de la Traun pour résidence estivale et l’aristocratie qui suivait la famille impériale en avait fait l’une des premières villes d’eaux d’Europe, une des plus élégantes aussi où il n’était pas rare que les plus grands artistes vinssent se produire devant un parterre de têtes couronnées.

On disait que François-Joseph – et ses frères par la suite ! – devaient leur venue au monde aux bains salins ordonnés à l’archiduchesse Sophie, leur mère, par le docteur Wirer-Rettenbach. Et puis, surtout, il y avait « le » roman impérial : les fiançailles décidées en quelques minutes du jeune empereur et de sa ravissante cousine Elisabeth, alors que le mariage avec la sœur aînée de la jeune fille, Hélène, était annoncé.