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– M’envoyer coucher à l’hôtel, moi, le petit-fils de... sa propre sœur ! Me dire qu’il n’y a pas de place pour moi, alors qu’il y a au moins... quinze chambres dans... cette foutue baraque ! Et moi, j’ vais à l’hôtel ! Tu peux comprendre ça, toi, Victor ?

– Ce n’est pas la première fois que ça vous arrive, monsieur Fritz ! C’est toujours comme ça quand la villa Rudolfskrone est pleine d’invités.

– Mais c’est que... justement... des invités y en a pas ! Pas vu un chat quand j’étais là-haut ! Ma cousine Lisa est pas là... et y a personne d’autre mais elle voulait pas d’moi, tante Vivi ! Si seulement j’savais pourquoi ? ... Donne-moi encore un schnaps, tiens ! Ça m’aidera peut-être...

Les deux hommes qui venaient de prendre place à une table voisine échangèrent un de ces coups d’œil complices qui n’ont pas besoin de traduction parce qu’ils pensaient tous les deux la même chose : il serait peut-être fructueux d’aller rôder autour de la maison ? La comtesse avait peur de quelque chose ou de quelqu’un et, cependant, elle chassait son petit-neveu qui pouvait lui être utile. Mais, comme un départ immédiat eût été pour le moins surprenant, ils commandèrent des fines à l’eau et s’installèrent plus confortablement pour les déguster tout en prêtant l’oreille au lamento de Fritz von Apfelgrüne. Qui se faisait d’ailleurs de plus en plus pâteux à mesure que défilaient les petits verres de schnaps. Finalement, ce qui devait arriver arriva : Fritz s’écroula sur le bar, la tête posée dans ses bras, et commença sa nuit.

– Seigneur ! gémit le barman entre ses dents, il va falloir le mettre au lit !

– On vous envoie le portier, dit Morosini en posant quelques pièces sur le guéridon.

– Ces messieurs ne restent pas encore un peu ?

– Non, nous allons passer un moment chez un ami...

– Dans ce cas, je ne vais pas tarder à fermer : il ne viendra sans doute plus personne... Avec ce temps !

La pluie, en effet, reprenait. On pouvait l’entendre tinter sur la marquise de l’hôtel. Adalbert et Aldo remontèrent dans leurs chambres pour y prendre casquettes et imperméables et changer leurs smokings contre chandails de laine et pantalons de flanelle puis, ainsi équipés contre le mauvais temps, descendirent au garage y prendre la voiture dont on releva la capote :

– Le chemin est trop long pour qu’on le fasse à pied, commenta Vidal-Pellicorne. On pourra sûrement la cacher dans les arbres à une petite distance du château.... Après, il faudra marcher.

– Tu crois que nous avons raison d’entreprendre cette expédition ? insinua Morosini. On se fait peut-être des idées ? ...

– Je ne crois pas. Pour avoir expédié Fritz qui a plutôt l’air d’un bon garçon et qui doit lui être tout dévoué, c’est que sa présence la gênait. Elle doit attendre quelqu’un. J’en mettrais ma main au feu !

CHAPITRE 5 UNE SOIRÉE BIEN REMPLIE.

Remontant au flanc du Jainzenberg, la puissante limousine roulait à vitesse réduite, le pinceau lumineux de ses phares glissant lentement le long des sapins comme si elle cherchait son chemin.

Pris d’une soudaine intuition, Adalbert éteignit ses propres lanternes et s’arrêta, sans trop savoir pourquoi. La suite lui donna raison. Au bout d’un instant, on ne vit plus rien qu’un reflet dans les arbres : la grosse voiture venait de s’engager dans l’allée de Rudolfskrone.

– On dirait que tu as raison, fit Morosini. Voilà celui ou ceux qu’elle attendait et à cause de qui elle faisait le vide autour d’elle...

– A nous maintenant de trouver un coin tranquille.

Vidal-Pellicorne remit la voiture en marche et ralluma ses phares, le temps, très court, de découvrir un sentier forestier dans lequel il s’engagea avant de stopper.

– Allons-y ! dit Aldo en s’extrayant du « baquet » doublé de cuir noir.

Les deux hommes couvrirent à pied la courte distance entre le refuge de leur automobile et l’entrée, sans grille ni murs, du petit château. Le ciel charriant par instants d’épais nuages de pluie donnait assez de clarté pour que l’on pût s’y reconnaître, et les deux hommes se mirent à courir jusqu’à ce que la demeure fût en vue. Ils aperçurent alors la voiture de tout à l’heure arrêtée devant l’entrée obscure. Les seules lumières venaient de deux fenêtres de la loggia, celles correspondant au salon où les deux amis avaient été reçus dans l’après-midi.

– Ça devrait être facile de grimper là-haut, souffla Adalbert, mais il faut ouvrir l’œil : lors de notre visite, j’ai entendu aboyer des chiens. Il y en a sûrement dans cette propriété...

– Oui, mais si la comtesse attendait des visiteurs nocturnes, elle a dû interdire qu’on les lâche...

Devant la maison, l’allée centrale coupait en deux une pelouse bordée d’ifs taillés alternativement en cônes et en boules. Aldo et Adalbert choisirent d’en faire le tour afin d’atteindre leur objectif sans être vus.

Réservé au service et à certaines dépendances, l’étage inférieur de la villa était beaucoup moins élevé que l’étage noble dominé par un fronton triangulaire. Il se composait de gros blocs en pierre de taille dont l’escalade ne devait pas offrir de grandes difficultés à des hommes rompus aux exercices physiques et au sport. S’entraidant mutuellement, Aldo et Adalbert la menèrent à bien sans faire de bruit et se retrouvèrent dans la loggia où la lumière provenant des fenêtres permettait de se

diriger sans encombre au milieu des meubles et des plantes disposées pour l’agrément des habitants.

Progressant à quatre pattes, les deux hommes s’approchèrent des portes-fenêtres après s’être assurés que les armes dont ils avaient jugé bon de se munir étaient à portée de main, mais le spectacle qu’ils découvrirent les surprit.

Ils s’attendaient à une scène dramatique : la comtesse faisant face à un ennemi ou peut-être même tenue en respect, or le tableau qu’ils découvraient était paisible, quasi familial. Assise auprès du feu que l’on avait dû allumer pour combattre l’humidité de l’air, Mme von Adlerstein, vêtue d’une longue robe de velours noir sur laquelle ressortaient plusieurs rangs de perles, regardait paisiblement un homme âgé, si l’on considérait la couronne de cheveux blancs qui cernait sa calvitie et sa barbiche poivre et sel, mais dont le visage bruni et les belles mains fortes parlaient de vie au grand air et d’un âge moins avancé qu’on aurait pu croire. Installé à une petite table, il était occupé à restaurer un appétit qui devait en avoir besoin à l’aide d’un magnifique pâté et d’une longue bouteille d’un vin blanc dont l’or liquide embuait le verre de cristal taillé. Ni l’un ni l’autre ne parlait, ainsi que pouvaient le constater les deux observateurs grâce à l’une des fenêtres maintenue entrouverte.

– Tu ne crois pas que nous devrions filer ? chuchota Morosini, gêné par l’aspect d’intimité et de connivence de cette scène. Nous nous sommes trompés et j’ai bien peur que nous soyons en train de nous comporter comme des voyous.

– Chut ! On y est, on y reste ! On ne va pas avoir fait tout ça pour rien. Et puis... on ne sait jamais !

Dans le salon, le visiteur repoussait la table et rejoignait la cheminée, au bord de laquelle il s’accouda après avoir demandé et obtenu la permission d’allumer un cigare.

– Merci de vous être souvenue de mon robuste appétit, ma chère Valérie ! Ce petit repas était délicieux !

– Ne voulez-vous pas une tasse de café ? Josef va vous en apporter dans un instant...

– L’heure est tardive. Je n’osais pas vous en demander.