– Ne pensez plus à ça ! Ce n’était pas bien méchant...
– Wirklich ? ... Vous ne pas exécrer moi ?
– Pas du tout ! C’est oublié. Voulez-vous prendre place à notre table ? Je vous présente
M. Vidal-Pellicorne, un archéologue de grand renom !
– Oh, je être si tellement heureux !
Deux serveurs empressés apportèrent à la table les modifications nécessaires et Fritz, la mine soudain épanouie, s’installa. En accueillant si aimablement ses excuses, Aldo devait l’avoir soulagé d’un grand poids.
– Ainsi, dit Aldo en allemand, pour inciter l’autre à en faire autant et le mettre encore plus à l’aise, vous êtes un neveu de Mme von Adlerstein ?
– Non, petite-neveu ! fit l’autre qui tenait à faire montre de ses talents linguistiques. Je être la petite-fils de sa sœur.
– Et, si je vous ai bien compris, au cours de nos récentes rencontres, vous êtes aussi le fiancé de votre cousine ?
Apfelgrüne devint rouge comme une belle cerise.
– Je vouloir si tellement ! Mais ce n’être pas la vraie vérité. Vous comprenez, ajouta-t-il en renonçant à une langue qui ne devait pas lui permettre de traduire clairement l’intensité de ses sentiments, Lisa et moi nous nous connaissons depuis l’enfance et, depuis l’enfance, je suis amoureux d’elle. Ça amusait même beaucoup la famille : elle disait toujours que nous étions fiancés. Un jeu, bien sûr, mais moi j’ai continué le jeu.
– Et elle ?
– Oh, soupira Fritz, l’air soudain mélancolique, c’est une fille tellement indépendante ! Il est bien difficile de savoir qui elle aime ou qui elle n’aime pas. Je crois qu’elle m’aime bien. Mais vous la connaissez, puisque vous avez dit à Josef que vous étiez de ses amis ? fit avec un reste de rancune le jeune Apfelgrüne qui était peut-être un hurluberlu mais ne manquait pas de mémoire. Aussi Adalbert se hâta-t-il d’apporter tous les apaisements nécessaires.
– Nous sommes amis mais pas intimes. Quant aux rapports de Mlle Kledermann avec le prince Morosini, ici présent, le terme relations me paraît plus approprié, ajouta-t-il avec un coup d’œil d’innocente interrogation en direction de son camarade. Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu d’amitié entre eux ?
– En effet, dit Aldo avec une franchise tout aussi hypocrite. Je connais à peine Mlle Kledermann...
– Pourtant, vous êtes italien, vénitien même, et Lisa a toujours déliré au sujet de votre ville. Je crois même qu’elle y a résidé en catimini pendant deux années.
– J’admets l’avoir rencontrée une ou deux fois... dans des salons...
– Vous avez plus de chance que moi. Croyant l’y trouver, j’y suis allé plusieurs fois mais je n’ai pas pu mettre la main dessus. Quant à Zurich où est sa maison familiale, elle n’y vient jamais.
– Et vous pensiez la trouver ici ?
– J’espérais qu’elle y serait puisque je l’ai cherchée vainement à Vienne. Vous savez, depuis qu’elle a abandonné ses lubies italiennes, elle est souvent auprès de sa grand-mère qu’elle aime beaucoup. Mais vous, pourquoi étiez-vous à Rudolfskrone ?
Un reste de méfiance perçait dans sa voix, aussi
Adalbert fit-il comprendre d’un clin d’œil à Aldo qu’il se chargeait des explications. Quand il s’agissait de raconter des histoires, c’était sans doute lui le plus doué, mais il convenait d’apprendre jusqu’à quel point Fritz était renseigné sur ce qui se passait là-haut.
– Mme von Adlerstein ne vous a rien raconté, hier soir ?
– Elle ? Rien du tout ! Elle était si furieuse de me voir arriver qu’elle m’a jeté à la porte sous le prétexte que je l’encombrais et qu’elle détestait qu’on débarque chez elle sans prévenir. Du coup, je n’ose pas y retourner et cela m’ennuie parce que j’avais quelque chose à lui demander...
– Vous habitez Vienne ?
– Oui, chez mes parents, précisa Fritz. Grâce à Dieu, il leur reste suffisamment de fortune pour que j’aie ma liberté. Mais parlons plutôt de vous !
Tranquille sur ses arrières, Vidal-Pellicorne choisit un moyen terme entre réalité et fantaisie : il raconta que son ami Morosini, expert en pierres précieuses et collectionneur, passionné en outre par les Habsbourg, cherchait à rassembler leurs bijoux vendus à Genève pendant la guerre par le comte Berthold. Or, invité par un ami à l’Opéra de Vienne, il avait cru reconnaître l’un des joyaux en question sur une dame qu’il croyait être la comtesse von Adlerstein puisqu’elle occupait sa loge. Depuis, il s’efforçait de la rencontrer.
– Vous savez comment sont les collectionneurs ? ajouta-t-il avec une douce indulgence. Ils deviennent fous dès qu’ils flairent une piste. Malheureusement, il a fait chou blanc : la dame est une amie de votre grand-tante et celle-ci ne nous a pas caché sa façon de penser : la propriétaire du bijou considérerait toute proposition de vente comme une inconvenance. Elle a même refusé de nous donner son nom et son adresse.
– Ça ne m’étonne pas ! Elle n’est pas facile, tante Vivi ! Quant à moi si je pouvais vous aider, je le ferais volontiers mais je ne mets jamais les pieds à l’Opéra. Ces gens qui vont dans tous les sens en clamant qu’ils vont mourir ou qui s’assoient en disant qu’il importe de fuir m’ennuient à pleurer... Et vous ? Si j’ai bien compris vous êtes archéologue ?
– Surtout égyptologue mais, depuis quelque temps, je désire en connaître un peu plus sur votre antique civilisation de Hallstatt et je suis venu ici pour visiter le site. Il se trouve que j’ai rencontré Morosini à Salzbourg et nous sommes venus ensemble. Mais l’archéologie ne vous captive sans doute pas plus que l’opéra ? ajouta Adalbert avec sollicitude.
– Pas vraiment mais il se trouve que je connais bien le coin ! Il y a là-bas les ruines de Hochadlerstein, le vieux burg familial sur les contreforts du Dachstein où j’ai joué bien souvent pendant les vacances... quand j’étais gamin.
– Vous n’habitiez tout de même pas des ruines ? intervint Aldo, traversé par une idée soudaine.
– Non. On louait une maison : ma mère aime beaucoup l’endroit... Je vous montrerai volontiers Hallstatt, ajouta Fritz à l’adresse d’Adalbert. Je vais passer trois ou quatre jours ici pour voir si l’humeur de tante Vivi s’arrange. Et comme vous allez sans doute vous retrouver seul...
Ses préférences allant à Vidal-Pellicorne, il y avait une note d’espoir dans sa voix. Gomme c’était un garçon honnête et bien élevé, il avait présenté à Morosini les excuses qu’il jugeait convenables, mais il ne débordait pas de sympathie pour lui. Le physique du Vénitien devait y être pour quelque chose.
– Pourquoi resterait-il seul ? demanda Aldo sur le mode ironique.
– Vous allez partir, puisque vous n’avez pas réussi votre entreprise. Je vous te remplacer ! conclut-il revenant joyeusement à son français pittoresque. Ainsi je faire beaucoup de la progrès.
– Eh bien, vous en ferez aussi avec moi !
– Vous reste ?
– Mon Dieu, oui. Figurez-vous que les Habsbourg me passionnent au point que j’ai l’intention d’écrire un livre sur la vie quotidienne à Bad Ischl au temps de François-Joseph, déclara-t-il en suivant avec amusement les progrès de la déception sur le visage rond du jeune homme. Ainsi, je vais à présent faire un tour en ville. Mais je ne vous empêche pas d’aller excursionner tous les deux.
– Ça, c’est la bonne idée ! s’écria Fritz consolé. Et je monter dans la petite bolide rouge ! Seulement, je vous te prévenir : la route ne va pas jusqu’à Hallstatt : il faut marcher après ou alors prendre le bateau.