Выбрать главу

XIV

Le banc paraissait un peu humide et vert foncé. Malgré tout, cette allée n’était pas très fréquentée et ils n’étaient pas mal.

« Vous n’avez pas froid ? demanda Colin.

– Non, avec ce nuage, dit Chloé. Mais… je veux bien me rapprocher tout de même.

– Oh !… » dit Colin et il rougit.

Ça lui fit une drôle de sensation. Il mit son bras autour de la taille de Chloé. Sa toque était inclinée de l’autre côté et il avait, tout près des lèvres, un flot de cheveux lustrés.

« J’aime être avec vous », dit-il.

Chloé ne dit rien. Elle respira un peu plus vite et se rapprocha insensiblement.

Colin lui parlait presque à l’oreille.

« Vous ne vous ennuyez pas ? » demanda-t-il.

Elle fit non de la tête, et Colin put se rapprocher encore à la faveur du mouvement.

« Je… » dit-il tout contre son oreille, et, à ce moment, comme par erreur, elle tourna la tête et Colin lui embrassait les lèvres. Ça ne dura pas très longtemps ; mais, la fois d’après, c’était beaucoup mieux. Alors, il fourra sa figure dans les cheveux de Chloé, et ils restèrent là, sans rien dire.

XV

« Vous êtes gentille d’être venue, Alise, dit Colin. Pourtant, vous serez la seule fille…

– Ça ne fait rien, dit Alise. Chick est d’accord. »

Chick approuva. Mais, à vrai dire, la voix d’Alise n’était pas entièrement gaie.

« Chloé n’est pas à Paris, dit Colin. Elle est partie trois semaines avec des relatifs dans le Midi.

– Ah ! dit Chick, tu dois être très malheureux.

– Je n’ai pas été plus heureux ! dit Colin. Je voulais vous annoncer mes fiançailles avec elle…

– Je te félicite », dit Chick.

Il évitait de regarder Alise.

« Qu’est-ce qu’il y a vous deux ? dit Colin. Ça n’a pas l’air de carburer fort.

– Il n’y a rien, dit Alise. C’est Chick qui est bête.

– Mais non, dit Chick. Ne l’écoute pas, Colin… Il n’y a rien.

– Vous dites la même chose, et vous n’êtes pas d’accord, dit Colin, donc, il y en a un des deux qui ment, ou bien tous les deux. Venez, on va dîner tout de suite. »

Ils passèrent dans la salle à manger.

« Asseyez-vous, Alise, dit Colin. Venez à côté de moi, vous allez me dire ce qu’il y a.

– Chick est bête, dit Alise. Il dit qu’il a tort de me garder avec lui puisqu’il n’a pas d’argent pour me faire vivre bien, et il a honte de ne pas m’épouser.

– Je suis un salaud, dit Chick.

– Je ne sais pas quoi vous dire », dit Colin.

Il était si heureux que ça lui faisait énormément de peine.

« Ce n’est pas surtout l’argent, dit Chick. C’est que les parents d’Alise ne voudront jamais que je l’épouse, et ils auront raison. Il y a une histoire comme ça dans un des livres de Partre.

– C’est un livre excellent, dit Alise. Vous ne l’avez pas lu, Colin ?

– Voilà comme vous êtes, dit Colin. Je suis sûr que tout votre argent continue à y passer. »

Chick et Alise baissèrent le nez.

« C’est ma faute, dit Chick. Alise ne dépense plus rien pour Partre. Elle ne s’en occupe presque plus depuis qu’elle vit avec moi. »

Sa voix contenait un reproche.

« Je t’aime mieux que Partre », dit Alise.

Elle allait presque pleurer.

« Tu es gentille, dit Chick. Je ne te mérite pas. Mais c’est mon vice, collectionner Partre, et, malheureusement, un ingénieur ne peut pas se permettre d’avoir tout.

– Je suis désolé, dit Colin. Je voudrais que tout aille bien pour vous. Vous devriez déplier votre serviette. »

Il y avait, sous celle de Chick, un exemplaire relié mi-mouffette du Vomi, et, sous celle d’Alise, une grosse bague d’or en forme de nausée.

« Oh !… » dit Alise.

Elle mit ses bras autour du cou de Colin et l’embrassa.

« Tu es un chic type, dit Chick. Je ne sais pas comment te remercier ; d’ailleurs, tu sais très bien que je ne peux pas te remercier comme je le voudrais… »

Colin se sentait un peu réconforté. Et Alise était vraiment en beauté ce soir.

« Quel parfum avez-vous ? dit-il. Chloé se parfume à l’essence d’orchidée bidistillée.

– Je n’ai pas de parfum, dit Alise.

– C’est naturel, dit Chick.

– C’est merveilleux !… dit Colin. Vous sentez la forêt, avec un ruisseau et des petits lapins.

– Parlez-nous de Chloé !… » dit Alise flattée.

Nicolas apportait les hors-d’œuvre.

« Bonjour, Nicolas, dit Alise. Tu vas bien ?

– Oui », dit Nicolas.

Il posa le plateau sur la table.

« Tu ne m’embrasses pas ? dit Alise.

– Ne vous gênez pas, Nicolas, dit Colin. Même, vous me feriez un grand plaisir en dînant avec nous…

– Oh ! Oui… dit Alise. Dîne avec nous.

– Monsieur me plonge dans la confusion, dit Nicolas. Je ne puis m’asseoir à sa table dans cette tenue…

– Écoutez, Nicolas, dit Colin. Allez vous changer si vous voulez, mais je vous intime l’ordre de dîner avec nous.

– Je remercie Monsieur, dit Nicolas. Je vais me changer. »

Il déposa le plateau sur la table et sortit.

« Alors, dit Alise, Chloé ?

– Servez-vous, dit Colin. Je ne sais pas ce que c’est, mais ce doit être bon.

– Tu nous fais languir !… dit Chick.

– Je vais épouser Chloé dans un mois, dit Colin. Et je voudrais tant que ce soit demain !…

– Oh ! dit Alise, vous avez de la chance. »

Colin se sentait honteux d’être si riche.

« Écoute, Chick, dit-il, veux-tu de mon argent ? »

Alise regarda Colin avec tendresse. Il était si gentil qu’on voyait ses pensées bleues et mauves s’agiter dans les veines de ses mains.

« Je ne crois pas que cela serve, dit Chick.

– Tu pourrais épouser Alise, dit Colin.

– Ses parents ne veulent pas, répondit Chick, et je ne veux pas qu’elle se fâche avec eux. Elle est trop jeune…

– Je ne suis pas si jeune, dit Alise en se redressant sur la banquette capitonnée pour mettre en valeur sa poitrine provocante.

– Ce n’est pas ça qu’il veut dire !… interrompit Colin. Écoute, Chick, j’ai cent mille doublezons, je t’en donnerai le quart et tu pourras vivre tranquillement. Tu continueras à travailler et comme ça, ça ira.

– Je ne pourrai jamais assez te remercier, dit Chick.

– Ne me remercie pas, dit Colin. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le bonheur de tous les hommes, c’est celui de chacun. »

On sonna à la porte.

« Je vais ouvrir, dit Alise. Je suis la plus jeune, c’est vous-même qui me le reprochez… »

Elle se leva et ses pieds firent un frottis menu sur le tapis souple.

C’était Nicolas, descendu par l’escalier de service. Il revenait, maintenant, vêtu d’un pardessus d’épais tissu godon à chevrons beiges et verts et coiffé d’un feutre amerlaud extra-plat. Il avait des gants de porc dépossédé, des souliers de gavial consistant, et, lorsqu’il eut retiré son manteau, il apparut dans toute sa splendeur, veste de velours marron à côtes d’ivoire et pantalons bleu pétrole à revers larges de cinq doigts et le pouce.

« Oh ! dit Alise. Comme tu es smart !…

– Comment ça va, ma nièce ? Toujours belle ?… »

Il lui caressa la poitrine et les hanches.

« Viens à table, dit Alise.

– Bonjour, les amis, dit Nicolas en entrant.

– Enfin ! dit Colin. Vous vous décidez à parler normalement !…

– Bien sûr ! dit Nicolas. Je peux aussi. Mais dis-moi, poursuivit-il, si on se tutoyait, tous les quatre ?

полную версию книги