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Elle était cachée dans un réduit, recroquevillée, la tête entre les genoux. Une main plaquée sur sa bouche lui interdisait de parler. Elle avait envie de pleurer, mais celle qui la retenait dans ses bras la suppliait de se taire.

Elle entendit le martèlement d’un poing à la porte. Les assauts devenaient plus violents, on donnait maintenant de sérieux coups de pied. Des bruits de pas, quelqu’un venait d’entrer. À l’abri du petit cagibi, Alice retenait son souffle, il lui sembla que sa respiration s’était arrêtée.

*

— Alice, réveillez-vous !

Daldry s’approcha du lit et posa une main sur son front.

— Ma pauvre, vous êtes brûlante.

Daldry l’aida à se soulever, redressa l’oreiller et l’allongea convenablement.

— Je vais appeler un médecin.

Il revint à son chevet quelques instants plus tard.

— Je crains que vous n’ayez attrapé bien plus qu’un rhume. Le docteur sera là bientôt, reposez-vous, je reste auprès de vous.

Daldry s’assit au pied du lit et fit exactement ce qu’il avait promis. Le médecin arriva dans l’heure. Il examina Alice, prit son pouls, écouta attentivement les battements de son cœur et sa respiration.

— Son état n’est pas à prendre à la légère, c’est très probablement la grippe. Qu’elle reste au chaud et qu’elle transpire. Faites-la boire, dit-il à Daldry, de l’eau tiède légèrement sucrée et des tisanes, par petites quantités chaque fois, mais le plus souvent possible.

Il confia de l’aspirine à Daldry.

— Voilà qui devrait faire retomber sa fièvre. Si ce n’était le cas d’ici à demain, conduisez-la à l’hôpital.

Daldry paya le médecin et le remercia de s’être déplacé un jour de Noël. Il alla chercher chez lui deux grandes couvertures dont il recouvrit Alice. Il repoussa au milieu de la pièce le fauteuil qui se trouvait devant la longue table de travail et s’y installa pour la nuit.

— Je me demande si je ne préférais tout de même pas lorsque vos bruyants amis me tenaient éveillé ; au moins, j’étais dans mon lit, grommela-t-il.

*

Dans la chambre, le bruit a cessé. Alice repousse la porte du placard où elle s’est réfugiée. Tout n’est plus que silence et absence. Les meubles sont renversés, le lit est défait. Par terre gît un cadre brisé. Alice écarte délicatement les éclats de verre et remet le dessin à sa place, sur la table de chevet. C’est un dessin à l’encre de Chine où deux visages lui sourient. La fenêtre est ouverte, un air doux souffle au-dehors et soulève les rideaux. Alice s’approche, le rebord de la fenêtre est trop haut, il lui faut grimper sur un tabouret pour voir la rue en contrebas. Elle se hisse, la lumière du jour est vive, elle plisse les yeux.

Sur le trottoir, un homme la regarde et lui sourit, un visage bienveillant, plein d’amour. Elle aime cet homme d’un amour sans retenue. Elle l’a toujours aimé ainsi, elle l’a toujours connu. Elle voudrait s’élancer vers lui, qu’il la prenne dans ses bras, elle voudrait le retenir, crier son prénom, mais elle n’a plus de voix. Alors Alice lui fait un petit signe de la main ; en réponse, l’homme agite sa casquette, lui sourit, avant de disparaître.

*

Alice rouvrit les yeux. Daldry la soutenait, portant un verre d’eau à ses lèvres en la suppliant de boire lentement.

— Je l’ai vu, murmura-t-elle, il était là.

— Le médecin est venu, dit Daldry. Un dimanche et jour de Noël, il faut qu’il soit consciencieux.

— Ce n’était pas un médecin.

— Il en avait pourtant tout l’air.

— J’ai vu l’homme qui m’attend là-bas.

— Très bien, dit Daldry, nous en reparlerons dès que vous irez mieux. En attendant, reposez-vous. J’ai l’impression que vous avez déjà un peu moins de fièvre.

— Il est bien plus beau que je ne l’imaginais.

— Je n’en doute pas une seconde. Je devrais attraper la grippe moi aussi, Esther Williams viendrait peut-être me rendre visite… Elle était irrésistible dans Emmenez-moi au bal.

— Oui, murmura Alice dans un demi-délire, il m’emmènera au bal.

— Parfait, pendant ce temps-là je pourrai dormir tranquille.

— Je dois partir à sa recherche, chuchota Alice, les yeux clos, il faut que j’aille là-bas, je dois le retrouver.

— Excellente idée ! Je vous suggère néanmoins d’attendre quelques jours. Je ne suis pas tout à fait certain que, dans votre état, le coup de foudre soit réciproque.

Alice s’était rendormie. Daldry soupira et reprit place dans son fauteuil. Il était quatre heures du matin, il avait le dos meurtri par la position inconfortable qu’il occupait, sa nuque lui faisait un mal de chien, mais Alice semblait reprendre des couleurs. L’aspirine agissait, la fièvre retombait. Daldry éteignit la lumière et pria pour que le sommeil le gagne.

*

Un lancinant ronflement réveilla Alice. Ses membres étaient encore endoloris, mais le froid avait quitté son corps pour laisser place à une douce tiédeur.

Elle rouvrit les yeux et découvrit son voisin, affalé dans le fauteuil, une couverture à ses pieds. Alice s’amusa de ce que le sourcil droit de Daldry se levait et retombait au rythme de sa respiration. Elle comprit enfin que son voisin avait passé la nuit à la veiller, et cela la mit dans un terrible embarras. Elle souleva délicatement la couverture, s’enroula dedans et se dirigea discrètement vers le réchaud. Elle prépara un thé, usant de mille précautions pour ne pas faire de bruit, et attendit devant le réchaud. Les ronflements de Daldry avaient redoublé, si fort qu’il en fut gêné dans son sommeil. Il se tourna sur le côté, glissa et s’étala de tout son long sur le parquet.

— Qu’est-ce que vous faites debout ? dit-il en bâillant.

— Du thé, répondit Alice en le versant dans les tasses.

Daldry se releva et s’étira en se frottant les reins.

— Voulez-vous aller vous recoucher tout de suite.

— Je vais beaucoup mieux.

— Vous me faites penser à ma sœur et ce n’est pas un compliment. Aussi têtue et insouciante. À peine avez-vous récupéré quelques forces que vous vous exposez au froid. Allez, pas de discussion, filez au lit ! Je vais m’occuper de votre thé. Enfin, si mes bras veulent bien coopérer, ce ne sont plus quelques fourmis qui me parcourent le corps, mais une colonie tout entière.

— Je suis confuse du mal que vous vous êtes donné, répondit Alice en obéissant à Daldry.

Elle s’assit dans son lit et accueillit le plateau qu’il déposa sur ses genoux.

— Vous avez un peu d’appétit ? demanda-t-il.

— Non, pas vraiment.

— Eh bien vous allez manger quand même, c’est nécessaire, dit Daldry.

Il traversa le palier et revint avec une boîte de biscuits en métal.

— Ce sont de vrais shortbreads ? demanda-t-elle. Je n’en ai pas goûté depuis une éternité.

— Aussi vrais que possible, ils sont faits maison, dit-il fièrement en trempant un biscuit dans sa tasse de thé.

— Ils ont l’air délicieux, dit Alice.

— Évidemment ! Puisque je vous dis que je les ai faits moi-même.

— C’est fou…

— Qu’est-ce que mes shortbreads peuvent donc avoir de fou ? s’offusqua Daldry.

— … comme certaines saveurs vous rappellent votre enfance. Ma mère en préparait le dimanche, nous les mangions avec un chocolat chaud, chaque soir de la semaine, aussitôt mes devoirs terminés. À l’époque, je ne les appréciais pas beaucoup, je les laissais fondre au fond de ma tasse, et maman ne voyait rien à mon manège. Plus tard, pendant la guerre, alors que nous attendions dans les abris que les sirènes se taisent, le souvenir des shortbreads m’envahissait. Au fond d’une cave ébranlée par les bombes qui tombaient à proximité, j’ai si souvent rêvé à ces goûters.