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— Je crois que je n’ai jamais eu le bonheur de vivre un moment aussi intime avec ma mère, dit Daldry. Je ne prétendrai pas que mes biscuits égalent ceux de vos souvenirs, mais j’espère qu’ils sont à votre goût.

— Pourrais-je vous en redemander un ? dit Alice.

— À propos de rêves, vous avez fait de sérieux cauchemars cette nuit, marmonna Daldry.

— Je sais, je m’en souviens, je me promenais pieds nus dans une ruelle surgie d’un autre temps.

— Le temps n’a pas de prise dans les rêves.

— Vous ne comprenez pas, j’avais l’impression de connaître cet endroit.

— Probablement quelques réminiscences. Tout s’emmêle dans les cauchemars.

— C’était un mélange effrayant, Daldry, j’avais encore plus peur que sous les V1 allemands.

— Ils faisaient peut-être aussi partie de votre cauchemar ?

— Non, je me trouvais bien ailleurs. On me traquait, on me voulait du mal. Et, lorsqu’il est apparu, la peur s’est effacée, j’avais la sensation que plus rien ne pouvait m’arriver.

— Lorsque qui est apparu ?

— Cet homme dans la rue, il me souriait. Il m’a saluée avec sa casquette et puis il est parti.

— Vous l’évoquez avec une émotion troublante de vérité.

Alice soupira.

— Vous devriez aller vous reposer, Daldry, vous avez une mine de papier mâché.

— C’est vous la malade, mais je reconnais que votre fauteuil n’est pas très confortable.

On frappa à la porte. Daldry alla ouvrir, et trouva Carol sur le palier, un gros panier en osier à la main.

— Qu’est-ce que vous faites là ? Ne me dites pas qu’Alice vous dérange aussi quand elle est seule ? demanda Carol en entrant dans la pièce.

Puis elle vit son amie au lit et s’en étonna.

— Votre copine a contracté une bonne grippe, répondit Daldry en défroissant sa veste, un peu gêné devant Carol.

— Alors, j’arrive à point nommé. Vous pouvez nous laisser, je suis infirmière, Alice est entre de bonnes mains maintenant.

Elle raccompagna Daldry à la porte, le pressant de quitter les lieux.

— Allez, dit-elle, Alice a besoin de repos, je vais m’occuper d’elle.

— Ethan ? appela Alice depuis son lit.

Daldry se hissa sur la pointe des pieds pour la voir par-dessus l’épaule de Carol.

— Merci pour tout, souffla Alice.

Daldry lui fit un sourire forcé et se retira.

La porte refermée, Carol s’approcha du lit, posa sa main sur le front d’Alice, lui palpa le cou et lui ordonna de tirer la langue.

— Tu as encore un peu de fièvre. Je t’ai rapporté plein de bonnes choses de la campagne. Des œufs frais, du lait, de la confiture, de la brioche que maman a faite hier. Comment te sens-tu ?

— Comme au milieu d’une tempête depuis que tu es arrivée.

— « Merci pour tout, Ethan », minauda Carol en remplissant la bouilloire. Votre relation a drôlement évolué depuis notre dernier dîner chez toi. Tu as quelque chose à me raconter ?

— Que tu es idiote et que tes sous-entendus sont déplacés.

— Je n’ai fait aucun sous-entendu, je constate, c’est tout.

— Nous sommes voisins, rien d’autre.

— Vous l’étiez la semaine dernière et il te servait du « mademoiselle Pendelbury » et toi du « monsieur le grincheux qui vient troubler la fête ». Il s’est bien passé quelque chose qui vous a rapprochés ainsi.

Alice se tut. Carol l’observait, la bouilloire à la main.

— À ce point-là ?

— Nous sommes retournés à Brighton, soupira Alice.

— C’était lui ta mystérieuse invitation de Noël ? Tu as raison, quelle idiote je suis ! Et moi qui croyais que tu avais inventé une sortie pour donner le change devant les garçons. Toute la soirée de Noël, je m’en suis voulu de t’avoir laissée seule à Londres et de ne pas avoir insisté pour que tu viennes chez mes parents. Et, pendant ce temps-là, mademoiselle batifolait avec son voisin au bord de la mer. Je suis vraiment la reine des buses.

Carol posa une tasse de thé sur le tabouret près du lit d’Alice.

— Il ne t’est jamais venu à l’idée d’acheter des meubles, une vraie table de nuit par exemple ? Attends, attends, mademoiselle la cachottière, poursuivit-elle tout excitée, ne me dis pas que, la dernière fois, l’intrusion de ton voisin était un petit numéro que vous aviez concocté pour nous mettre dehors et finir la soirée ensemble ?

— Carol ! chuchota Alice, en montrant le mur mitoyen de l’appartement de son voisin. Tais-toi et assieds-toi ! Tu es plus épuisante que la pire des grippes.

— Ce n’est pas la grippe, c’est juste un gros coup de froid, répondit Carol, furieuse de s’être fait rabrouer.

— Cette escapade n’était pas prévue. Un acte de générosité de sa part. Et arrête avec ce petit air narquois, il n’y a rien d’autre entre Daldry et moi qu’une sympathie polie et réciproque. Ce n’est pas du tout mon type d’homme.

— Pourquoi es-tu retournée à Brighton ?

— Je suis épuisée, laisse-moi me reposer, supplia Alice.

— C’est touchant de voir combien ma sollicitude te bouleverse.

— Fais-moi goûter un peu de cette brioche au lieu de dire des âneries, répondit Alice, juste avant d’éternuer.

— Tu vois, c’est un gros rhume.

— Il faut que je m’en débarrasse et que je me remette au travail au plus vite, dit Alice en se redressant sur son lit. Je vais devenir folle à rester sans rien faire.

— Tu vas devoir prendre ton mal en patience. Ce petit séjour à Brighton te coûtera une bonne semaine sans odorat. Bon, tu vas enfin me dire ce que vous êtes allés faire là-bas ?

Plus Alice avançait dans son récit, plus Carol semblait sidérée.

— Eh bien, siffla-t-elle, moi aussi je serais terrifiée à ta place, ne cherche pas pourquoi tu es tombée malade en rentrant.

— Très drôle, répondit Alice en haussant les épaules.

— Enfin Alice, c’est grotesque, ce ne sont que des balivernes. Qu’est-ce que ça veut dire : « Rien de tout ce que tu croyais être n’est réalité » ? En tous les cas, c’est une belle attention de la part de ton voisin d’avoir fait autant de kilomètres pour te faire entendre de telles stupidités. Même si je connais d’autres garçons qui en auraient fait bien plus pour te promener dans leur voiture. La vie est vraiment injuste, c’est moi qui ai de l’amour à revendre et c’est toi qui plais aux hommes.

— Quels hommes ? Je suis seule du matin au soir et ce n’est pas mieux la nuit.

— Tu veux que l’on reparle d’Anton ? Si tu es seule, c’est uniquement de ta faute. Tu es une idéaliste qui ne sait pas prendre du bon temps. Mais c’est peut-être toi qui as raison dans le fond. Je crois que j’aurais aimé connaître un premier baiser sur des chevaux de bois, reprit Carol d’une voix triste. Il faut que j’y aille, je vais être en retard à l’hôpital. Et si ton voisin revenait, je ne voudrais surtout pas vous déranger.

— Ça suffit, je te dis qu’il n’y a rien entre nous.

— Je sais, ce n’est pas ton genre d’homme ; et puis, maintenant qu’un prince charmant t’attend quelque part dans une contrée lointaine… Tu devrais peut-être prendre des vacances et partir à sa recherche. Si j’en avais les moyens, je t’accompagnerais volontiers. Je me moque de toi, mais un voyage entre filles, ce serait une sacrée aventure… Il fait chaud en Turquie, les garçons doivent avoir la peau dorée.