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— Qu’y a-t-il encore ? demanda Daldry en congédiant le sommelier. Vous avez l’air furieux.

— Je suis furieuse ! chuchota Alice pour ne pas attirer l’attention de ses voisins.

— Je ne comprends pas, je vous emmène dans l’un des restaurants les plus fameux de Londres, je vous fais servir un vin d’une finesse rarissime, une année mythique…

— Justement, vous auriez pu me prévenir. Vous, vous êtes en costume, votre chemise est d’un blanc à faire pâlir la meilleure des blanchisseuses et moi, moi, je suis attifée comme une écolière que l’on emmène boire une limonade au bout de la rue. Si vous aviez eu la courtoisie de m’informer de vos projets, j’aurais au moins pris le temps de me maquiller. Les gens autour de nous doivent se dire…

— Que vous êtes une femme ravissante et que j’ai de la chance que vous ayez accepté mon invitation. Quel homme perdrait son temps à observer votre tenue vestimentaire alors que vos yeux peuvent à eux seuls accaparer toute l’attention de la gent masculine. Ne vous inquiétez pas et, par pitié, appréciez ce que l’on va vous servir.

Alice regarda Daldry, dubitative. Elle goûta le vin, grisée par le cru long en bouche et soyeux.

— Vous n’êtes pas en train de flirter avec moi, Daldry ?

Daldry manqua de s’étouffer.

— En vous offrant de vous accompagner en voyage à la recherche de l’homme de votre vie ? Ce serait une drôle de façon de vous faire la cour, vous ne trouvez pas ? Et puisque nous allons nous associer, soyons honnêtes, nous savons tous les deux ne pas être le genre de l’autre. C’est bien pour cela que je peux vous faire cette proposition sans la moindre arrière-pensée. Enfin, presque…

— Presque quoi ?

— C’est justement pour vous entretenir de cela que je voulais que nous déjeunions ensemble. Afin de nous accorder sur un tout dernier détail de notre association.

— Je croyais que nous nous étions mis d’accord sur les pourcentages ?

— Oui, mais j’ai une petite faveur à vous demander.

— Je vous écoute.

Daldry resservit Alice et l’invita à boire.

— Si les prédictions de cette voyante sont avérées, je suis donc la première de ces six personnes à vous mener jusqu’à cet homme. Comme promis, je vous accompagnerai donc jusqu’à la deuxième d’entre elles, et lorsque nous l’aurons trouvée, car je suis sûr que nous la trouverons, j’aurai alors rempli ma mission.

— Où voulez-vous en venir ?

— C’est une manie chez vous de m’interrompre tout le temps ! J’allais précisément vous le dire. Une fois mon devoir accompli, je rentrerai à Londres et vous laisserai poursuivre votre voyage. Je ne vais quand même pas tenir la chandelle au moment de la grande rencontre, ça manquerait de tact ! Bien entendu, selon les termes de notre pacte, je financerai votre voyage jusqu’à son terme.

— Voyage que je vous rembourserai au shilling près, dussé-je travailler pour vous jusqu’à la fin de ma vie.

— Arrêtez vos enfantillages, je ne vous parle pas d’argent.

— Alors de quoi ?

— De ce dernier petit détail justement…

— Eh bien dites-le une fois pour toutes !

— Je voudrais qu’en votre absence, quelle qu’en soit la durée, vous m’autorisiez à venir chaque jour travailler sous votre verrière. Votre appartement sera vide et vous n’en aurez aucune utilité. Je vous promets de l’entretenir, ce qui, de vous à moi, ne lui ferait pas de mal.

Alice dévisagea Daldry.

— Vous ne seriez pas en train de me proposer de me conduire à des milliers de kilomètres de chez moi et de m’abandonner en des terres lointaines pour avoir enfin le loisir de peindre sous ma verrière ?

À son tour, Daldry regarda gravement Alice.

— Vous avez de beaux yeux, mais vraiment mauvais esprit !

— D’accord, dit Alice. Mais uniquement lorsque nous aurons fait la connaissance de cette fameuse deuxième personne et à condition qu’elle nous donne des raisons de poursuivre l’aventure.

— Évidemment ! s’exclama Daldry en levant son verre. Alors trinquons, maintenant que notre affaire est conclue.

— Nous trinquerons dans le train, rétorqua Alice, je me laisse encore le droit de changer d’avis. Tout cela est assez précipité.

— J’irai chercher nos billets cet après-midi et je m’occuperai aussi de notre hébergement sur place.

Daldry reposa son verre et sourit à Alice.

— Vous avez le regard joyeux, dit-il, et cela vous va bien.

— C’est le vin, murmura-t-elle. Merci, Daldry.

— Ce n’était pas un compliment.

— Ce n’est pas pour cela que je vous remerciais. Ce que vous faites pour moi est très généreux. Soyez assuré qu’une fois à Istanbul je travaillerai jour et nuit à créer ce parfum qui fera de vous le plus heureux des investisseurs. Je vous promets de ne pas vous décevoir…

— Vous dites n’importe quoi. J’ai autant de plaisir que vous à quitter la grisaille londonienne. Dans quelques jours nous serons au soleil et quand je vois la pâleur de mon visage dans le miroir derrière vous, je me dis que ce ne sera pas du luxe.

Alice se retourna et se regarda à son tour dans le miroir. Elle fit une grimace complice à Daldry qui l’épiait. La perspective de ce voyage lui donnait le vertige, mais, pour une fois, elle en goûtait l’ivresse, sans aucune retenue. Et, fixant toujours Daldry dans le miroir, elle lui demanda conseil pour annoncer à ses amis la décision qu’elle venait de prendre. Daldry réfléchit un instant et lui fit remarquer que la réponse se trouvait dans la question. Il suffirait de leur dire qu’elle avait pris une décision qui la rendait heureuse ; si c’étaient de vrais amis, ils ne pourraient que l’encourager.

Sur ces paroles, Daldry renonça à commander un dessert et Alice lui proposa d’aller faire quelques pas.

Au cours de leur promenade, Alice ne cessa de penser à Carol, Eddy, Sam et surtout à Anton. Quelles seraient leurs réactions ? Elle eut l’idée de les convier tous à dîner chez elle. Elle les ferait boire plus que d’habitude, attendrait qu’il soit tard et, l’alcool aidant, leur parlerait de ses projets.

Elle repéra une cabine téléphonique et demanda à Daldry de bien vouloir l’attendre un instant.

Après avoir passé quatre appels, Alice eut l’impression qu’elle venait de faire les premiers pas d’un long voyage. Sa décision était prise, elle savait qu’elle ne reculerait plus. Elle rejoignit Daldry qui l’attendait, adossé à un réverbère, en fumant une cigarette. S’approchant de lui, elle l’agrippa et le fit tourner sur lui-même en l’entraînant dans une ronde improvisée.

— Partons aussi vite que possible. Je voudrais fuir l’hiver, Londres et mes habitudes, je voudrais que nous soyons déjà au jour du départ. Je vais visiter Sainte-Sophie, les ruelles du grand bazar, m’enivrer de senteurs, voir le Bosphore, vous regarder croquer les passants au carrefour de l’Occident et de l’Orient. Je n’ai plus peur, et je suis heureuse, Daldry, tellement heureuse.

— Même si je vous suspecte d’être un peu soûle, c’est un ravissement de vous voir aussi joyeuse. Je ne dis pas cela pour vous séduire, chère voisine, c’est sincère. Je vous accompagne à un taxi, de mon côté je vais m’occuper de l’agence. Au fait, vous avez un passeport ?

Alice fit non de la tête, comme une petite fille prise en faute.

— Un grand ami de mon père occupait un poste important au ministère des Affaires étrangères. Je lui passerai un appel, il fera accélérer la procédure, j’en suis certain. Mais, avant tout, changement de programme : nous allons faire des photos d’identité, l’agence attendra, et, cette fois, je prends le volant.