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— Qui sait ? À l’occasion… Mais je ne suis pas non plus venu pour cela.

— Alors ? chuchota Can, piqué par la curiosité.

— Alors, comme je vous le disais, c’est une longue histoire. Et vous, que faites-vous dans la vie ?

— Je suis guide et interprète. Le meilleur de la ville. Dès que j’aurai le dos tourné, le barman vous dira le contraire, mais uniquement parce qu’il a un petit business, vous comprenez. Les autres guides lui reversent un pourcentage incognito. Avec moi, pas de bakchichs, j’ai une morale. Ce n’est pas possible pour un touriste ou si vous êtes dans les affaires de se débrouiller ici sans un guide et un interprète d’excellence. Et, comme je vous le disais, je suis…

— Le meilleur d’Istanbul, interrompit Daldry.

— Ma réputation a déjà voyagé jusqu’à vous ? demanda Can, plein d’orgueil.

— Il se pourrait bien que j’aie besoin de vos services.

— Il serait préférable de vous voir réfléchir. Choisir son guide est une chose importante à Istanbul et je ne veux pas que vous ayez de regrets, je n’ai que des clients satisfaits.

— Pourquoi changerais-je d’avis ?

— Parce que, tout à l’heure, ce satané barman vous dira des malhonnêtetés sur moi et vous aurez peut-être envie de le croire. Et puis vous ne m’avez toujours pas dit vos recherches.

Daldry aperçut Alice sortant de l’ascenseur et traversant le hall.

— Nous en reparlerons demain, dit Daldry en se levant précipitamment. Vous avez raison, la nuit porte conseil. Retrouvez-moi ici au petit déjeuner, disons vers huit heures si cela vous convient. Non, huit heures c’est un peu tôt ; avec le décalage horaire, je serai encore au milieu de ma nuit ; disons neuf heures. Et si cela ne vous dérange pas, je préférerais que nous nous voyions ailleurs, dans un café par exemple.

Daldry parlait de plus en plus vite au fur et à mesure qu’Alice approchait, Can lui sourit malicieusement.

— J’ai eu dans le passé quelques clients étranges, dit le guide. Il y a un salon de thé et de pâtisseries de grands plaisirs, rue Isklital, au 461, dites au taxi de vous conduire chez Lebon, c’est incommensurable, tout le monde connaît. Je vous y attendrai.

— Parfait, maintenant il faut que je vous laisse, à demain, dit Daldry en se précipitant vers Alice.

Can resta assis sur son tabouret, observant Daldry qui conduisait Alice vers la salle à manger de l’hôtel.

*

— J’ai pensé que vous préféreriez dîner ici ce soir, je vous sens fatiguée après ce long voyage, dit Daldry en s’installant à table.

— Non, pas trop, répondit Alice. J’ai dormi dans l’avion et puis il est deux heures de moins à Londres. Je n’arrive pas à croire qu’il fasse déjà nuit.

— Les décalages horaires sont déroutants lorsqu’on n’a pas l’habitude de voyager. Demain, vous aurez besoin de faire une grasse matinée. Je propose que nous nous retrouvions vers midi.

— C’est très prévoyant de votre part de penser à demain, Daldry, mais la soirée n’a même pas encore commencé.

Le maître d’hôtel leur présenta les cartes, il y avait au menu de la bécasse et quantité de poissons du Bosphore. Alice avait peu de goût pour le gibier, elle hésita à choisir le lüfer[2] que le maître d’hôtel lui conseillait, mais Daldry leur commanda des langoustines. On les disait excellentes dans la région.

— À qui parliez-vous ? demanda Alice.

— Au maître d’hôtel, répondit Daldry, plongé dans la carte des vins.

— Lorsque je suis arrivée au bar, vous sembliez être en pleine conversation avec un homme.

— Ah, lui ?

— Par ce « lui », j’imagine que vous désignez la personne avec qui je vous voyais discuter.

— C’est un guide interprète qui racole le client en traînant ses guêtres au bar. Il prétend être le meilleur de la ville… mais son anglais est épouvantable.

— Nous avons besoin d’un guide ?

— Peut-être pour quelques jours, ce n’est pas idiot d’y réfléchir, cela nous ferait gagner du temps. Un bon guide saura vous aider à trouver les plantes que vous recherchez, et pourquoi pas nous conduire vers des régions plus sauvages où la nature pourrait vous réserver des surprises.

— Vous l’avez déjà engagé ?

— Mais non, nous avons à peine échangé quelques mots.

— Daldry, la cage d’ascenseur est en verre, je vous voyais avant même d’arriver au rez-de-chaussée et vous sembliez en pleine discussion.

— Il essayait de me vendre ses services, je l’écoutais. Mais, s’il ne vous plaît pas, je peux demander au concierge de nous trouver quelqu’un d’autre.

— Non, je ne veux pas vous faire dépenser inutilement de l’argent. Je suis certaine qu’avec un peu de méthode, nous pourrons nous débrouiller. Nous devrions plutôt acheter un guide touristique ; au moins, nous n’aurions pas à lui faire la conversation.

Les langoustines étaient à la hauteur des promesses du maître d’hôtel.

Daldry se laissa tenter par un dessert.

— Si Carol me voyait dans cette salle à manger somptueuse, dit Alice en goûtant son premier café turc, elle serait verte de jalousie. D’une certaine façon, c’est aussi un peu à elle que je dois ce voyage. Si elle n’avait pas insisté pour que j’aille consulter cette voyante à Brighton, rien de tout ça ne serait arrivé.

— Alors nous devrions trinquer à votre amie Carol.

Daldry demanda au sommelier de les resservir.

— À Carol, dit-il en faisant tinter le cristal.

— À Carol, répéta Alice.

— Et à l’homme de votre vie que nous trouverons ici, s’exclama Daldry en levant à nouveau son verre.

— Au parfum qui fera votre fortune, répondit Alice avant de boire une gorgée de vin.

Daldry jeta un regard au couple qui dînait à la table voisine. La femme, vêtue d’une robe noire élégante, était ravissante, Daldry lui trouva un air de ressemblance avec Alice.

— Qui sait, vous avez peut-être de la famille éloignée qui s’est installée dans cette région.

— De quoi parlez-vous ?

— Nous parlions de la voyante, que je sache. Ne vous a-t-elle pas dit que vous aviez des origines turques ?

— Daldry, une fois pour toutes, cessez de penser à ces histoires de voyance. Les propos de cette femme n’avaient aucun sens. Mes deux parents étaient anglais et mes grands-parents l’étaient aussi.

— Figurez-vous que j’ai un oncle grec et une cousine éloignée vénitienne. Et, pourtant, toute ma famille est native du Kent. Les alliances réservent bien des surprises lorsque l’on étudie sa généalogie.

— Eh bien, ma généalogie est tout ce qu’il y a de plus britannique et je n’ai jamais entendu parler d’un aïeul qui ait vécu à plus de cent miles de nos côtes. Ma grand-tante Daisy, la plus éloignée de mes parentes, je parle en termes de distance géographique, vit sur l’île de Wight.

— Mais, en arrivant à Istanbul, vous m’avez déclaré que vous aviez ressenti une impression familière.

— Mon imagination me joue parfois des tours. Depuis que vous m’avez proposé ce voyage, je n’ai cessé de me demander comment serait cette ville, j’ai feuilleté tant de fois la brochure touristique que j’ai dû mémoriser inconsciemment des images.

— Je l’ai parcourue plusieurs fois également, et les deux seules photos qui s’y trouvaient étaient une vue de Sainte-Sophie en couverture et du Bosphore au milieu du fascicule, rien à voir avec les faubourgs que nous avons traversés en venant de l’aéroport.

— Vous trouvez que j’ai le type turc ? demanda Alice dans un grand éclat de rire.

— Vous avez la peau plutôt mate pour une Anglaise.