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– Nous en avons un qui date de Vauban et qui est encore tout neuf.

– Cela est fort regrettable! Cherchons encore.

– Cherchez, s’obstinait M. Dubenoît; cherchez, vous ne trouverez rien. Il n’y a dans Montpaillard aucune sorte de victimes.

– Alors, nous ferons notre fête au profit des victimes étrangères, j’en ai bien organisé, moi qui vous parle, au bénéfice des incendiés du Niagara.

– Les incendiés?… Les inondés, vous voulez dire?

– Non, non, des incendiés, vous ne vous souvenez pas de cette catastrophe?

– Ma foi, non.

– Elle fit pourtant beaucoup de bruit à l’époque.

– Je n’ai pas de peine à le croire.

– Voyons… cherchons encore.

CHAPITRE IX

Dans lequel Jules Fléchard trouve un cheveu sur l’azur de son firmament.

Comme c’est drôle la vie, tout de même!

Des années – quelquefois – se suivent, se succèdent bêtement sans apporter quoi que ce soit de nouveau à votre destinée, si ce n’est que de rogner chaque jour un peu, les plumes de ce stupide et charmant volatile qu’on appelle l’Espérance et puis, d’un coup, voilà qu’en un instant tout est changé!

Le marécage de votre plate existence se transforme brusquement en tumultueux océan.

Des lueurs fulgurent le gris terne de votre firmament et des ailes, croirait-on, vous poussent aux omoplates.

Telles furent les réflexions qui agitèrent l’esprit d’Arabella de Chaville, après le coup de théâtre raconté de si poignante façon dans un précédent chapitre.

Ainsi donc elle était aimée!

Aimée comme elle avait toujours désiré d’être aimée, dans des circonstances romanesques, par un homme qui n’hésitait pas, de nuit, à sauter les murs d’un parc pour apercevoir ne fût-ce qu’une seconde, la silhouette effacée de sa belle, derrière un rideau!

Aimée par un homme qui rossait le guet, comme au beau temps des moyenâgesques aventures!

Et, à la dérobée, entre deux rétablissements, Arabella contemplait son professeur.

Certes, au premier aspect, vous ne prendriez pas Jules Fléchard pour un homme à prouesses, mais à le mieux considérer, votre étonnement cesserait.

Ses yeux bruns sont ceux d’un amant et son air de fatigue révèle le héros provisoirement las de s’être longtemps colleté avec le Destin. On sent qu’il a les bras rompus, comme disait Baudelaire, pour avoir étreint des nuées.

Telle est du moins la vision qu’en éprouvait Arabella.

À plusieurs reprises, les regards de nos deux héros se rencontrèrent, et du bonheur pouvait s’y lire et de l’espoir.

La demie sonna au beffroi proche: le moment où la leçon de gymnastique prenait fin.

Toute droite, de ce roidissement qu’affectent les personnes à brusque détermination, Arabella tendait la main à son professeur:

– Mon cher Fléchard, au revoir et soyez bien persuadé que je ne vous oublierai pas pendant tout le temps que nous allons être séparés!

– Séparés?

– Hélas! oui. Pendant que vous serez en prison, mon ami.

– En prison?

Le pauvre Fléchard sembla subitement inquiet. Arabella n’allait-elle pas exiger qu’il se dénonçât, maintenant! C’était pousser le romanesque un peu loin.

– En prison?

– Mais quelle que soit la sévérité de vos juges, mon cher ami, le tribunal de mon cœur vous a déjà acquitté.

– Croyez-vous que ce soit bien utile, mademoiselle, que j’aille me dénoncer?

– Il le faut!… Quoi de plus beau que d’affronter les tribunaux et la prison pour celle qu’on aime!

– Oui, en effet, c’est beau, c’est très beau! Mais vous savez bien maintenant que je suis capable de les affronter, n’est-ce pas? C’est l’important! Gardons cela entre nous, causons-en, si vous voulez, de temps en temps, mais pourquoi le crier à tout le monde?

– Il faut accomplir le sacrifice jusqu’au bout, Fléchard!… Et puis, ce pauvre Blaireau est innocent. Rendez-lui son honneur.

Le professeur se permit de ricaner:

– Oh! l’honneur de Blaireau, vous savez! je lui donnerai quelques pièces de cent sous, à cet homme, il aimera mieux cela.

– Pas de faiblesse, Fléchard! Dénoncez-vous avec cet héroïsme qui vous va si bien et qui me plaît si fort en vous!

– N’aurai-je pas l’air de poser? de vouloir – passez-moi l’expression – épater la galerie?

– Non, Fléchard, vous aurez l’air de faire votre devoir et vous sortirez grandi de cette épreuve, surtout à mes yeux.

Décidément, il n’y avait plus à caner! Tout de même, c’était une drôle d’idée de vouloir le faire aller en prison… Mais, bah, on en sort, de prison! Et puis après, ah délices!

– Mademoiselle Arabella, vous venez de me convaincre!

– À la bonne heure, Fléchard! Je vais prier ces messieurs de venir et vous leur répéterez ce que vous venez de me dire.

– Que je vous aime?

– Non, cela ne les regarde pas, mais que c’est vous le vrai coupable et que Blaireau est innocent.

Fléchard eut une dernière hésitation:

– Si on remettait cette petite cérémonie à plus tard?

– Oh! mon ami!…

– C’est bien, mademoiselle, veuillez prévenir ces messieurs.

«Je suis prêt au sacrifice.

– Bravo! Fléchard!… Et prenez une belle attitude!

CHAPITRE X

Dans lequel Fléchard déchire publiquement le hideux voile du malentendu.

Arabella ne fut pas longtemps absente. Bientôt elle revenait accompagnée de quelques gentlemen que ses airs mystérieux semblaient fort intriguer.

Il y avait dans le groupe M. de Chaville, le baron de Hautpertuis, maître Guilloche, M. Lerechigneux, président du tribunal, et, visiblement inquiet, le maire, M. Dubenoît.

M. de Chaville prit la parole:

– Qu’y a-t-il, Fléchard, vous nous faites demander?

– Oui, messieurs, je vous ai priés de venir au sujet d’une grave communication que j’ai à vous faire.

– Une grave communication?

– Une grave communication! D’ailleurs, j’aperçois parmi vous l’honorable président du tribunal, M. Lerechigneux; j’en suis heureux, car sa présence ici va donner plus de poids à ma déclaration.

Le moment était solennel…

Fléchard toussa et reprit:

– Messieurs, l’affaire Blaireau est sans doute encore présente à vos esprits?

– Oui, éclata Dubenoît, Blaireau, le pire braconnier de tout le pays, un mauvais gars que M. le président a condamné avec une indulgence!… Trois mois de prison, je vous demande un peu! Et dire qu’il a fini son temps et qu’on va le remettre en liberté! Mais il va avoir affaire à moi!

– Eh bien, messieurs, Blaireau n’est pas coupable, Blaireau a été condamné injustement!

La foudre fût tombée subitement sur tous ces messieurs que leur stupeur eût été certainement plus considérable, mais, tout de même, ils furent bien étonnés de cette déclaration.