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Cette personne qui n’est pas une jeune fille, puisque je vous dis que c’est une jeune femme, n’est pas non plus l’épouse d’un quidam.

Veuve?

Pas davantage.

Au surplus, il serait inélégant d’insister sur cette enquête parfaitement superflue d’ailleurs, et digne d’un mercenaire du recensement, car les lignes qui vont suivre nous fixeront bien assez tôt sur le regrettable état civil de cette jolie pécheresse.

Au moment où nous pénétrons chez elle, la petite dame n’a pas l’air content. D’une main rageuse, elle chiffonne la missive qu’une accorte chambrière vient de lui remettre.

Continuant à user du privilège en question, je vais traduire en langage clair les pensées qui agitent la petite âme de la petite dame.

Son ami, son principal ami – car qui n’a point son gigolo? -, son ami sérieux, M. de Hautpertuis, lui avait pourtant bien promis d’être rentré à Paris aujourd’hui même.

Après quoi, on filait sur Trouville. Et puis, tout à coup, voilà que ce gentilhomme demande de patienter encore un peu.

Il se trouve si bien, lui, à la campagne, chez son vieux camarade de Chaville, il est si gâté, si choyé!

Et puis, les jeunes filles de la province c’est très gentil! Ça vous change un peu du Jardin de Paris, n’est-ce pas, et du Bois de Boulogne, et du Palais de Glace.

Toute la lettre du baron est conçue dans ce sens.

– Ah! tu aimes le changement, vieux serin! rage la petite dame. Eh bien! moi aussi! Ah! tu te trouves bien à Montpaillard, eh bien, moi aussi, je vais y aller! Justement, j’y connais quelqu’un… Augustine!

– Madame?

– Préparez-moi une malle, une petite, pour quelques jours seulement… Rien que des choses simples.

– Bien, madame.

Et elle ajouta en elle-même:

– Une tenue sobre est de rigueur pour aller où je vais… En prison! Oh! que ça va être drôle, mon Dieu, que ça va donc être drôle!

Elle a pris deux feuilles de papier et deux enveloppes.

Sur la première feuille elle trace, d’une belle écriture anglaise haute, droite et ferme, ces mots:

«Mon cher ami,

Vous retardez, me dites-vous, de quelques jours votre rentrée à Paris. Cela ne saurait tomber mieux à pic, car je reçois à l’instant de fâcheuses nouvelles de la santé de ma tante de Melun, assez fâcheuses pour que je me décide à aller passer plusieurs jours au chevet de ma bonne vieille parente.

Embrassez-moi sur le front, en évitant de me décoiffer»

Delphine de Serquigny.

Elle inséra cette missive dans une enveloppe qui porta cette suscription:

Monsieur le baron de Hautpertuis, chez M. de Chaville, à Montpaillard (Nord-et-Cher).

Sur la seconde feuille elle traça, d’une écriture bien française celle-là, et même un peu folichonne, ces mots:

«Mon vieux loup chéri, Qu’est-ce que tu dirais si ta petite Alice rappliquait demain dans ton administration? Tu serais bien content, dis? Et puis, je te dois bien ça, entre nous. À demain donc, vieux loup. Un télégramme bien senti te dira l’heure de mon arrivée.

«Ta petite pintade au gratin.

«Alice.»

Elle inséra cette missive dans une enveloppe qui porta cette suscription:

M. Bluette, directeur de la prison de Montpaillard (Nord-et-Cher).

– Augustine!

– Madame?

– Vous ferez jeter ces deux lettres à la poste.

– Bien, madame.

Le mécontentement de Mlle Delphine de Serquigny, ou, pour dire plus juste, de Mlle Alice Cloquet, s’était évanoui, ainsi qu’un léger nuage.

Au contraire même, la jeune personne ne se sentait plus de joie à l’idée de passer quelques jours en prison avec son ancien ami, un de ses premiers, celui dont elle conservait le meilleur et plus gai souvenir. Elle l’avait ruiné, c’est vrai (la vie est si chère à Paris!), mais si gentiment ruiné, et on s’était si fort amusés tous les deux, pendant le temps qu’on était resté ensemble!

Puis la séparation fatale, mais en bons camarades: lui parti comme directeur de prison à Montpaillard, elle devenue très chic, très lancée, très Delphine de Serquigny, mais restée bonne fille, et la preuve c’est qu’elle se souvient de son petit Bluette et qu’elle se sent toute joyeuse à l’idée du plaisir qu’elle va lui causer en débarquant chez lui.

– Et puis, je lui dois bien cela! répète-t-elle avec un gentil petit remords, tout petit, petit…

CHAPITRE XII

Dans lequel notre excellent camarade Blaireau continue à manifester une grandeur d’âme exceptionnelle et un caractère des plus accommodants.

Le matin de ce jour qu’il croit être le dernier de sa détention, Blaireau s’est levé dès l’aurore et sa chanson joyeuse réveille les pensionnaires de l’établissement.

(Cela rentre dans le système du directeur de laisser chanter les détenus, car la musique non seulement adoucit les mœurs, mais encore les probifie.) Dans la cour où il va fumer sa pipe, il rencontre Victor, un des gardiens.

– Tiens, Blaireau! Déjà levé?

– Oui, Victor, me voilà déjà levé! Et demain matin, probable que je serai levé encore plus bonne heure. C’est tout de même pas trop tôt qu’on me lâche!

– Ah! je te conseille de te plaindre! Jamais tu n’as été si heureux que pendant ces trois mois-là.

– Oh! je ne me plains pas, mais, tu as beau dire, ça ne vaut pas la liberté.

– Ça dépend des goûts.

– Et puis, il n’aurait plus manqué que ça qu’on me fasse des misères, à moi, un innocent!

– Oh! non, Blaireau, je t’en prie, ne nous rase pas avec tes sornettes. Innocent! Je comprenais que tu dises ça en entrant, mais aujourd’hui, ça n’est plus la peine.

– Remarque bien, mon vieux, que je n’insiste pas. Au commencement, j’ai ragé, oh! oui, j’ai ragé! Mais, maintenant, ça m’est égal, j’en ai pris mon parti. M. Bluette est un brave homme, toi tu es un bon garçon, les camarades sont des chouettes types. Je suis enchanté d’avoir fait votre connaissance à tous… Il y a même des moments où je ne me souviens pas si je suis innocent ou coupable… Je suis forcé de faire des efforts de mémoire.

– Farceur, va!… Tiens, voilà le patron!… Il est matinal, aujourd’hui, le patron. C’est peut-être à cause de la dépêche qu’on vient de lui apporter.

M. Bluette tenait en effet à la main un télégramme dont la lecture semblait le jeter dans une vague perplexité.

– Bonjour, Blaireau, bonjour, Victor. Je crois que nous n’allons pas avoir froid aujourd’hui… Enfin, c’est la saison!

– Dites-moi, Victor…

– Monsieur le directeur?

– Vous allez préparer la chambre bleue, la faire à fond et tout disposer pour recevoir quelqu’un…

– Bien, monsieur le directeur.

– J’attends… quelqu’un… une dame… une cousine qui vient passer quelques jours ici… pendant que son mari fait ses treize jours.

– Pauvre homme! dit Blaireau, en voilà un qui ne va pas avoir froid non plus, si on lui fait faire un peu de pas gymnastique!