M. Bluette avait en effet oublié, dans son pieux mensonge, que le ministère de la Guerre ne convoque pas les treize jours en cette saison.
– Oh! rectifia-t-il, le mari de cette dame n’aura pas trop à souffrir de la chaleur… Il fait son temps comme directeur adjoint dans les prisons territoriales.
– À l’ombre, quoi! sourit Blaireau. Grand bien lui fasse.
– Moi, l’ombre, j’en ai assez!
– C’est juste, mon ami, vous nous quittez aujourd’hui. Vous avez payé, comme disent les gens graves, votre dette à la société.
– Oh! ma dette…
– Victor, conduisez notre ami Blaireau au vestiaire et remettez-lui les vêtements qu’il portait en arrivant ici.
– Bien, monsieur le directeur.
– Après quoi, Blaireau, vous me rejoindrez dans mon cabinet, où nous accomplirons les petites formalités en usage… Je vous regretterai, Blaireau.
– Moi aussi, monsieur le directeur.
– Et je garderai de vous un excellent souvenir. D’abord, vous êtes entré dans la prison de Montpaillard le même jour que moi… vous en sortez un peu avant…
– Je reviendrai vous voir de temps en temps, si vous le permettez.
– Vous me ferez toujours plaisir… J’aime à croire que cette petite mésaventure vous aura servi de leçon, et que, dorénavant, vous renoncerez tout à fait au braconnage.
– Oui, monsieur le directeur
– Et que vous vous montrerez plus respectueux envers l’autorité.
– Je vous le promets, monsieur le directeur.
– Le fait de rosser un garde champêtre n’est pas déshonorant, mais il est excessif.
– Je ne le ferai plus.
Mais soudain Blaireau frappa la table d’un grand coup de poing.
– Qu’avez-vous, Blaireau? fit Bluette étonné, vous êtes tout drôle.
– J’ai… j’ai, monsieur le directeur que… zut!.., j’ai que… je suis là à vous promettre de ne pas recommencer mais je n’ai rien fait… Je ne dis pas, parbleu! que je n’ai pas braconné de temps en temps, par-ci par-là, mais pour ce qui est d’avoir flanqué une volée à Parju, ça non, je le jure, monsieur Bluette, pour ça, je suis innocent comme le petit agneau qui vient de naître!
– Je vous en prie, Blaireau, ne recommençons pas cette rengaine! Vous êtes un excellent sujet, vous pêchez à la ligne comme pas un et vous jetez l’épervier d’une façon remarquable. Il est vraiment fâcheux que de si belles qualités soient gâtées par cette ridicule manie de jouer à l’innocent.
– Mais, monsieur le directeur…
– C’est usé, mon pauvre Blaireau, ça ne se dit plus.
– Écoutez, monsieur Bluette, vous avez été trop gentil pour moi, je ne veux pas vous faire de la peine. Ça vous ferait-il plaisir que je dise que je suis coupable?
– Je le préférerais.
– Eh bien, je suis coupable; êtes-vous content?… Ça n’est pas vrai, mais je suis coupable.
– À la bonne heure, Blaireau! Enfin, vous voilà raisonnable!
– Et puis, que je sois coupable ou non!… Comme je sors aujourd’hui, ça n’a pas beaucoup d’importance.
– Il y a encore ce point de vue.
– Alors, monsieur le directeur je vais me changer…
– C’est cela… Moi, je cours à la gare attendre ma parente, après quoi je vous mettrai en liberté. vous n’êtes pas pressé?
Blaireau cligna de l’œil d’un air suprêmement malin:
– Je suis pressé, dit-il, mais pas encore tant que vous, monsieur Bluette. J’attendrai bien que vous soyez revenu avec votre… cousine.
– Qu’est-ce à dire, Blaireau?
– Rien, monsieur le directeur… Si c’est par le train de huit heures qu’elle arrive, votre petite dame, vous n’avez que le temps.
– J’y cours.
CHAPITRE XIII
Comme l’avait dit Blaireau, il n’était que temps. Le train stoppait.
Une jolie petite femme, ébouriffée, drolichonne, à peine éveillée, sautait sur le quai, puis apercevant Bluette prenait un air cérémonieux et tout haut:
– Bonjour monsieur le directeur s’inclinait-elle.
Puis, tout bas:
– Bonjour mon vieux loup chéri. Je suis bien contente de te revoir, tu sais, bien contente!
– Et moi donc! murmurait, sur le ton de la sincérité, notre jeune et sympathique fonctionnaire.
– C’est loin, ta boîte?
– Un quart d’heure à peine.
– Allons à pied, ça me dégourdira mes pauvres petites jambettes.
– Je n’ai pas besoin, n’est-ce pas, Alice, de te recommander au moins dans la rue…
– Une tenue décente. Tiens, regarde si on ne dirait pas une vieille Anglaise.
Et Alice affecta un air de respectability de café-concert qui fit retourner les passants.
Heureusement qu’on était arrivé.
…
…
Ces deux lignes de points remplacent pudiquement les détails de l’installation de la gracieuse Alice dans la belle chambre bleue, installation à laquelle le galant M. Bluette tint à présider lui-même.
Il n’était pas loin de onze heures quand le couple descendit au cabinet directorial.
– Assieds-toi, ma petite Alice, et tiens-toi bien tranquille pendant que je vais vaquer à mes importantes fonctions.
– Vaque, mon ami, vaque.
– J’en ai pour un bon quart d’heure.
– C’est cela que tu appelles tes importantes fonctions! Il est vrai que, pour toi, c’est encore très joli… J’ai beaucoup de peine à me faire à cette idée que tu sois devenu directeur de quelque chose.
– C’est pourtant la hideuse vérité.
– Tu ne dois pas être bien sévère avec tes bonshommes.
– Sévère? À quoi bon?
– Ils sont méchants?
– Pas le moins du monde. Ce sont d’excellentes natures.
– Tu me présenteras?
– Si tu veux. Je puis me vanter d’avoir fait de la prison de Montpaillard une véritable prison de famille. Tout le monde y vit dans la concorde et la tranquillité.
– Tant mieux, mon loup.
– La vie y est seulement un peu monotone. Comme distraction, nous n’avons guère que l’entrée et la sortie d’un détenu de temps en temps. Justement, il y en a un qui finit sa peine aujourd’hui et que je vais mettre en liberté… Il ne faut pas que je l’oublie, même, comme cela m’est arrivé plusieurs fois.
– Qui est-ce?
– Un nommé Blaireau, habile braconnier un fort aimable homme, du reste. Tu vas le voir.
– Il avait commis un crime?
– Oh! non, le pauvre garçon! Un petit délit de rien du tout, une simple volée à un garde champêtre.
– On n’a donc pas le droit?
– Si, mais il ne faut pas se laisser prendre.
À ce moment, un des gardiens de la prison vint apporter le courrier de M. le directeur que celui-ci plaça négligemment sur la table.