Выбрать главу

– C’est un professeur il paraît.

– Un professeur! s’écria Blaireau en levant les bras… Ah, bien! si les professeurs s’y mettent, maintenant!

– Un nommé Fléchard (Jules). Il ne faut pas lui en vouloir Blaireau.

– Je ne lui en veux pas.., mais il aurait pu se dénoncer plus tôt. Juste au moment où j’ai fini!… Ce n’était pas la peine, pour ainsi dire.

– Beaucoup, à sa place, remarqua judicieusement Bluette, ne se seraient pas dénoncés du tout.

– Enfin! murmura Blaireau.

M. le directeur continua:

– Quoi qu’il en soit, mon ami, je suis très heureux pour vous de la façon dont cette affaire se termine.

Il tendit encore une fois la main à Blaireau, puis froissant la lettre:

– Le Parquet va se hâter. De mon côté, je n’épargnerai aucune démarche et vous serez remis en liberté le plus tôt possible.

– Vous dites?

Bluette appuya:

– Le plus tôt possible, je vous le promets.

Blaireau eut un gros rire bon enfant qui lui secoua les épaules:

– Mais, monsieur le directeur vous oubliez quelque chose.

– Et quoi donc, mon cher Blaireau?

– Vous oubliez que vous venez de me mettre en liberté et que je vais sortir tout de suite.

– Non, pas tout de suite, répliqua froidement Bluette.

– Hein?

– Oui, continua le directeur en reprenant l’air bonhomme qui lui était habituel. La lettre du Parquet dit «le plus tôt possible».

– Eh bien?

– Eh bien! je ne peux pas prendre sur moi de vous relâcher immédiatement.

Blaireau faisait de grands efforts pour comprendre.

– Mais puisque j’ai fini mon temps!

M. le directeur ne parut pas touché de cet argument si raisonnable pourtant au premier abord. Il sourit avec indulgence.

– Vous avez fini votre temps comme coupable, mon cher Blaireau. Mais aujourd’hui, on m’apprend tout à coup que vous êtes innocent. La situation est donc modifiée et nous nous trouvons en présence de nouvelles formalités à remplir.

Les yeux de Blaireau commençaient à s’écarquiller furieusement.

– Alors, si je voulais sortir maintenant, je ne pourrais pas?

– Non, mon ami.

– Vous m’en empêcheriez?

– Sans violence, mon cher Blaireau, mais enfin je vous en empêcherais tout de même.

– Et tout à l’heure, pourtant, j’étais libre?

– Vous l’étiez, Blaireau.

– Et je ne le suis plus?

– Ou du moins pas immédiatement.

Blaireau éclata:

– Alors, comme ça, nom d’un chien! c’est parce que je suis innocent qu’il faut que je reste en prison un peu plus?

– Ce n’est pas la seule raison, reprit ironiquement M. le directeur.

Oubliant son respect coutumier, Blaireau se mit à arpenter le cabinet en hochant la tête et en poussant des exclamations de colère.

– C’est trop fort! c’est trop fort!… Non…

– Hé! calmez-vous, mon ami, dit Bluette en lui mettant amicalement la main sur l’épaule. Tout n’est pas perdu…

– Il ne manquerait plus que ça.

– Je me rendrai tout à l’heure chez le procureur de la République, je lui expliquerai votre situation et un de ces jours, j’espère…

– Un de ces jours! hurla Blaireau.

– Demain peut-être…

– oh! – Et même, qui sait… ce soir, à la rigueur.

Blaireau tomba sur une chaise, non sans une nuance de découragement.

– Vous m’avouerez, monsieur Bluette, que celle-là!…

– Que diable! mon cher Blaireau, ayez de la patience. La loi est la loi. Pour être emprisonné, il n’est pas absolument nécessaire d’être coupable, mais, d’un autre côté, pour être mis en liberté, il ne suffit pas toujours d’être innocent!

– Ce n’est pas que je regrette, au moins, remarqua poliment Blaireau, de rester quelques heures de plus chez vous…

– Vous êtes trop aimable, Blaireau.

– Mais quelle drôle d’idée il a eu de se dénoncer ce professeur!

– En effet.

– Ça allait si bien!

– Enfin, mon ami, rassurez-vous. On finira par vous remettre en liberté tout de même.

– Non, mais je l’espère bien, par exemple!

Ils se mirent à rire tous les deux, de concert, et sans aucun souci de la distance sociale qui les séparait.

Blaireau eut tout à coup une idée pratique:

– Est-ce que je ne pourrais point demander une petite indemnité?

– Je ne vous le conseille pas, répondit Bluette.

Un quidam entra.

– Quelqu’un qui demande à parler tout de suite à M. le directeur voici sa carte.

Bluette lut: André Guilloche, avocat. (Pour l’affaire Blaireau.)

– Hé! Hé! dit Bluette, voici un avocat qui a affaire à vous, Blaireau.

Celui-ci se méfiait instinctivement.

«Qu’est-ce que c’était encore que celui-là? Un avocat pour l’affaire Blaireau! Comment! condamné à trois mois de prison, pour un délit qu’il n’avait pas commis, aujourd’hui, il allait sortir, sa prison accomplie jusqu’au bout. Et voilà qu’on le gardait en prison! Et voilà qu’un avocat voulait lui parler! Qu’est-ce qui allait encore lui arriver…»

– Ah! malheur de malheur! s’écria-t-il. C’est ça qu’ils appellent la justice.

CHAPITRE XV

Dans lequel Blaireau voit poindre l’aurore – juste retour des choses d’ici-bas – d’une situation glorieuse pour lui.

Maître Guilloche, une grosse serviette sous le bras, entrait en coup de vent, tout heureux de la tournure que prenaient les choses.

– Mon cher Bluette, vous savez ce qui m’amène; je viens vous plier de me mettre en rapport, si toutefois les règlements intérieurs de la prison vous y autorisent, avec la malheureuse victime de cette sombre affaire.

Bluette éclata de lire.

– La malheureuse victime de cette sombre affaire, la voilà.

En entendant les paroles de l’avocat, Blaireau fut rassuré. Il n’était pas venu évidemment pour lui créer des ennuis, cet avocat, puisqu’il le plaignait, puisqu’il le traitait de malheureuse victime. Hé! hé! mais c’était peut-être une aubaine, au contraire, qui lui venait là… Il y avait peut-être un parti à tirer de la situation. En tout cas, il ne risquait rien d’exagérer les choses.

Aussi prit-il l’air le plus minable qu’il put pour répondre à maître Guilloche:

– Oui, monsieur l’avocat, c’est moi la pauvre malheureuse victime.

Et il ajouta en poussant un gros soupir: