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– Dites-moi, baron, Bluette est-il absent pour longtemps?

– Pour peu d’instants, je crois. Il s’occupe de donner quelques ordres, m’a-t-il dit.

– Alors, pas de temps à perdre; Blaireau, je vous apporte des habits.

– Des beaux habits?

– Des habits magnifiques.

– Ah! tant mieux! Il n’y a rien que j’aime tant comme les beaux habits! Si j’avais eu de la fortune, il n’y aurait jamais eu dans le pays personne d’aussi bien habillé que moi!

– Tenez, les voici, vos habits!

Guilloche extirpait de sa serviette un costume complet, dont la vue fit immédiatement pousser des cris d’horreur à M. de Hautpertuis et des clameurs d’indignation à Blaireau.

Un costume à décourager tout à la fois le crayon de Callot et la palette de Goya!

Des hardes sans forme, des guenilles sans couleur définissable, avec des trous, des accrocs, toute une hideuse et terne polychromie de raccommodages et de pièces.

D’abord suffoqué presque jusqu’à l’asphyxie, Blaireau, maintenant, croyait à une farce, à une excellente farce de son avocat.

– Vous en avez de bonnes, monsieur Guilloche!

– Allons, Blaireau! vite! nous n’avons pas de temps à perdre!

– Que je me mette ça sur le dos?

– Évidemment!

Alors, c’était sérieux! Blaireau ne comprenait plus:

– Vous vous moquez de moi, pas vrai?

– Je ne me moque pas de vous, Blaireau. C’est bien le costume que vous allez mettre pour votre sortie de prison.

– Vous appelez ça un costume, vous; eh bien, vous n’avez pas peur! Jamais je ne me montrerai dans la rue avec des loques comme ça sur le dos! Un innocent! De quoi que j’aurais l’air voyons!

– Mais si, mais si. Il y aura plus de cinq cents personnes à la porte de la prison attendant votre sortie… vous ferez un certain effet, je vous le garantis.

– Je n’ai pas de peine à le croire avec cette défroque-là. Non, je ne veux pas!

– Mais vous ne comprenez donc pas, grand enfant que vous êtes, que plus vous serez ignoblement vêtu, plus la pitié publique ira vers vous! Demandez plutôt à M. de Hautpertuis.

– C’est évident, appuya le baron.

– Alors, s’écria Blaireau, vous, monsieur le baron, vous consentiriez à vous habiller avec ça?

– Dans les circonstances habituelles de la vie, mon ami, non! Mais dans la situation actuelle, je n’hésiterais pas une seconde. Quand la foule vous apercevra, vous serez certainement acclamé!

– Et même porté en triomphe, appuya Guilloche. D’ailleurs, la manifestation est admirablement organisée. Ces messieurs du parti sont en train de répéter.

Cette assurance d’un triomphe prochain décida Blaireau.

– Allons, passez-moi vos fripes!

En un tour de main, il avait quitté ses propres vêtements et endossé les haillons sordides.

Un cri d’admiration échappa à Guilloche.

– Vrai, Blaireau, vous êtes superbe!

Le baron assura son monocle:

– Épatant, mon ami, très chic! Au fameux bal des haillons que donna la duchesse, cet hiver je ne me souviens pas avoir remarqué guenilles plus pittoresques.

– C’est égal, monsieur le baron, j’aimerais mieux un petit complet dans le genre du vôtre.

– Je vous donnerai l’adresse de mon tailleur.

– Quand j’aurai touché l’argent de la fête…

Un éclat de rire l’interrompit. C’était Bluette qui, tout à coup, apercevait cette mascarade:

– Qu’est-ce que c’est que ça? Mon pauvre Blaireau, comme vous voilà fichu!

– C’est moi, expliqua Guilloche, qui me suis permis d’apporter quelques effets à mon client, il n’avait rien de convenable à se mettre. Alors…

– Je ne vous cacherai pas, mon cher maître, que les règlements intérieurs de la prison ne m’autorisent pas à laisser affubler mes détenus de la sorte, même au moment du carnaval.

– J’ai pensé que, dans les circonstances présentes, je pouvais en quelque sorte…

Blaireau, maintenant, se trouve tout à fait chic, comme disait le baron, et l’idée de son prochain triomphe l’exalte au point de lui faire perdre sa réserve ordinaire.

Il est désormais dans la peau du bonhomme:

– Eh bien, il ne manquerait plus que ça, par exemple! s’écrie-t-il. Après avoir souffert ce que j’ai souffert, je n’aurais plus le droit de m’habiller comme je veux! Ça serait trop fort!

CHAPITRE XXI

Dans lequel le baron de Hautpertuis fait tout ce qu’il faut pour justifier le mot de la fin.

Quand Bluette mit, provisoirement d’ailleurs, un dernier baiser sur la nuque d’Alice, en lui disant: «Je serai tout à toi dans quelques minutes, en ce moment mon bureau est plein de monde», il commit la grande faute de ne point préciser les noms et qualités des encombrants.

il aurait, de la sorte, évité, non point un malheur car l’aventure tourna mieux qu’on n’aurait pu l’espérer, mais une complication dangereuse.

Au nom du baron de Hautpertuis, Alice ou, si vous aimez mieux, Delphine de Serquigny eût bondi, comme dans les mélodrames:

– Cet homme ici!

Le nom du baron n’avait jamais été prononcé entre Alice et Bluette. À quoi bon parler de ces choses-là?

Et quand Bluette, racontant au baron une partie de sa vie, citait sa mignonne Alice, M, de Hautpertuis était à cent lieues de croire que cette charmante femme constituait la même personne que sa bien-aimée Delphine, à lui.

Et voilà comme la vie ménage de ces surprises et de ces rencontres, beaucoup plus ingénieuses que celles qu’imaginent nos ténébreux dramaturges ou nos vaudevillistes les plus farces, comme dit le critique.

Restée seule, la joyeuse Alice s’ennuyait ferme, et comme l’oisiveté est mauvaise conseillère, notre jeune amie n’hésita pas à commettre un de ces actes que les censeurs les plus indulgents sont unanimes à traiter d’anti-administratifs.

Découvrant dans un magasin un lot de vêtements destinés aux détenus, elle en choisit un à sa mesure approximative et s’en affubla.

Autant pour se mettre à son aise (du coutil, c’est frais, l’été!) que pour causer une surprise à Bluette quand il la reverrait ainsi costumée.

Ajoutons que notre petite camarade était tout à fait gentille sous ce généralement hideux uniforme, tant il est vrai que la jeunesse et la grâce suffisent à embellir, non seulement tout ce qu’elles parent, mais encore tout ce dont elles se parent!

Après avoir dignement savouré cette pensée délicate et bien originale, rentrons au vif de l’action.

Comme il fait très chaud, Alice n’a rien trouvé de mieux que de pénétrer dans le plus frais cachot de la prison et de s’y installer et d’y lire les journaux de Paris que, précisément, le facteur vient d’apporter.

Elle est bien à son aise avec ce léger costume qu’elle ne craint point de salir; ses cheveux sont défaits et roulés dans une calotte de toile.

On la prendrait ainsi pour un pauvre petit jeune homme coupable sans doute, mais si gentil que le tribunal aurait bien dû l’acquitter.