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De la main gauche, alors, prenant son chapeau, notre ami le lustra au moyen de sa manche droite, beaucoup plus par instinct machinal, croyons-nous, qu’en vue d’étonner de son élégance les bourgeois de la ville.

Il allait sortir, quand un troisième personnage fit irruption dans la véranda:

– Bonjour, monsieur, je… vous salue!… Dites-moi, Placide, le facteur n’est pas encore venu?

– Pas encore, monsieur le baron.

Cependant Fléchard considérait attentivement le gentleman à monocle que Placide venait de saluer du titre de baron.

Mais non, il ne se trompait pas. C’était bien lui, le baron de Hautpertuis!

– Monsieur le baron de Hautpertuis, j’ai bien l’honneur de vous saluer!

Le baron (décidément c’est un baron) ajusta son monocle, un gros monocle, pour gens myopissimes, fixa son interlocuteur puis soudain joyeux:

– Comment, vous ici, mon bon Fléchard! Du diable si je m’attendais à vous rencontrer dans ce pays!

– Je suis une épave, monsieur le baron, et vous savez que les épaves ne choisissent pas leurs séjours.

– C’est juste… les épaves ne choisissent pas leurs séjours, c’est fort juste. Mais, dites-moi, il y a donc quelqu’un chez les Chaville qui apprend le hollandais?

– Le hollandais! fit Fléchard en souriant. Pourquoi le hollandais?…

– Mais il me semble, poursuivit le baron, que quand j’ai eu l’avantage de vous connaître…

Fléchard se frappa le front et s’écria:

– Par ma foi, monsieur le baron, je n’y pensais plus… Cet épisode de mon existence m’était complètement sorti de la mémoire… En effet, en effet, je me rappelle maintenant à merveille. Quand j’eus l’honneur de faire votre connaissance, j’enseignais le hollandais à une demoiselle…

– À la belle Catherine d’Arpajon. Quelle jolie fille! Ah! la mâtine!… À ce propos, Fléchard, dites-moi donc quelle étrange idée avait eue Catherine d’apprendre le hollandais? Le hollandais n’est pas une de ces langues qu’on apprend sans motif grave.

– C’est toute une histoire, monsieur le baron, et que je puis vous conter maintenant sans indiscrétion. Catherine d’Arpajon avait fait connaissance, aux courses d’Auteuil, d’un riche planteur fort généreux, mais qui ne savait pas un mot de français.

«En quittant Paris, cet étranger grâce à son interprète, dit à Catherine: «Ma chère enfant, quand vous saurez la langue de mon pays, venez-y (dans le pays), vous serez reçue comme une reine.» Et il lui laissa son adresse. Peu de temps après, j’appris que Catherine d’Arpajon cherchait un professeur de hollandais.

– Vous vous présentâtes?

– Quoique bachelier, ajouta M. Fléchard avec amertume, je me trouvais alors sans position; je me présentai.

– Vous savez donc le hollandais?

– Ce fut pour moi l’occasion d’en apprendre quelques bribes.

– Et cette bonne Catherine, qu’est-elle devenue?

– Je ne l’ai jamais revue depuis. J’ai su seulement que la pauvre petite s’était trompée de langue. Ce n’est pas le hollandais que parlait le planteur mais le danois (Au lecteur peu versé dans l’art de la géographie, apprenons qu’une des Antilles: l’île Saint-Thomas, est possession danoise; le planteur en question appartenait, sans doute, à cette colonie.).

– Et qu’est-ce que vous faites maintenant, mon vieux Fléchard?

– Actuellement, je suis professeur de gymnastique.

– De gymnastique?

Rajustant son monocle, le baron de Hautpertuis s’abîma dans la contemplation des formes plutôt grêles de Jules.

– Oui, monsieur le baron, de gymnastique! Oh! je m’attendais bien à vous voir un peu étonné.

– J’avoue que votre extérieur ne semble pas vous désigner spécialement à cette branche de l’éducation. Comment diable avez-vous eu l’idée?…

– Oh! mon Dieu, c’est bien simple. À la suite de déboires de toutes sortes, j’étais devenu neurasthénique.

– Comment dites-vous cela?

– Neurasthénique, monsieur le baron. Les médecins me conseillèrent de faire de la gymnastique, beaucoup de gymnastique, rien que de la gymnastique. Une deux, une deux, une deux…

– Excellent, en effet, la gymnastique!

– Excellent, oui, mais voilà! Mes modestes ressources ne me permettant pas de me livrer exclusivement à ce sport, j’eus l’ingénieuse idée d’en vivre en l’enseignant… et je m’établis professeur de gymnastique.

– Ce n’est pas là une sotte combinaison, mais avez-vous réussi au moins?

– À Paris, non, trop de concurrence. Alors je suis venu ici, à Montpaillard.

– Est-ce que votre aspect, un peu… chétif, ne vous fait pas de tort auprès de votre clientèle?

– Pourquoi cela, monsieur le baron? Aucunement. Il n’est pas nécessaire pour être un bon professeur de gymnastique d’être personnellement un athlète, de même qu’on peut enseigner admirablement la comptabilité, sans être pour cela un grand négociant.

– Votre raisonnement est des plus justes, mon cher Fléchard.

– D’ailleurs, afin d’éviter le surmenage, le terrible surmenage, je recrute principalement mes élèves parmi les dames et les demoiselles. Quelques-unes sont devenues très fortes et même plus fortes que moi, ce qui, entre nous, ne constitue pas un record imbattable. Ainsi Mlle Arabella… Avez-vous vu Mlle Arabella au trapèze?

– Je l’ai aperçue, mais sans y prêter une grande attention.

– Vous avez eu tort, monsieur le baron. Mlle Arabella au trapèze, c’est l’incarnation de la Force et de la Grâce.

– Vous faites bien de me prévenir. La prochaine fois, je regarderai.

– Le spectacle en vaut la peine.

Et Fléchard répéta avec une sorte d’exaltation:

– Oui, monsieur le baron, l’incarnation de la Force et de la Grâce.

– Oh! Fléchard! sourit le baron. Quelle chaleur! Seriez-vous amoureux de votre élève, comme dans les romans?

– Vous plaisantez, monsieur le baron. Amoureux de Mlle Arabella de Chaville, moi, un humble professeur de gymnastique?

À la main un plateau chargé de lettres, Placide entrait:

– Le courrier de monsieur le baron!

– Vous permettez, mon cher Fléchard?

– Je vous en prie, monsieur le baron. D’ailleurs, je m’en vais.

– Sans adieu, Fléchard.

– Tous mes respects, monsieur le baron.

– Monsieur Fléchard, ajouta Placide, Mlle Arabella vous prie de repasser sur le coup de cinq heures pour sa leçon de gymnastique.

– Ah! exulta le pauvre garçon.

CHAPITRE II

Dans lequel le lecteur continuera à se créer de brillantes relations, notamment dans la famille de Chaville et chez quelques-uns de leurs invités.

Il fallait positivement avoir le diable au corps pour faire du tennis à cette heure de la journée et par une température pareille.

Heureusement qu’à la campagne et même dans beaucoup de petites villes départementales, les autochtones jouissent d’une endurance fort supérieure à celle de nos Parisiens.