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– Il n’est pas intelligent et je l’en félicite, il est mieux qu’intelligent, il est discipliné.

– Tous mes compliments! Cela suffit pour la mission que nous allons lui confier… Garde champêtre!

– Monsieur le baron?

– Apportez la plus grande attention à ce que je vais vous dire.

– Oui, monsieur le baron.

– Vous vous tiendrez à ce bureau, près de cette grille. vous ferez payer cinq francs à toutes les personnes qui entreront, sauf, bien entendu, à celles qui apportent leur concours à la fête, dames vendeuses, musiciens, jeunes gens du cirque, etc.

«Avez-vous bien compris, mon ami?

– Parfaitement, monsieur le baron, j’ai bien compris.

– Répétez-moi votre consigne.

– Faites payer cent sous à tout le monde, excepté à ceux qui apportent leur concours.

– Parfaitement. Tenez-vous dès maintenant à votre poste, car voici qu’il est deux heures. La foule ne va pas tarder à se ruer.

Cependant la foule ne se rue pas.

Nul être payant ne s’est encore présenté au guichet et l’heure s’avance.

M. Dubenoît aurait énormément ri dans sa barbe, s’il avait eu une barbe, mais, par malheur, il était entièrement rasé.

Ah! voici quelques personnes!

C’est Maître Guilloche et sa famille.

Après un court échange de paroles avec le garde champêtre, tous ces gens pénètrent sans payer; Guilloche tient à s’en expliquer.

– Nous nous sommes permis, mon cher Blaireau, ma famille et moi, d’entrer à votre fête sans payer…

– Mais vous avez bien fait, monsieur Guilloche, vous avez bien fait!… Comment me trouvez-vous?

– Splendide, Blaireau, splendide! Décidément, vous étiez fait pour porter l’habit noir.

– J’t’écoute! Ça me va mieux que les cochonneries que vous m’aviez mises sur le dos l’autre jour hein, farceur!

Depuis sa sortie de prison, Blaireau est devenu extraordinairement familier avec son avocat.

Il lui prodigue des tapes amicales, des appellations entachées de trivialité, il prend même des airs protecteurs qui finissent par agacer Guilloche.

Et puis, répétons-le, la popularité croissante de Blaireau n’est pas sans inquiéter un peu notre jeune ambitieux.

Blaireau député! Est-ce qu’on sait jamais, avec le suffrage universel?

CHAPITRE XXVIII

Dans lequel Blaireau fait preuve d’une grandeur d’âme peu commune et d’un oubli des injures tout à fait chrétien.

– Tiens, s’écria tout à coup Blaireau, un comptoir! Bonne idée, ça, d’avoir mis un comptoir dans la fête!

C’est le bar américain que Blaireau désignait sous le sobriquet un peu populaire de comptoir

– Justement, j’ai une soif!

Et s’approchant, il se fait servir une coupe de champagne dont le contenu disparut dans son gosier avec une remarquable prestesse.

– Ils sont bigrement petits, ces verres-là, mademoiselle.

– Buvez-en deux, alors, monsieur Blaireau!

– Je ne demande pas mieux.

– Après tout ce que vous avez souffert, monsieur Blaireau, vous avez bien droit à deux verres de champagne.

– Ah! oui, j’ai souffert! Bon Dieu de bon Dieu que j’ai souffert, ma petite demoiselle!

– Pauvre monsieur Blaireau!

– Voilà ce qu’on peut appeler une rude captivité!

Et Blaireau est de la meilleure foi du monde en soupirant profondément au souvenir de ses tortures imméritées: à force de l’avoir entendu répéter, à force de s’être vu plaindre par les âmes compatissantes, il croit, dur comme fer que c’est arrivé!

– Pauvre monsieur Blaireau! insista la charmante jeune fille du bar.

– Ah! oui, mademoiselle, vous pouvez bien le dire: pauvre monsieur Blaireau! On n’a pas idée de ce qu’on souffre en prison! voulez-vous trinquer avec moi, mademoiselle?

Élise (elle répondait au doux nom d’Élise) s’excusa gracieusement de ne pouvoir accepter l’invitation.

– Merci, monsieur Blaireau, mais je ne prends jamais rien, entre mes repas.

– Vous avez tort, mademoiselle, car d’ici longtemps peut-être, vous ne trouverez pas l’occasion de trinquer avec un martyr! Justement, voilà mon avocat!

– Maître Guilloche?

– Lui-même. Je ne sais pas ce qu’il a depuis quelques jours, il n’est plus le même avec moi. Hé, mon cher maître!

– C’est à moi que vous parlez? fit sèchement Guilloche.

– Bien sûr que c’est à vous! À qui voulez-vous que ce soit? Un verre avec moi, sans cérémonie?

– Impossible, vous le voyez, j’accompagne ces dames.

– Eh bien! mais ces dames ne sont pas de trop. Plus on est de fous, plus on rit!

Guilloche s’éloigna sans répondre.

Une de ces dames fit la remarque:

– Il n’est pas très distingué, votre protégé.

– Mon protégé? Dites plutôt mon protecteur, car il paraît que la candidature Blaireau fait des progrès énormes, à ce qu’on m’assure de toutes parts.

– Au détriment de la vôtre?

– Bien entendu.

– J’en suis enchantée, mon cher monsieur Guilloche. Cette mésaventure vous fera peut-être revenir au parti conservateur.

– Je ne dis pas le contraire.

– Ce grand parti conservateur sans lequel la France ne serait pas la France.

– Évidemment! Évidemment!

À quoi tiennent les convictions d’un avocat, pourtant!

Il est juste d’ajouter que la morale de certains magistrats est également bien flottante et comme un peu molle, oserai-je dire.

Témoin cet excellent président du tribunal de Montpaillard, M. Lerechigneux, qui précisément fait, à cet instant, son entrée dans la fête.

Blaireau l’a tout de suite aperçu.

Le cœur à la joie, cordialisé par les quelques verres de champagne qu’il venait d’avaler coup sur coup, Blaireau, la main grande ouverte, se précipita au-devant de M. Lerechigneux.

– Bonjour mon président, comment ça va?

– Monsieur…

– Je suis sûr que vous ne me reconnaissez pas.

– Votre figure, monsieur ne m’est point inconnue, mais je vous avoue que je ne me rappelle pas exactement dans quelles conditions et où j’ai eu l’honneur…

Blaireau éclata d’un bon gros rire.

– L’honneur! ah! ah! Elle est bonne celle-là!… L’honneur!

Le pauvre M. Lerechigneux, malgré des efforts désespérés, n’arrive pas à reconnaître ce monsieur en habit noir. «Quelque gentleman-farmer des environs», pense-t-il.

– Ça n’est pas pour vous faire un reproche, sourit Blaireau, mais vous êtes joliment plus aimable aujourd’hui, monsieur le président, que le jour où vous avez eu… l’honneur, comme vous dites, de me procurer trois mois de ce que vous savez.

Puis, s’inclinant, il se présente gravement.

– Monsieur Blaireau!

– Ah! parfaitement! C’est drôle, je ne vous reconnaissais pas. Comment allez-vous, monsieur Blaireau?