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Le visage de l’un peu mûre mais romanesque fille se couvrit d’une charmante rougeur.

– Écoutez, Jules, j’ai beaucoup réfléchi depuis quelques jours, je me suis interrogée longuement et (baissant la voix et rougissant plus fort) j’aime mieux maintenant que nous ne soyons plus séparés, mon ami.

Fléchard eut un tressaillement de joie:

– Arabella, vous êtes un ange! et il lui baisa la main.

– Et vous, Jules, vous êtes mon héros!

– Oui, Arabella, nous serons heureux… mais quand?

– Bientôt, Jules.

– Pas avant que je n’aie payé ma dette.

– Quelle dette?

– Ma dette à la société. Jusqu’à présent, je n’avais rien dû à la société, aujourd’hui nous sommes en compte.

– Qu’importe, j’ai comme un pressentiment que cette affaire s’arrangera.

M. Lerechigneux passait.

– N’est-ce pas, monsieur le président, que cette affaire s’arrangera?

– En principe, mademoiselle, toutes les affaires s’arrangent, mais dites-moi de quelle sorte d’affaire il s’agit en ce moment?

– Du cas de M. Fléchard, le coupable dans l’affaire Blaireau.

Blaireau avait entendu.

– L’affaire Blaireau! répéta-t-il comme un écho, et de plus en plus échauffé par le champagne. Ah! en voilà une qui peut se vanter d’en être une affaire, ça, l’affaire Blaireau! Mais l’affaire Fléchard, ça, ça n’est rien du tout. M. le président vous le dira comme moi: l’affaire Fléchard, ça n’est rien du tout!

«Ah! parlez-moi de l’affaire Blaireau.

– Blaireau a raison, confirma le président. M. Fléchard a droit à l’indulgence du tribunal. On a déjà fait trois mois de prison pour ce délit-là. (À Fléchard). Le tribunal vous en tiendra compte et je crois pouvoir vous affirmer qu’avec une légère amende…

– Une amende!

– Dans les seize francs…

– Oh! merci, monsieur le président, s’écria Arabella, vos paroles me mettent du baume dans le cœur!

Blaireau, qui décidément se sentait une vive sympathie pour Fléchard, proposa:

– Il y aurait quelque chose de bien plus simple, ce serait de l’acquitter Si on l’acquittait tout de suite, monsieur le président, en vidant un verre? Entendu, hein, nous acquittons Fléchard!

– Ici, mon cher ami, cela ne compterait pas, mais, je le répète, le tribunal sera indulgent, j’en réponds.

– D’autant plus, atténua Fléchard d’un air détaché, que la chose est insignifiante. Au Moyen Age on n’y aurait même pas fait attention. C’était le passe-temps favori des grands seigneurs de rosser les gardes champêtres; Colbert, Sully, Agrippa d’Aubigné ne s’amusaient pas autrement!

– Oh! protesta le président, Agrippa d’Aubigné!… je ne sais pas jusqu’à quel point Agrippa d’Aubigné…

– Mais oui, affirma Blaireau, Agrippa d’Aubigné comme les autres!… Mademoiselle, servez-nous quatre verres de champagne! Il y a longtemps qu’on n’a pas trinqué!

Et il ajouta tout joyeux:

– Agrippa d’Aubigné, je l’ai connu dans le temps. C’était un rude lapin!

CHAPITRE XXXI

Dans lequel M. le directeur de la prison de Montpaillard se montre toujours fidèle à son système d’employer les détenus à la profession qu’ils remplissaient avant leur arrestation.

Cependant Blaireau continuait à être le meilleur client du bar.

Il avait dit à la jeune fille qui servait de caissière:

– Marquez bien toutes mes consommations, mademoiselle, je vous réglerai ma petite note ce soir quand j’aurai touché mon profit.

Jusqu’à présent, le profit ne semblait pas prendre des allures de vertige, et, en dépit des: «Ça va bien, ça va bien», de notre optimiste baron, l’assistance persistait à être des plus clairsemées.

Blaireau mettait une extrême coquetterie à ne pas faire Suisse, comme on dit au régiment, c’est-à-dire à ne pas boire seul.

Chaque nouvel arrivant, il l’invitait.

– C’est bien le moins que ce soit ma tournée, aujourd’hui!

Mademoiselle et toi, mon vieux Fléchard, encore un petit verre de champagne.

– Je ne voudrais pas vous désobliger, monsieur Blaireau, dit Arabella, mais…

– C’est ça qui ne serait pas gentil de me désobliger après tout ce que j’ai souffert.

– Vous exagérez, monsieur Blaireau, vous n’avez pas tant souffert que vous le dites. Et puis, bien souvent, vous receviez des petites douceurs, du vin, des cigares, des confitures.

– C’est vrai… Comment diable savez-vous ça?

Embarrassée, elle balbutia:

– Je sais cela, parce que…

Fléchard vint au secours de son amie:

– Mademoiselle est la présidente d’une œuvre qui a pour but d’envoyer des secours à tous les innocents qui sont dans les prisons.

– Tiens, tiens, tiens! Je n’avais jamais entendu parler de cette organisation-là.

– C’est la Ligue pour réparer dans la mesure du possible les inconvénients des erreurs judiciaires.

– Elle doit avoir de l’occupation votre ligue! Mais, au fait, mademoiselle, comment saviez-vous que j’étais innocent?

– Ah, voilà! Notre ligue a sa police.

– Alors, toi, mon pauvre Fléchard, on ne t’enverra pas de cigares pendant ta rude captivité?

– Hélas, non! Moi, je suis un vrai malfaiteur!

– Ne te fais pas trop de bile, je vais te recommander à mon ancien patron. Il te soignera bien. Hé! monsieur Bluette, un petit mot, s’il vous plaît?… On ne reconnaît donc plus son ancien pensionnaire?

– Ma foi, je l’avoue, je ne vous reconnaissais pas. Peste! mon cher, comme vous voilà mis!

– C’est gentil, ça, d’être venu à ma fête.

– J’ai tenu à vous serrer la main: vous ayant connu à la peine, je suis enchanté de vous contempler à l’honneur. Je vous dirai même, mon cher Blaireau, que je me suis permis d’entrer sans payer.

– Vous avez joliment bien fait, monsieur Bluette!… Eh bien! il n’aurait plus manqué que cela… Est-ce que vous m’avez fait payer un sou, pendant tout le temps que je suis resté dans votre établissement?

– Jamais, en effet! De plus, deux de mes pensionnaires m’ont demandé une faveur que je n’ai pas cru devoir leur refuser. Ils sont ici qui m’attendent à l’entrée.

Le baron de Hautpertuis ne put se défendre d’une vague inquiétude.

– Vous avez amené deux de vos détenus ici, dans cette fête!

– Deux charmants garçons, baron, que Blaireau a connus chez moi, Feston et Durenfort.

– Oui, confirma Blaireau, deux bons gars et pas fiers.

– Vous voudrez bien, baron, leur prêter une de vos baraques pour leur permettre d’accomplir leurs curieux exercices.

– En quoi consistent ces exercices?

– L’un d’eux joue du trombone à coulisse, pendant que l’autre mange des lapins vivants.