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C’est par cette porte que sortait l’avocat, non sans employer les plus grandes précautions pour l’ouvrir et pour la refermer.

Une fois dehors, il resta un moment immobile sur le trottoir, comme s’il eût hésité sur la route à prendre. Il se dirigeait lentement vers la gare Saint-Lazare, quand un fiacre vint à passer. Il fit signe au cocher, qui retint son cheval et amena la voiture sur le bord de la chaussée.

– Rue du Faubourg-Montmartre, au coin de la rue de Provence, dit Noël en montant, et bon train!

À l’endroit indiqué, l’avocat descendit du fiacre et paya le cocher. Quand il le vit assez loin, il s’engagea dans la rue de Provence, et après une centaine de pas, sonna à la porte d’une des plus belles maisons de la rue.

Le cordon fut immédiatement tiré.

Lorsque Noël passa devant la loge, le portier lui adressa un salut respectueusement protecteur, amical en même temps: un de ces saluts que les portiers de Paris tiennent en réserve pour les locataires selon leur cœur, mortels généreux à la main toujours ouverte.

Arrivé au second étage, l’avocat s’arrêta, tira une clé de sa poche, et entra comme chez lui dans l’appartement du milieu.

Mais au grincement, bien léger pourtant, de la clé dans la serrure, une femme de chambre, assez jeune, assez jolie, à l’œil effronté, était accourue.

– Ah! monsieur! s’écria-t-elle.

Cette exclamation lui échappa juste assez haut pour pouvoir être entendue à l’extrémité de l’appartement et servir de signal au besoin. C’était comme si elle eût crié «Gare!» Noël ne sembla pas le remarquer.

– Madame est là? fit-il.

– Oui, monsieur! et bien en colère après monsieur. Dès ce matin, elle voulait envoyer chez monsieur. Ce tantôt elle parlait d’y aller elle-même. J’ai eu bien du mal à l’empêcher de désobéir aux ordres de monsieur.

– C’est bien, dit l’avocat.

– Madame est dans le fumoir, continua la femme de chambre, je lui prépare une tasse de thé; monsieur en prendra-t-il une?

– Oui, répondit Noël. Éclairez-moi, Charlotte.

Il traversa successivement une magnifique salle à manger, un splendide salon doré, style Louis XIV; et pénétra dans le fumoir.

C’était une pièce assez vaste dont le plafond était remarquablement élevé. On devait s’y croire à trois mille lieues de Paris, chez quelque opulent sujet du Fils du Ciel. Meubles, tapis, tentures, tableaux, tout venait bien évidemment en droite ligne de Hong-Kong ou de Shang-Hai.

Une riche étoffe de soie à personnages vivement enluminés habillait les murs et se drapait devant les portes. Tout l’empire du Milieu y défilait dans des paysages vermillon, mandarins pansus, entourés de leurs porte-lanternes; lettrés abrutis par l’opium, endormis sous des parasols; jeunes filles aux yeux retroussés, trébuchant sur leurs pieds serrés de bandelettes.

Le tapis, d’un tissu dont la fabrication est un secret pour l’Europe, était semé de fruits et de fleurs d’une perfection à tromper une abeille. Sur la soie, qui cachait le plafond, quelque grand artiste de Péking avait peint de fantastiques oiseaux ouvrant sur un fond d’azur leurs ailes de pourpre et d’or.

Des baguettes de laque, précieusement incrustées de nacre, retenaient les draperies et dessinaient les angles de l’appartement.

Deux bahuts bizarres occupaient entièrement un des côtés de la pièce. Des meubles aux formes capricieuses et incohérentes, des tables à dessus de porcelaine, des chiffonnières de bois précieux encombraient les moindres recoins.

Puis c’étaient des étagères achetées chez Lien-Tsi, le Tahan de Sou-Tchéou, la ville artistique; mille curiosités impossibles et coûteuses, depuis les bâtons d’ivoire qui remplacent nos fourchettes jusqu’aux tasses de porcelaine plus mince qu’une bulle de savon, miracles du règne de Kien-Loung.

Un divan très large et très bas, avec des piles de coussins recouverts en étoffe pareille à la tenture, régnait au fond du fumoir. Il n’y avait pas de fenêtre, mais bien une grande verrière comme celle des magasins, double et à panneaux mobiles. L’espace vide, d’un mètre environ, ménagé entre les glaces de l’intérieur et celles de l’extérieur, était rempli de fleurs les plus rares. La cheminée absente était remplacée par des bouches de chaleur adroitement dissimulées qui entretenaient dans le fumoir une température à faire éclore des vers à soie, véritablement en harmonie avec l’ameublement.

Quand Noël entra, une femme jeune encore était pelotonnée sur le divan et fumait une cigarette. En dépit de la chaleur tropicale, elle était enveloppée de grands châles de cachemire.

Elle était petite, mais seules les femmes petites peuvent réunir toutes les perfections. Les femmes dont la taille dépasse la moyenne doivent être des essais ou des erreurs de la nature. Si belles qu’elles pussent être, toujours elles pèchent par quelque endroit, comme l’œuvre d’un statuaire qui, même ayant du génie, aborderait pour la première fois la grande sculpture.

Elle était petite mais son cou, ses épaules et ses bras avaient des rondeurs exquises. Ses mains aux doigts retroussés, aux ongles roses, semblaient des bijoux précieusement caressés. Ses pieds, chaussés de bas de soie presque aussi épais qu’une toile d’araignée, étaient une merveille. Ils rappelaient non le pied par trop fabuleux que Cendrillon fourrait dans une pantoufle de vair, mais le pied très réel, très célèbre et plus palpable dont une belle banquière aime à donner le modèle en marbre, en plâtre ou en bronze à ses nombreux admirateurs.

Elle n’était pas belle, ni même jolie; cependant sa physionomie était de celles qu’on n’oublie guère, et qui frappent du coup de foudre de Beyle. Son front était un peu haut et sa bouche trop grande, malgré la provocante fraîcheur des lèvres. Ses sourcils étaient comme dessinés à l’encre de Chine; seulement le pinceau avait trop appuyé et ils lui donnaient l’air dur lorsqu’elle oubliait de les surveiller. En revanche son teint uni avait une riche pâleur dorée, ses yeux noirs veloutés possédaient une énorme puissance magnétique, ses dents brillaient de la blancheur nacrée de la perle et ses cheveux, d’une prodigieuse opulence, étaient fins et noirs, ondés, avec des reflets bleuâtres.

En apercevant Noël, qui écartait la portière de soie, elle se souleva à demi, s’appuyant sur son coude.

– Enfin, vous voici, fit-elle d’une voix aigrelette, c’est fort heureux!

L’avocat avait été suffoqué par la température sénégalienne du fumoir.

– Quelle chaleur! dit-il; on étouffe ici!

– Vous trouvez? reprit la jeune femme; eh bien! moi je grelotte. Il est vrai que je suis très souffrante. Poser m’est insupportable, me prend sur les nerfs, et je vous attends depuis hier.

– Il m’a été impossible de venir, objecta Noël, impossible!

– Vous saviez cependant, continua la dame, qu’aujourd’hui est mon jour d’échéance et que j’avais beaucoup à payer. Les fournisseurs sont venus, pas un sou à leur donner. On a présenté le billet du carrossier, pas d’argent. Ce vieux filou de Clergeot, auquel j’ai souscrit un effet de trois mille francs, m’a fait un tapage affreux. Comme c’est agréable!