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Noël baissa la tête comme un écolier que son professeur gronde le lundi parce qu’il n’a pas fait les devoirs du dimanche.

– Ce n’est qu’un jour de retard, murmura-t-il.

– Et ce n’est rien, n’est-ce pas? riposta la jeune femme. Un homme qui se respecte, mon cher, laisse protester sa signature s’il le faut, mais jamais celle de sa maîtresse. Pour qui donc voulez-vous que je passe? Ignorez-vous que je n’ai à attendre de considérations que de mon argent? Du jour où je ne paye plus, bonsoir…

– Ma chère Juliette, prononça doucement l’avocat…

Elle l’interrompit brusquement.

– Oui, c’est fort joli, poursuivit-elle, ma Juliette adorée, tant que vous êtes ici, c’est charmant, mais vous n’avez pas plus tôt tourné les talons qu’autant en emporte le vent. Savez-vous seulement, une fois dehors, s’il existe une Juliette?

– Comme vous êtes injuste! répondit Noël. N’êtes-vous pas sûre que je pense toujours à vous? ne vous l’ai-je pas prouvé des milliers de fois? Tenez, je vais vous le prouver encore à l’instant.

Il tira de sa poche le petit paquet qu’il avait pris dans son bureau, et, le développant, il montra un charmant écrin de velours.

– Voici, dit-il, le bracelet qui vous faisait tant d’envie il y a huit jours à l’étalage de Beaugran.

Mme Juliette, sans se lever, tendit la main pour prendre l’écrin, l’entrouvrit avec la plus nonchalante indifférence, y jeta un coup d’œil et dit seulement:

– Ah!

– Est-ce bien celui-ci? demanda Noël.

– Oui; mais il me semblait beaucoup plus joli chez le marchand.

Elle referma l’écrin et le jeta sur une petite table placée près d’elle.

– Je n’ai pas de chance ce soir, fit l’avocat avec dépit.

– Pourquoi cela?

– Je vois bien que ce bracelet ne vous plaît pas.

– Mais si, je le trouve charmant… d’ailleurs il me complète les deux douzaines. Ce fut au tour de Noël de dire:

– Ah!…

Et comme Juliette se taisait, il ajouta:

– S’il vous fait plaisir, il n’y paraît guère.

– Vous y voilà donc! s’écria la dame. Je ne vous semble pas assez enflammée de reconnaissance. Vous m’apportez un présent, et je dois immédiatement le payer comptant, remplir la maison de cris de joie et me jeter à vos genoux en vous appelant grand et magnifique seigneur.

Noël ne put retenir un geste d’impatience que Juliette remarqua fort bien et qui la ravit.

– Cela suffirait-il? continua-t-elle. Faut-il que j’appelle Charlotte pour lui faire admirer ce bracelet superbe, monument de votre générosité? Voulez-vous que je fasse monter le portier et descendre ma cuisinière pour leur dire combien je suis heureuse de posséder un amant si magnifique?

L’avocat haussait les épaules en philosophe que ne sauraient toucher les railleries d’un enfant.

– À quoi bon ces plaisanteries blessantes? dit-il. Si vous avez contre moi quelque grief sérieux, mieux vaut le dire simplement et sérieusement.

– Soit, soyons sérieux, répondit Juliette. Je vous dirai, cela étant, que mieux valait oublier ce bracelet et m’apporter hier soir ou ce matin les huit mille francs dont j’avais besoin.

– Je ne pouvais venir.

– Il fallait les envoyer; il y a encore des commissionnaires au coin des rues.

– Si je ne les ai ni apportés, ni envoyés, ma chère amie, c’est que je ne les avais pas. J’ai été obligé de beaucoup chercher avant de les trouver, et on me les avait promis pour demain seulement. Si je les ai ce soir, je le dois à un hasard sur lequel je ne comptais pas il y a une heure, et que j’ai saisi aux cheveux, au risque de me compromettre.

– Pauvre homme! fit Juliette d’un ton de pitié ironique. Vous osez me dire que vous êtes embarrassé pour trouver dix mille francs, vous!

– Oui, moi.

La jeune femme regarda son amant et partit d’un éclat de rire.

– Vous êtes superbe dans ce rôle de jeune homme pauvre, dit-elle.

– Ce n’est pas un rôle…

– Que vous dites, mon cher. Mais je vous vois venir. Cet aimable aveu est une préface. Demain, vous allez vous déclarer très gêné, et après-demain… C’est l’avarice qui vous travaille. Cette vertu vous manquait. Ne sentez-vous pas des remords de l’argent que vous m’avez donné?

– Malheureuse! murmura Noël révolté.

– Vrai, continua la dame, je vous plains, oh! mais considérablement. Amant infortuné! Si j’ouvrais une souscription pour vous? À votre place je me ferais inscrire au bureau de bienfaisance!

La patience échappa à Noël, en dépit de sa résolution de rester calme.

– Vous croyez rire? s’écria-t-il; eh bien! apprenez-le, Juliette, je suis ruiné et j’ai épuisé mes dernières ressources. J’en suis aux expédients!…

L’œil de la jeune femme brilla; elle regarda tendrement son amant.

– Oh! si c’était vrai, mon gros chat! dit-elle; si je pouvais te croire!

L’avocat reçut ce regard en plein dans le cœur. Il fut navré. Elle me croit, pensa-t-il, et elle est ravie. Elle me déteste.

Il se trompait. L’idée qu’un homme l’avait assez aimée pour se ruiner froidement avec elle, sans jamais laisser échapper un reproche, transportait cette fille. Elle se sentait près d’aimer, déchu et sans le sou, celui qu’elle détestait riche et fier. Mais l’expression de ses yeux changea bien vite.

– Bête que je suis! s’écria-t-elle, j’allais pourtant donner là-dedans et m’attendrir! Avec cela que vous êtes bien un monsieur à lâcher votre monnaie à doigts écartés! À d’autres, mon cher! Tous les hommes aujourd’hui comptent comme des prêteurs sur gages. Il n’y a plus à se ruiner que de rares imbéciles, quelques moutards vaniteux, et de temps à autre un vieillard passionné. Or, vous êtes un gaillard très froid, très grave, très sérieux et surtout très fort.

– Pas avec vous, toujours, murmura Noël.

– Bast! laissez-moi donc tranquille, vous savez bien ce que vous faites. En guise de cœur vous avez un gros double zéro comme à Hombourg. Quand vous m’avez prise, vous vous êtes dit: je vais me payer de la passion pour tant. Et vous vous êtes tenu parole. C’est un placement comme un autre, dont on reçoit les intérêts en agrément. Vous êtes capable de toutes les folies du monde à raison de quatre mille francs par mois, prix fixe. S’il fallait vingt sous de plus, vous reprendriez bien vite votre cœur et votre chapeau pour les porter ailleurs, à côté, à la concurrence.

– C’est vrai, répondit froidement l’avocat, je sais compter, et cela m’est prodigieusement utile! Cela me sert à savoir au juste où et comment a passé ma fortune.

– Vous le savez, vraiment? ricana Juliette.

– Et je puis vous le dire, ma chère. D’abord vous avez été peu exigeante… mais l’appétit vient en mangeant. Vous avez voulu du luxe, vous l’avez eu; un mobilier splendide, vous l’avez; une maison montée, des toilettes extravagantes, je n’ai rien su refuser. Il vous a fallu une voiture, un cheval, j’ai répondu: soit. Et je ne parle pas de mille fantaisies. Je ne compte ni ce cabinet chinois ni les deux douzaines de bracelets. Ce total est de quatre cent mille francs.

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