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— Dites-nous, monsieur, qui est-ce, Fantômas?

Quoi répondre?

On avait compris à l’attitude de Fandor combien la question était faite pour le surprendre.

Mais de sa voix un peu sèche et cassante, M. de Loubersac donnait son opinion:

— Mon cher baron, déclara-t-il en s’adressant à M. de Naarboveck, ne trouvez-vous pas qu’on nous a suffisamment bernés depuis quelques années avec les histoires de Fantômas? Pour ma part, je n’y crois guère.

— Mais, monsieur, interrompit timidement Mlle Berthe, qui, toute rougissante, osait à peine lever les yeux sur le beau lieutenant de cuirassiers, mais monsieur, on a pourtant bien souvent parlé de Fantômas?

L’officier toisa la jeune femme d’un regard à peine esquissé, mais qui la troubla profondément, et Fandor qui suivait ce petit manège eut tout aussitôt l’impression fort nette que si le lieutenant ne prenait pas en grande considération la personnalité de la jolie Bobinette, celle-ci, par contre, semblait très impressionnée par tout ce que pouvait dire ou faire l’élégant officier.

Fandor, tandis qu’on discutait, ne pouvait s’empêcher aussi de remarquer l’air de tristesse de Mlle de Naarboveck.

C’était une gracieuse jeune fille dans toute la fraîcheur et l’éclat de ses vingt ans, avec des yeux immenses, aux reflets doux et clairs.

M. de Naarboveck expliqua:

— Wilhelmine a été fort émue par le terrible accident survenu à notre ami, le capitaine Brocq…

Et le baron allait sans doute fournir quelques explications complémentaires sur les relations qui existaient entre sa famille et le capitaine, lorsque la voix sarcastique du lieutenant de cuirassiers s’éleva de nouveau:

— Pour conclure, s’écriait l’officier, je prétends, moi, que Fantômas c’est une invention des bureaux de la Sûreté ou même tout simplement des journalistes. Et, concluait l’officier en regardant Fandor, comme s’il voulait le défier, et je puis en parler en connaissance de cause car, dans une certaine mesure, je connais un peu tout ce monde-là…

Fandor ne comprenait pas bien la dernière phrase du capitaine. Il fallut que cet excellent homme de baron de Naarboveck vînt lui murmurer à l’oreille:

— De Loubersac, vous savez, dépend du Deuxième Bureau au ministère de la Guerre: la statistique…

* * *

Jérôme Fandor traversa encore l’Esplanade des Invalides, mais cette fois il sortait de l’hôtel de Naarboveck et gagnait, à pied, le pont de la Concorde. Le journaliste méditait un petit tour par les boulevards avant de regagner son logis, où Mme Angélique serait bien étonnée de le trouver, quand elle viendrait faire le ménage et les derniers rangements.

* * *

Fandor venait de rentrer chez lui après avoir longuement flâné sur les boulevards.

Sur sa table, auprès de la valise bouclée, se trouvait l’Indicateur des Chemins de fer ouvert à la page des grands itinéraires Paris-Côte d’Azur.

Le journaliste interrogea la séduisante brochure, mais soudain cessant de regarder l’horaire des trains, il se jeta brusquement sur sa valise, en défit les courroies, déballa ses vêtements qu’il lança aux quatre coins de la pièce dans un grand geste de colère.

— Et puis, zut! s’écria-t-il, tout cela n’est pas clair! j’ai beau vouloir me persuader du contraire, ça n’est pas vrai; il y a du mystère dans cette histoire-là!

Ces officiers, d’une part, ce diplomate de l’autre, et puis surtout cette personne énigmatique, ni domestique, ni femme du monde, qui m’a tout l’air de jouer, sinon un double rôle, du moins un triple, peut-être un quadruple…, mon vieux Fandor il n’y a rien à faire pour s’en aller dans le Midi, faudra voir l’ami Juve et éclaircir ces aventures…

5 — NE RÊVEZ PAS TROP À FANTÔMAS

En habitué de la maison, Fandor qui avait ouvert la porte d’entrée de l’appartement de Juve avec le passe-partout qu’il possédait par faveur toute spéciale, traversait la pénombre du corridor et se dirigeait vers le cabinet de son ami. Il souleva la tenture, entrouvrit la porte. Juve était à son bureau:

— Ne vous dérangez pas, c’est moi, Fandor…

L’inspecteur de la Sûreté était à ce point absorbé par la lettre qu’il écrivait qu’il n’avait même point entendu le journaliste; au son de sa voix il tressaillit.

— Comment, c’est toi!.. je te croyais envolé depuis hier vers la Côte d’Azur?…

— J’espérais bien partir hier soir… en effet… seulement, vous savez, Juve, dans mon métier, comme dans le vôtre d’ailleurs, il est stupide de faire des projets…

— Et alors? fit-il…

— Et alors quoi? Juve…

— Et bien, mon cher Fandor, je te demande ce qui me vaut le plaisir de ta visite?

Mais Fandor semblait peu disposé à répondre.

Il venait de se débarrasser de son chapeau, de son paletot. Maintenant il tirait de sa poche un étui à cigarettes. Il choisissait un mince rouleau de tabac qu’il allumait soigneusement, semblant trouver un véritable délice aux premières bouffées qu’il rejetait vers le plafond.

— Il fait beau, Juve…

Le policier de plus en plus étonné considérait le journaliste avec une attention extrême:

— Ah çà! fit-il à la fin, qu’est-ce qui te prend, Fandor? Pourquoi me fais-tu cette tête-là? Pourquoi n’es-tu pas en voyage?… Sans être indiscret je suppose tout de même que tu as d’autres motifs d’être préoccupé que la pluie et le beau temps?

— Et vous, Juve?

— Comment, et moi?

— Juve, je vous demande pourquoi vous êtes bouleversé?

Le policier se croisa les bras:

— Ma parole, mais tu perds la tête, Fandor! demanda-t-il, tu trouves que je suis bouleversé?

— Juve, vous avez une figure de l’autre monde!

— Vraiment?

— Juve, vous ne vous êtes pas couché…

— Je ne me suis pas couché! à quoi le vois-tu?

Fandor s’approcha du bureau de travail et du doigt désigna sur le coin du meuble une série de cigarettes disposées les unes à côté des autres et qui n’avaient pas été complètement fumées.

— Ah çà, je ne doute pas, Juve, qu’on ne mette en ordre votre cabinet tous les matins; or, voici vingt-cinq bouts de cigarettes au moins, les uns à côté des autres… vous ne les avez certainement pas fumées dans cette seule matinée, par conséquent vous les avez allumées cette nuit, par conséquent encore vous ne vous êtes pas couché…

Juve goguenarda:

— Continue, petit, tu m’intéresses…

— Et enfin, ces bouts de vos cigarettes sont mâchés, mâchonnés, déchirés… signe indiscutable de grand énervement… donc…

— Donc, Fandor?

— Donc, Juve, je vous demande ce que vous avez?… voilà tout…

— J’étudie, dit Juve, une affaire qui m’intéresse…

— Grave?

— Peut-être…

— Voyons, dit Fandor, répondez-moi si vous le pouvez, Juve… je suis sûr, rien qu’à votre attitude, qu’il se passe des choses importantes, vous êtes très ému pour une raison que je ne soupçonne même pas? Puis-je vous être utile? Voulez-vous me confier votre secret?

— Me confies-tu le tien?

— Je vous le confierai dans trois minutes…

Juve, quelques minutes encore sembla réfléchir, puis enfin et la voix soudainement changée, devenue grave, sifflante, il avoua:

— Tu es au courant de la mort subite du capitaine Brocq?… Tu sais que j’ai découvert que c’est un assassinat?… c’est cette affaire qui m’occupe…