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Ah! elle n’était pas ordinaire, la tante Palmyre, avec son bagout intarissable!

Quant à ce qui était d’être cocotte, passe encore pour la nièce, mais la vieille! ça, c’était trop farce!..

— Oui, oui, poursuivit la bonne femme, fichez-vous de moi, maintenant! Heureusement que j’ai bon caractère…

Mais elle s’interrompait:

— C’est pas tout ça, mon vieux père Louis, où c’qu’est la carrée de Nichoune, que j’coure l’embrasser…

— Au rez-de-chaussée… fond du couloir…

Mais il lui barrait le chemin.

— Vous n’y pensez pas, à huit heures, réveiller Nichoune maintenant, elle en ferait une musique!

— Bah! s’écria la tante Palmyre, quand elle verra que c’est moi, cette chère enfant… Regardez plutôt je lui apporte des douceurs…

— Ma foi, pensa le père Louis, si Nichoune gueule, elles s’expliqueront!..

La tante Palmyre frappait à la porte à poings redoublés, mais aucune réponse ne venait de l’intérieur.

— C’qu’elle en a du sommeil!

— Dame! répliqua le père Louis, quand on se couche à quatre heures…

Toutefois, le silence persistant intriguait l’hôtelier.

Il chercha à voir par le trou de la serrure et, n’y parvenant pas, car celle-ci était bouchée par la clé, le plus simplement du monde il sortit une petite vrille de sa poche et perfora la porte…

La tante Palmyre, souriante, le regardait faire; elle cligna de l’œil et, poussant du coude le père Louis:

— Hein! mon gaillard, tu la connais! Faut croire qu’il y a des soirs où tu ne t’embêtes pas.

En homme exercé, l’hôtelier collait son œil à l’orifice qu’il venait de faire.

— Ah! nom de Dieu!..

— Quoi donc? interrogea la vieille femme alarmée. C’est-y que la chambre est vide?…

— Vide, répéta l’hôtelier, non, mais…

L’homme était devenu tout pâle, il fouilla dans sa poche, en tira un tournevis: en un tour de main, il avait détaché la serrure… il se précipita aussitôt dans la pièce, suivi de la tante Palmyre qui bientôt piailla à son tour:

— Ah! Seigneur, doux Jésus, qu’est-ce qu’elle a?…

Nichoune, étendue dans son lit, aurait paru dormir si deux détails étranges n’avaient aussitôt frappé les regards. Le visage de la jeune femme était violacé, et elle avait les deux bras en l’air affreusement blancs.

L’hôtelier et la vieille femme s’aperçurent que les bras de Nichoune étaient maintenus dans cette position verticale au moyen d’une ficelle assez forte, attachée aux poignets, qui était fixée au ciel-de-lit…

— Mais, s’écria l’hôtelier, elle est morte!

La tante Palmyre, qui, quelques instants auparavant, n’avait cessé de protester de sa sincère affection pour sa charmante nièce, ne paraissait pas autrement impressionnée. Elle jetait de rapides regards tout autour de la pièce, sans manifester d’émotion. Attitude qui ne dura qu’une seconde… Soudain, la vieille femme éclata en lamentations, poussa des cris perçants. Dieu! qu’elle était encombrante dans sa douleur. L’hôtelier effaré ne savait que faire. Avec de grands gestes, il imposa silence à la vieille:

— Taisez-vous! faites pas de bruit!.. bougez pas!.. surtout ne touchez à rien avant l’arrivée de la police…

— La police! geignait la tante Palmyre, mais c’est épouvantable!..

Toutefois, à peine l’hôtelier s’était-il retiré, que la vieille, avec une dextérité remarquable se mit à chercher dans les meubles en désordre et, maîtrisant une extrême surprise, prenait en hâte un certain nombre de papiers qu’elle enfouissait dans son corsage tout en jetant des regards inquiets du côté du couloir.

À peine eut-elle terminé que l’hôtelier revenait, accompagné d’un agent de police…

En vain le père Louis s’efforçait d’attirer le gardien de la paix jusque dans la pièce. L’agent ne voulait rien savoir.

— Que je vous dis, répétait-il de sa grosse voix, que ce n’est pas la peine que je considère ce cadavre… que M. le commissaire, il va arriver tout à l’heure et qu’il fera lui-même les constatations légales…

Dix minutes environ s’écoulèrent. Le magistrat annoncé se présenta, accompagné de son secrétaire, et procéda aussitôt à un interrogatoire sommaire de l’hôtelier. Mais il était impossible, en présence de la tante Palmyre, de faire le moindre travail sérieux. L’insupportable vieille ne comprenait rien aux questions, parlait à tort et à travers.

— Retirez-vous, madame, je vous entendrai tout à l’heure.

— Mais où faut-il que j’aille?

— Où vous voudrez, au diable, hurla le commissaire.

— Eh bien, c’est pas pour dire, rétorqua la vieille femme, tout commissaire que vous êtes, vous êtes rudement mal embouché…

Et la tante Palmyre ajouta:

— Dire que personne de vous n’y a pensé encore, j’m’en vas aller jusqu’au coin chercher des fleurs.

* * *

Il faut croire que les fleuristes étaient rares, car la vieille femme avait sans s’arrêter traversé toute la ville.

Elle était désormais devant la gare et, comme elle consultait l’horloge:

— Bigre! je n’ai que le temps, murmura-t-elle.

La mégère traversa la salle d’attente, fit poinçonner son billet, un coupon de retour, et accéda au quai au moment précis où un employé criait:

— Les voyageurs pour Paris, en voiture!..

La tante Palmyre s’installa dans un compartiment de seconde, réservé aux dames seules…

Un inspecteur contrôlait les billets à l’arrêt de Château-Thierry.

— Pardon, monsieur, fit-il en réveillant un voyageur qui s’était assoupi, mais vous êtes dans les dames seules!

L’homme se frotta les yeux.

— Je vous demande pardon, fit-il, je vais changer de place…, c’est une erreur…

Par le couloir, le voyageur gagna un autre compartiment, y transportant un ballot de vêtements enveloppé d’un châle multicolore…

Une heure après, le train de Châlons arrivait à Paris. Le gros voyageur regarda sa montre:

— Onze heures quarante-cinq, j’ai encore le temps.

Il sauta dans un taxi et dit au mécanicien:

— Rue Saint-Dominique, au ministère de la Guerre.

* * *

Peu après le départ inopiné du colonel Hofferman, Juve avait quitté le sous-secrétaire d’État, mais, au lieu de quitter le ministère il était monté au Deuxième Bureau de l’État-Major et s’était fait annoncer au commandant Dumoulin.

Bien que se connaissant fort peu, le commandant Dumoulin et Juve sympathisaient.

Juve était monté à tout hasard, espérant que peut-être il apprendrait du nouveau, mais le commandant Dumoulin ne savait rien ou ne voulait rien dire, et Juve, après une conversation banale, allait se retirer, lorsque la porte s’ouvrit.

Le colonel Hofferman entra.

Le colonel avait les yeux brillants, l’air radieux.

Le colonel, ayant aperçu Juve, le salua d’un sourire énigmatique.

— Ah! par exemple, monsieur, je ne m’attendais pas à vous retrouver ici… mais puisque vous y êtes, vous me saurez gré de vous donner des nouvelles!..

Juve ouvrait des yeux interrogateurs. Le colonel continua:

— J’ai rendu hommage à votre perspicacité tout à l’heure et je reconnais encore que vous avez fort bien pronostiqué en nous annonçant que le capitaine Brocq avait une maîtresse; malheureusement ce n’était pas du tout celle que vous croyez. Ce n’était pas non plus une femme du monde, tout au contraire…

— Avez-vous l’intention de me la faire connaître?

— Mais bien certainement, monsieur!.. Cette maîtresse, c’est une fille… une chanteuse de café-concert, une nommée Nichoune… de Châlons!