— Vous en avez la preuve?
Le colonel tendit au policier un paquet de lettres:
— Voici, dit-il, la correspondance que le capitaine adressait à cette fille. Un de mes collaborateurs vient de la saisir chez elle…
Juve considéra les documents:
— C’est curieux! observa-t-il à mi-voix, évidemment! coïncidence fâcheuse!.. mais pas une fois le nom de Nichoune ne figure dans ces lettres!..
— Il n’y figure aucun autre nom, observa le colonel… par conséquent, vu l’endroit où ces lettres ont été trouvées… nous devons conclure…
Juve questionna encore:
— Ces lettres n’étaient pas accompagnées d’enveloppes?
— Ma foi, non! s’écriait le colonel, mais qu’importe!
Juve hocha la tête:
— Bizarre! fit-il tout bas.
Puis, haussant la voix:
— Mon colonel, je suppose que votre… collaborateur, avant de s’emparer de ces lettres, a fait causer la personne qui les avait reçues… En a-t-il obtenu des renseignements?…
— Monsieur l’inspecteur, je vais vous étonner encore une fois: mon collaborateur n’a pas pu faire parler la personne en question, lorsqu’il est arrivé chez elle, il l’a trouvée morte.
— Morte! cria Juve.
— Comme je vous le dis…
— Eh bien!
— Un conseil, Juve, laissez-nous les affaires d’espionnage… et vous, pourchassez donc Fantômas. Il y a de quoi vous occuper.
11 — LA CAGOULE DE FANTÔMAS
Accoudé à la barre d’appui de sa fenêtre, Jérôme Fandor s’occupait, en apparence, à surveiller les allées et venues des passants qui remontaient lentement du centre de Paris.
Il fuma cigarette sur cigarette, pestant, jurant presque et ne quittant pas des yeux les trottoirs de la rue.
— Je me suis peut-être trompé? pensa encore le journaliste… pourtant, malgré tout, j’imagine que ce gamin de quatorze ans, quinze ans au maximum, ce pâle voyou qui m’a filé dans le métro, puis qui a pris le même tramway que moi, puis que j’ai retrouvé place de la Concorde, n’était pas là tout à fait par hasard. Sept heures et demie… je ne sais si l’autorité militaire respecte les prescriptions légales et peut effectuer une arrestation passé le coucher du soleil?…
N’avait-on pas ordonné de le surveiller, ne le faisait-on pas pister dans l’espoir de retrouver par lui le caporal Vinson, traître et bientôt déserteur?…
— Si le Deuxième Bureau, songeait Fandor, a décidé mon arrestation, il est bien évident que je n’arriverai pas à échapper… la police d’espionnage est merveilleusement organisée, s’il prend fantaisie aux officiers qui la dirigent de me considérer comme un complice de Vinson, ils me coffreront dans les vingt-quatre heures.
«J’agis comme un imbécile, pensa soudain Fandor, ce qu’il faut avant tout, c’est que je mette Juve au courant de ce qui se passe, et il demanda la communication téléphonique avec le policier.
Le policier était sorti, Fandor laissa un message pour lui.
— Dix heures du soir! peste! il ne faut plus que je perde de temps si je ne veux pas rater mon train…
Le caporal Vinson, en hâte, achevait de se vêtir. L’appartement de Fandor n’était pas des plus luxueux ni des plus vastes. Le militaire s’habillait dans la propre chambre du journaliste.
— Où diable est mon pantalon d’uniforme?
Le jeune homme bouleversa toute une pile de vêtements posée sur les rayons d’une armoire et finit par atteindre le pantalon qu’il devait revêtir pour arriver en tenue à sa nouvelle garnison. Il acheva de s’habiller en un tour de main.
Soudain, un violent coup de sonnette avait retenti…
Après quelques minutes, l’importun qui attendait à la porte de l’appartement sonna de nouveau.
Il fallait prendre un parti. Des gouttes de sueur perlaient au front du militaire.
Rapidement, le jeune soldat retira ses chaussures, pour ne pas faire de bruit, et, sur la pointe des pieds, il gagna le vestibule de l’appartement. Par le trou de la serrure, il regarda qui sonnait une quatrième fois.
Mais, à peine avait-il collé son œil à la porte, que le caporal Vinson parut complètement affolé…
Il étouffa un juron.
— Nom de Dieu! c’est ce que je craignais… Ce bonhomme-là, c’est l’agent du Deuxième Bureau… je le reconnais… pas de doute à conserver. J’ai été indiqué, on m’a vendu… qui, par exemple?… Ah! je suis frais!
Le caporal Vinson vit que le visiteur mettait la main à sa poche, choisissait une clé à son trousseau.
— Ça y est. Cet individu possède des passe-partout… Ah! une idée…
Au moment même où l’agent, qui venait sans doute pour l’arrêter, introduisait sa clé dans la serrure, le caporal Vinson, sautant en arrière, bondissait vers le cabinet de Jérôme Fandor. Il ferma à clé la porte à l’instant précis où l’agent pénétrait dans l’appartement…
— Halte, cria celui-ci en entendant Vinson…
Le caporal, en réponse, fermait à double tour…
— C’est enfantin, ce que vous faites, cria l’agent, j’ai des passe-partout. Rendez-vous donc…
Et, s’armant d’une nouvelle clé, il ouvrit la porte que Vinson venait de clore. Le caporal n’était plus dans la pièce… L’agent se précipita à une autre porte qui faisait communiquer le cabinet de travail avec la salle à manger.
Il l’ouvrit, pénétra dans cette nouvelle pièce: elle était encore vide.
— Allez toujours, cria l’agent, vous voyez bien que vos portes ne me résistent pas une seconde et que je vais finir par vous acculer au fond de l’appartement!..
Mais, en disant cela, l’agent ne prévoyait pas la manœuvre qu’avait imaginée le caporal Vinson…
Reculant de pièce en pièce, en effet, celui-ci n’avait eu d’autre but que d’attirer l’homme qui le poursuivait au bout de l’appartement. Dès que l’agent eut pénétré dans la salle à manger, le caporal Vinson bondit dans le corridor, traversa d’un saut le vestibule, ouvrit la porte de l’escalier, qu’il claqua derrière lui… Fallait-il descendre?
Il était évident que l’agent allait se précipiter sur ses traces. Une poursuite s’engagerait et, en voyant un soldat en uniforme, des passants se mêleraient à la chasse; fatalement Vinson serait pris…
— Rusons! pensa-t-il…
Et précipitamment, au lieu de descendre l’escalier, il le monta, gagnant l’étage supérieur, le troisième… Il n’était pas arrivé sur le palier qui dominait l’appartement de Fandor, que l’agent, à son tour, arrivait sur l’escalier et courait à la rampe, pour tâcher d’apercevoir Vinson, qu’il supposait en train de descendre, de s’enfuir dans la direction de la rue…
L’agent, ne voyant personne allait descendre lorsque quelqu’un, habitant la maison probablement, se mit en devoir de monter.
Très probablement, l’agent n’avait point le désir d’être reconnu, car, entendant que l’on venait à sa rencontre, il s’arrêta net de descendre… rebroussa chemin, traversa le palier où débouchait l’appartement de Fandor, et voulut gagner le troisième…
Cela ne faisait pas l’affaire du caporal Vinson!
— Bigre! pensa-t-il, s’il monte de la sorte, j’aurai beau reculer, il va me pincer au sixième…
Le caporal Vinson eut une idée de génie.
Tout en restant sur place, il marcha d’un pas pesant, imitant le bruit de quelqu’un qui descend…
Immédiatement, l’agent qui montait vers lui s’arrêta.
S’il ne tenait pas à être vu par le locataire qui montait, il n’avait pas non plus le désir d’être reconnu par la personne qui descendait, croyait-il.
Or, entre un locataire entrant et un locataire partant, l’homme qui poursuivait le caporal Vinson n’avait pas le choix des moyens.