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Fandor, déjà accoutumé à son nouveau rôle, salua, s’enfonça à grands pas dans l’obscurité.

Il parvint quelques instants après devant la grille du quartier Saint-Benoît.

— Le 257e? demanda-t-il au factionnaire.

— C’est ici, répondit l’homme qui montait une garde mélancolique. Allez voir le poste.

À l’entrée de Fandor le gradé se dressa en maugréant. C’était le sergent:

— Qu’est-ce que vous voulez?

Très militairement, Fandor articula:

— Caporal Vinson, arrive de Châlons, permutant du 213e

— Ah! parfaitement, murmura le sous-officier, j’vois ce que c’est… Attendez…

Tout en s’étirant, le chef de poste allait au fond de la pièce, leva le gaz mis en veilleuse et ouvrant un cahier, en tourna lentement les pages, les mouillant du doigt pour ne point en passer:

— Caporal Vinson?… caporal Vinson?… ânonna-t-il, mal réveillé.

Soudain il s’arrêta, appela:

— Planton!..

Un homme se présentait:

— Conduisez le caporal Vinson au bâtiment A, deuxième étage… Vous êtes affecté à la troisième du deux.

* * *

— Vous voilà arrivé, caporal, annonça le planton en s’adressant à Fandor.

Il lui désigna du doigt une vaste salle au fond d’un couloir.

La diane sonnait.

Déjà le planton s’était éclipsé et Fandor demeurait sur le pas de la porte de la chambre, n’osant pénétrer.

C’était désormais le plus dur de son rôle qui lui restait à jouer, Vinson l’avait mis en garde contre les mystères de la chambrée et ses traditions.

— Vraisemblablement, avait-il dit à Fandor, lorsque vous arriverez pour vous installer, vous ne trouverez rien du tout. Votre lit aura disparu. Or, en votre qualité de cabot, vous avez droit à un bas-flanc. Il faut l’exiger en «gueulant», les hommes feront d’abord semblant de ne pas comprendre, mais insistez de toutes vos forces, prenez d’autorité les premiers objets dont vous aurez besoin, à droite et à gauche, autour de vous, finalement votre installation se fera…

— Hum! s’était dit Fandor, je ne me vois pas très bien…

Fandor entra dans la chambrée.

* * *

Il faut croire que le faux caporal Vinson avait bien suivi les recommandations du vrai, car Fandor n’était pas arrivé depuis dix minutes que les hommes s’empressaient dans tous les sens, se bousculant, affairés, allant et venant, demandant à tous les échos:

— Ous’qu’est sa paillasse? retrouve-moi le polochon du caporal.

13 — JUVE SE DÉGUISE

Tandis que Jérôme Fandor faisait, ce lundi 21 novembre, son apprentissage de militaire à Verdun, un passant élégant et d’allure distinguée qui descendait la rue Solferino et se dirigeait vers la Seine était hélé par un mendiant.

— Pstt!.. avait fait le loqueteux…

Mais le passant ne s’était pas retourné.

— Monsieur, appela l’homme.

Comme l’élégant promeneur ne semblait pas s’apercevoir qu’on le suivait, l’homme, se rapprochant soudainement de lui, murmura dans sa barbe blanche, mais assez haut pour être entendu:

— Mon lieutenant, écoutez… Monsieur de Loubersac…

À ces derniers mots, impatienté, presque furieux, le jeune homme élégant se retourna, et considéra son interlocuteur.

L’officier se trouvait en présence de Vagualame.

— Je vous colle vingt-cinq louis d’amende, avez-vous perdu la tête pour m’interpeller dans la rue? êtes-vous devenu fou?…

— J’ai besoin de vous voir et de vous parler, dit le mendiant.

— Demain?

— Non, tout de suite, c’est urgent!..

— Qu’avez-vous donc?

— Un refroidissement… Il faut absolument que nous causions.

Le lieutenant de Loubersac regardait autour de lui, non sans une certaine anxiété. Comme s’il devinait la pensée de l’officier, Vagualame désigna du doigt le petit escalier raide, qui conduisait aux berges de la Seine:

— Descendons au bord de l’eau, dit-il, nous serons tranquilles…

L’officier acquiesça.

Personne à ce moment ne passait sur le quai, devant la Légion d’Honneur.

Tandis que l’officier allait le premier, Vagualame eut dans le regard un éclair de joie. Quiconque l’aurait regardé de près aurait vu que cet œil perçant, vif, n’était pas l’œil aux regards obliques qui caractérisait habituellement la physionomie de Vagualame…

C’est qu’en effet, le Vagualame qui venait de racoler sur le trottoir le lieutenant de Loubersac n’était pas le vrai Vagualame, mais le policier Juve.

Le très subtil inspecteur, au lendemain de la fameuse soirée qu’il avait passée dans l’appartement de Jérôme Fandor, allant de surprise en surprise, avait découvert que Vagualame, agent du Deuxième Bureau, était un personnage habilement camouflé et que ce personnage n’était autre que Fantômas.

Le plan du policier avait été décidé en un éclair: Interroger ou, pour mieux dire, faire parler l’officier qui entretenait les relations les plus suivies avec Vagualame, sans se douter le moins du monde de l’identité de son Vagualame d’hier encore.

Juve, toutefois, n’avait pas abordé le lieutenant de Loubersac sans inquiétude, car il ignorait si l’officier et son agent n’avaient pas de mot de passe.

Soudain, ce fut le lieutenant de Loubersac qui l’interrogea:

— Et l’affaire V…?

— L’affaire V…? peuh! elle va toujours… Pas grand-chose de neuf!..

— Notre caporal, ajouta-t-il, a dû regagner Verdun aujourd’hui…

Décidément, Juve était sur la bonne piste.

— Sa permission, poursuivit le lieutenant, expirait ce matin?…

Juve assura:

— Il est parti hier soir, j’en ai la preuve…

— Et vous avez du nouveau?

— Pas encore…

— Irez-vous à Verdun?

— Peut-être, lâchait Juve à tout hasard.

Mais il avait encore une inquiétude, l’officier changeant de sujet, venait de lui demander:

— Et alors, le document?

— Hum! grommela encore Juve…

En vérité, ça n’était pas le policier qui menait l’interrogatoire, mais bien l’attaché du Deuxième Bureau et le jeu commençait à devenir dangereux…

Heureusement que Loubersac aidait, par ses questions, les réponses:

— Je pense, déclara-t-il, que vous le recherchez toujours?

— Bien sûr, fit Juve.

— Vous le savez, c’est cinquante mille francs que je vous donne en échange…

— Hé! fit le faux Vagualame avec une moue comique, moins les vingt-cinq louis d’amende…

— Nous en reparlerons…

Puis il poursuivit:

— Les événements ont marché depuis la mort de la maîtresse du capitaine Brocq…

— Comment, elle est morte?

— Ah, ça, voyons, Vagualame, êtes-vous donc complètement idiot?…

— Mais pourquoi, mon lieutenant?

L’officier tapa du pied:

— Pas de lieutenant, vous dis-je, M. Henri… Henri tout court… comme vous voudrez… Vous ignorez donc l’affaire de Châlons? l’assassinat de la chanteuse Nichoune?…

— Mais non! déclara le faux Vagualame…

— Alors?…

— Alors, articula Juve qui venait d’avoir une idée, alors… non! j’aime mieux me taire!..

— Parlez…

— Non!