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— C’est toujours si long les projets avec l’administration française!..

— Ça, oui!..

Un petit silence pesa.

Fandor songeait, très intéressé, que, tout de même, il était bien possible que ce touriste fût…

— Ouf! fit le chauffeur en se relevant soudain. Il ne va plus y avoir qu’à rentrer cette enveloppe avec toute cette série de leviers, et si vous voulez bien encore me prêter votre aide?…

— Mais certainement…

— Oh, pas tout de suite… laissez-moi me reposer… j’ai les reins brisés d’être resté accroupi…

L’inconnu parcourut quelques pas sur la route et montrant encore à Fandor l’horizon:

— On a un joli point de vue ici… vous connaissez la région, caporal?

— Comme ça… pas trop mal…

— Alors vous allez pouvoir me donner quelques renseignements… Qu’est-ce que c’est là-bas cette grande cheminée?…

— C’est la cheminée de la fonderie de cloches…

— Ah oui, c’est vrai, j’ai entendu parler de cette usine… oh! mais ça a l’air tout près…

Fandor secouait la tête:

— Ça a l’air, remarquait-il… par la route il y a bien encore onze kilomètres…

— Tant que ça!.. À vol d’oiseau c’est à côté…

— Oui, ça semble…

Le chauffeur insistait:

— Mais combien, croyez-vous donc, caporal, qu’il peut y avoir d’ici là-bas en droite ligne? On doit vous apprendre au régiment à évaluer les distances?

Cette fois Fandor ne doutait plus. L’homme qui lui parlait était assurément l’espion qu’il cherchait à rencontrer. Qu’aurait signifié sans cela cette série de questions?

Et Fandor se rappelait encore que le caporal Vinson lui avait dit:

— Quand on a affaire à un nouveau chef espion, on est toujours certain que celui-ci vous fait passer une sorte de petit examen, histoire de se rendre compte de vos capacités…

Mais le jeune homme ne réfléchit qu’une minute; il répondit:

— À vol d’oiseau j’estime qu’il n’y a pas plus de quatre kilomètres, la route fait un long détour…

— Bien!.. bien!.. approuvait le chauffeur, vous ne devez pas vous tromper de beaucoup…

Il semblait à Fandor que ce touriste hésitait quelques secondes, comme sur le point de lui poser une question plus précise. Mais déjà il revenait vers l’automobile et appelant Fandor:

— Tenez, caporal, puisque vous êtes si obligeant, aidez-moi donc en tenant ce levier… Il y a longtemps que vous êtes en garnison à Verdun?

— Ma foi non, quelques jours seulement…

— Vous n’êtes pas trop ennuyé?

— Pourquoi donc?

— Je veux dire, la discipline n’est pas trop sévère?…

— Oh! répondit-il, moi je n’ai pas encore trop à me plaindre, j’ai assez facilement des permissions…

Mais le mystérieux touriste ne saisissait pas l’allusion, ou feignait de ne pas la comprendre:

— Et cela fait toujours plaisir! dit-il…, ah! le diable, pour les jeunes soldats dans les villes de garnison c’est, n’est-ce pas… que même les jours de permission ils ne savent comment se distraire?… Mais vous avez sans doute des relations, caporal?

— Hélas! non, monsieur…

— Eh bien, puisque vous êtes si obligeant, riposta le chauffeur, je me ferai un plaisir, si vous le voulez bien de vous présenter à des gens qui vous amuseront…

— Vous avez des amis, monsieur, à Verdun?

— Je connais quelques personnes..; et l’abbé qui m’accompagne aussi… tiens! une idée!.. monsieur le caporal, venez donc ce soir à sept heures me demander à l’imprimerie des Frères Noret. Ce sont de bons camarades, vous trouverez là des jeunes gens de votre âge avec qui vous sympathiserez sûrement et qui, je n’en doute pas, vous seront utiles…

— Vous êtes trop aimable, répondit-il, je ne voudrais pas…

— Du tout! du tout! c’est bien la moindre des choses que je vous propose… venez à sept heures… Encore merci, caporal, pour votre aide… Je ne vous offre pas de vous ramener à Verdun, ma voiture n’ayant que deux places, mais je vous répète… à ce soir.

— À ce soir.

Et pour lui seul, il monologuait:

— Pas de doute!.. voilà bien le chef espion de la région, mais du diable si je suis plus avancé maintenant qu’il y a une heure!..

* * *

À sept heures très précises, Fandor se présenta à l’imprimerie Noret, dont il avait relevé l’adresse dans un des annuaires de la ville.

Il sonna, fut introduit dans un salon d’attente, modestement décoré, ayant une vague allure de parloir de couvent. L’homme qui était venu lui ouvrir demandait:

— Qui dois-je annoncer à ces messieurs?

— Dites-leur que c’est le caporal Vinson…

Quelques minutes d’attente. Un grand jeune homme, mince, à barbe rousse, entra bientôt dans la pièce:

— Bonjour, caporal! nos amis communs m’ont annoncé votre visite… ils ne sont pas encore arrivés, mais il est bien inutile, j’imagine, que nous attendions pour faire connaissance, des présentations régulières?…

— Vous êtes trop aimable, monsieur, un modeste caporal comme moi est bien heureux de trouver dans une ville de garnison des camarades…

— Allons donc, laissons cela, je suis très content aussi de faire votre connaissance… tenez! en attendant nos amis… voulez-vous visiter les ateliers, vous verrez, c’est une visite intéressante… et utile…

Le plus naturellement du monde, l’imprimeur venait de faire entrer le journaliste dans de très vastes ateliers:

— Voici la rotative sur laquelle se tire Le Phare de Verdun, expliquait-il, vous pouvez vous rendre compte que c’est une rotative dernier modèle… vous connaissez le fonctionnement de ces machines?

— Du diable, pensa Fandor, si ce brave jeune homme s’imagine qu’il parle à un professionnel de l’imprimerie!

Mais Fandor dissimulait son dédain et s’extasiait:

— C’est admirable! déclarait-il, pour un ignorant comme moi en mécanique, c’est en tous points merveilleux… ah! je voudrais bien voir fonctionner une machine comme celle-là?

— C’est un désir facilement réalisable, déclarait-il; vous n’aurez qu’à vous présenter ici un prochain après-midi, je vous montrerai les ateliers en plein fonctionnement…

Et il entraîna le journaliste dans un autre coin de l’imprimerie:

— Vous connaissez les linotypes?

Fandor dut admirer de nouveau, bien qu’à la vérité, en homme du métier, il n’appréciait pas énormément les machines que son hôte lui soumettait.

— Pourquoi diable cette visite? songeait-il…

Fandor devait bientôt avoir le mot de l’énigme: L’imprimeur, en effet, l’entraîna vers une sorte de petite pièce dissimulée, presque un cabinet de débarras…

— Tenez, faisait-il, voici une presse qui, j’en suis sûr, vous plaira…

Et comme Fandor, assez intrigué, cette fois, considérait une housse grise, sous laquelle il devinait un bâti métallique, l’imprimeur interrogeait:

— Vous savez ce que c’est, caporal?

— Pas du tout…

— Une machine à faire des billets de banque…

— Hein?

L’exclamation de surprise avait échappé à Fandor… Ah ça, est-ce qu’en plus d’espionnage, ces gens-là s’occupaient aussi de fausse monnaie? Il reprit:

— Vraiment, vous fabriquez des billets de banque?…

— Vous allez voir… oh, bien entendu, des billets pour rire… mais enfin ils peuvent être utiles…

Une fois encore l’intonation faisait l’intérêt du mot! De faux billets de banque qui pouvaient être utiles?… Fandor décida d’éclaircir ce mystère: