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— Eh bien, lieutenant?

— Eh bien, mon colonel, je n’aime pas beaucoup cela, mais ce que j’aime moins encore, c’est qu’il y a quelques jours, j’ai eu l’occasion de voir Vagualame. Or, il a paru, au premier moment, vouloir nier qu’il avait été à Châlons.

— Oui… en effet… c’est assez symptomatique… Vagualame… mais dites-moi, lieutenant, comment saviez-vous que Nichoune avait reçu la visite de Vagualame?

— Depuis quelque temps, mon colonel, Vagualame était sous la surveillance de l’officier chargé de surveiller nos agents. Vagualame avait été pris en filature par le capitaine Loreuil, travesti en tante Palmyre, qui a découvert, le lendemain du jour de la visite de Vagualame, l’assassinat de Nichoune dont il avait eu le soupçon, trouvant que Vagualame avait à l’endroit de la jeune femme une attitude surprenante…

— Oui, dit le colonel Hofferman, tout cela est grave, mais enfin, il faudrait admettre que Vagualame a joué double jeu, qu’il ait été à la fois espion et traître? mais vous n’avez, somme toute, lieutenant, pour incriminer cet agent que nous connaissons depuis longtemps qu’un bien vague indice… l’espèce de réticence que vous avez cru qu’il mettait à reconnaître son voyage à Châlons?…

— En effet, mon colonel, si je n’avais que cela…

— Vous savez autre chose?

— Je sais, mon colonel, que j’avais donné rendez-vous hier à cet agent, au Jardin, comme d’habitude, que je l’y ai attendu… qu’il n’est pas venu…

Le colonel Hofferman reprenait le bras du lieutenant, et revenait vers les salons:

— On nous observe peut-être, fit-il. Je vous le répète: dans ces maudites fêtes, on ne sait jamais au juste qui vous voit et qui ne vous voit pas. Dites-moi, lieutenant, c’est infiniment grave ce que vous m’apprenez là… Si Vagualame était véritablement en fuite, c’est que Vagualame serait l’assassin de Nichoune, et dans ce cas, rien n’empêcherait de le soupçonner d’une infinité de choses que je n’ai pas besoin de vous préciser…

Le colonel Hofferman, en achevant ces mots, désignait à l’officier qui l’accompagnait un personnage qui se tenait à l’entrée de la grande salle:

— Passons de l’autre côté, dit-il, voilà M. Havard, je ne tiens pas du tout à me rencontrer avec lui… Lieutenant, toute affaire cessante, retrouvez-moi Vagualame dans les trois jours, sinon donnez un mandat au service des recherches… Je vous verrai demain à dix heures, au ministère…

Tandis que le colonel Hofferman s’entretenait avec le lieutenant de Loubersac, Jérôme Fandor, qui assistait — en Jérôme Fandor naturellement — au bal de l’Élysée, s’occupait de la même affaire.

Arrivé de bonne heure à l’Élysée, Fandor se disait que c’était bien le diable si, parmi les invités de la Présidence, il n’apercevait point quelque ami susceptible de lui fournir des renseignements intéressants sur l’opinion que se formait actuellement le Deuxième Bureau, quant au caporal Vinson… Fandor, qui se trouvait toujours à Verdun, n’était pas sans inquiétude sur la substitution de personne qu’il avait risquée. Se doutait-on de quelque chose au Deuxième Bureau?

Le jeune homme était depuis quelque temps à son poste d’observation, lorsque quelqu’un lui frappa familièrement sur l’épaule:

— Alors, Fandor, vous faites maintenant le compte rendu des fêtes officielles?

— Vous, Bonnet? ah! par exemple! s’exclamait le journaliste, quelle bonne surprise!

— Ce que je suis devenu, mon cher? hé! je viens d’être nommé juge d’instruction à Châlons…

— Vous êtes juge à Châlons? j’ai précisément des renseignements à demander au juge d’instruction de Châlons.

Et Jérôme Fandor, passant son bras à celui du juge d’instruction Bonnet, entraîna son ami à l’écart.

— Dites-moi, mon cher Bonnet, demanda Fandor lorsqu’ils furent arrivés dans une sorte de petit fumoir, dites-moi, n’est-ce pas vous qui vous êtes occupé de la mort d’une petite chanteuse, nommée…

— Nichoune? si parfaitement…

— Eh bien, vous allez me dire…

— Mon cher ami, je ne vous dirai pas grand-chose, pour la bonne raison que cette affaire est des plus mystérieuses et qu’elle me donne beaucoup de tintouin… Vous connaissiez Nichoune, Fandor?…

— Oui et non… mais je donnerais beaucoup, en revanche, pour connaître son assassin.

Bonnet sourit et, se croisant les bras plaisamment:

— Et moi donc!

— Vous n’avez pas une idée sur l’auteur possible de l’assassinat?

— Peuh! fit-il, une idée, si, à la rigueur… Cette chanteuse avait reçu la veille de sa mort, paraît-il, la visite d’un vieillard, un vieux mendiant que je n’arrive pas à identifier et qui a mystérieusement disparu… Je me demande si ça ne serait pas… en tout cas, c’est de ce côté que je vais chercher… Voulez-vous que je vous tienne au courant? C’est toujours rue Richer qu’il faut vous écrire?

— Vrai, dit-il, vous seriez tout à fait gentil, en effet, de m’écrire rue Richer dès que vous aurez du nouveau dans cette affaire. Je ne peux pas vous expliquer toute l’importance que j’y attache, mais elle est énorme…

— Eh bien, entendu… comptez sur moi! Vous venez faire un tour dans les salons, Fandor?

— Si vous voulez…

Soudain, Fandor quittait son ami:

— Mon cher, je vous dis au revoir, vous m’excusez? voici quelqu’un qu’il faut que j’interviewe…

Quelques minutes après, le journaliste abordait respectueusement un habit noir qui, solitaire, appuyé contre une porte, considérait, une moue de dédain aux lèvres, les couples tournoyant au milieu de la pièce…

— Je peux vous dire deux mots, monsieur Havard?

— Quatre si vous voulez, mon bon Fandor, je m’ennuie à mourir dans cette fête, et j’aime encore mieux subir vos questions de journaliste que de continuer à broyer du noir tout seul…

— Mon Dieu! monsieur Havard, vous broyez du noir? Quel est donc votre affreux chagrin?…

— Mon affreux chagrin, dit-il, n’exagérons pas, tout de même, je suis ennuyé… Oh! je n’ai pas de motif de vous taire le pourquoi de ma mélancolie… vous êtes assez intime avec Juve…

— Vous avez de ses nouvelles?

— Non, justement…

— Vous êtes inquiet, alors?

— Mais non, mais non, rassurez-vous… Tenez, puisque vous êtes si bien avec Juve, je voudrais vous charger d’une commission.

— Pour Juve?

— Oui, pour lui… Vous savez, Fandor, n’est-ce pas? c’est notre meilleur inspecteur… eh bien, il gâche sa carrière… il s’interdit tout avancement en s’obstinant toujours à chercher son insaisissable Fantômas…

— Je ne vous comprends pas, monsieur Havard?…

— Vous allez me comprendre… Savez-vous où est Juve en ce moment, Fandor?…

— Non! avouait le journaliste…

— Eh bien, moi non plus… et cela est inadmissible! Juve en prend trop à son aise. Il m’a affirmé l’autre jour qu’il était certain que la mort du capitaine Brocq devait être imputée à Fantômas et, clac!.. depuis ce temps-là je n’ai plus de ses nouvelles… Juve est à la poursuite de Fantômas!.. Voyons, Fandor, entre nous, puis-je tolérer cela?…

Assez embarrassé, le journaliste évitait de répondre.

— Si, cependant, fit-il, Juve avait raison?

— Raison!.. reprenait M. Havard, mais précisément, il se trompe. J’en ai la preuve.

— Vous en avez la preuve?… mais qui donc, d’après vous, a tué le capitaine Brocq?

M. Havard était de si mauvaise humeur que lui, l’homme rebelle aux interviews par excellence, il se laissa aller à renseigner Fandor.

— Mon cher, fit-il, pour un esprit logique qui raisonne de sang-froid, qui ne se perd point dans des hypothèses à la Fantômas, celui qui a tué Brocq est assurément celui qui a tué Nichoune… Brocq, j’imagine, a été assassiné par un individu quelconque, embusqué sur le haut de l’arc de Triomphe… un complice, pendant ce temps, a dérobé le document que recherche le ministère… Brocq connaissait le caporal Vinson… vous savez cela, Fandor?