— Rien à craindre. D’ici une heure je serai dans ta chambre avec toi.
— Comment entrerez-vous?
— Tu rentreras seule, ostensiblement, mais sitôt montée dans ta chambre, dont je connais la disposition, tu entrebâilleras la fenêtre. Je me charge du reste.
Arrivé à l’entrée du pont Alexandre, le véhicule s’arrêta.
Vagualame paya le chauffeur, cependant que, conformément aux conventions, Bobinette gagnait l’hôtel de Naarboveck.
Elle devait ensuite monter aussitôt dans sa chambre et prendre les dispositions voulues pour que Vagualame puisse y pénétrer ensuite à son tour.
Bobinette, en parvenant à son appartement ne put se défendre d’une émotion étrange.
Certes, elle était accoutumée aux audacieuses entreprises de ce Vagualame, dont elle avait souvent apprécié l’habileté, mais cette fois elle estimait que le chef avait trop d’aplomb, allait trop loin…
Cependant, Juve, en attendant l’heure fixée, errait sur le pont Alexandre, ne pouvant s’empêcher de penser avec une joie extrême:
— Cette fois, je tiens le bon bout. Me voilà enfin dans la place.
18 — AU NOM DE LA LOI
Le baron de Naarboveck et sa fille Wilhelmine, confortablement installés devant le feu de bois qui brûlait dans la cheminée de la bibliothèque, parlaient de la pluie et du beau temps.
Le diplomate éprouvait visiblement pour la jeune fille une affection un peu solennelle, mais sincère, tandis que Wilhelmine gardait une attitude éminemment respectueuse, mais qui ne se transformait en tendresse familière qu’au bout de quelques heures d’intimité.
On entra enfin dans le vif du sujet et Wilhelmine rougit en baissant les yeux, cependant que le baron de Naarboveck, avec une insistance taquine, la pressentait sur les sentiments réels qu’elle éprouvait à l’égard du lieutenant de Loubersac.
— Ma chère enfant, avait déclaré le baron, cet officier est plein d’avenir, il est charmant. C’est un parti qui te conviendra fort bien.
Soudain Wilhelmine pâlit:
— Je l’aime, dit-elle, il m’aime sans doute, mais quand il connaîtra le secret de ma vie…
Le baron de Naarboveck haussa les épaules:
— Ma chère enfant, fit-il, interrompant la blonde Wilhelmine, rien dans ce secret dont tu te fais un monstre ne vient entacher ton honneur ni ta responsabilité. Si j’ai cru jusqu’à présent devoir te présenter à nos relations comme étant ma…
Le baron de Naarboveck s’arrêta net, la porte de la bibliothèque s’était ouverte et le valet de pied annonçait:
— C’est une femme qui vient d’arriver avec son fils et désire voir Mademoiselle ou Monsieur. Elle dit comme ça qu’elle présente le nouveau palefrenier.
— J’avais, en effet, oublié de vous en prévenir, dit Wilhelmine, j’attendais ce soir le garçon d’écurie qui doit remplacer Charles.
Et, se tournant vers le valet de pied, demeuré impassible à l’entrée de la pièce:
— Priez donc, demanda-t-elle, Mlle Berthe de s’occuper de ces personnes.
— Mademoiselle m’excusera d’être venu la déranger, mais Mlle Berthe est absente et…
— C’est bien, interrompit Wilhelmine, je viens.
La mère et le fils s’inclinèrent respectueusement devant la jeune fille lorsque celle-ci parut. La garçon d’écurie avait bonne allure, et même paraissait plus distingué que ne le sont d’ordinaire les palefreniers.
Mlle Wilhelmine demanda, selon l’usage, à voir les certificats. La femme qui accompagnait le jeune homme les montra.
— C’est moi que je suis sa mère, avait-elle déclaré d’une voix forte et criarde…
— Oh! la vilaine tête, pensa Wilhelmine.
M. de Naarboveck, resté seul dans la bibliothèque, se promena quelques instants de long en large, puis ne voyant pas revenir Wilhelmine, et sentant le sommeil le gagner, il quitta la bibliothèque et suivit à petits pas la longue galerie qui bordait les salons de réceptions et dominait, par un balcon à jour, le hall du rez-de-chaussée.
Soudain, le baron s’arrêta, prêta l’oreille; il lui semblait entendre un bruit de voix. Le bruit s’affirma. M. de Naarboveck descendit.
Il se trouva, au rez-de-chaussée, en présence de deux personnages coiffés de chapeaux melon, et rigoureusement boutonnés dans des pardessus sombres. Leurs mains n’étaient point gantées, ils ne portaient ni canne, ni parapluie.
L’un d’eux tendit sa carte. Le baron lut:
Michel
Inspecteur de la Sûreté
— Veuillez me suivre, messieurs.
Posément, le baron de Naarboveck remonta le grand escalier, la main sur la superbe rampe de fer forgé, les deux policiers derrière lui.
M. de Naarboveck fit entrer ses visiteurs dans le fumoir:
— À quoi dois-je l’honneur de votre visite, messieurs?
L’inspecteur Michel prit la parole:
— Vous nous excuserez, monsieur, de nous présenter à pareille heure à votre domicile, mais, si nous avons enfreint les usages, c’est qu’il s’agit d’un cas exceptionnellement grave. Nous sommes depuis quelques jours porteurs d’un mandat d’amener, et nous allons, avec votre permission, procéder dans votre hôtel à une arrestation…
— Il faut, en effet, messieurs, que l’arrestation que vous méditez soit particulièrement importante pour que vous vous permettiez de vous introduire chez moi à pareille heure. Puis-je savoir ce dont il s’agit?
L’inspecteur Michel acquiesça d’un signe de la tête.
— Il n’y a aucun inconvénient à cela, monsieur, tout au contraire. L’individu que nous venons arrêter chez vous est un bandit inculpé de deux assassinats dont vous n’êtes pas sans avoir entendu parler: l’assassinat du capitaine Brocq et celui d’une chanteuse de café-concert appelée Nichoune… C’est un individu connu sous le nom de Vagualame que nous venons appréhender!
— Vagualame… balbutia le baron de Naarboveck d’une voix toute blanche.
Et si violent était son trouble, qu’il dut s’appuyer au coin de la cheminée…
— Nous étions en surveillance sur l’esplanade des Invalides, il y a une heure environ, effectuant une filature qui n’a aucun rapport avec l’affaire en question, lorsque, tout d’un coup, nous avons aperçu l’individu nommé Vagualame qui s’approchait de votre hôtel…
Le baron de Naarboveck leur coupa la parole:
— Vous avez vu Vagualame… s’écria-t-il avec l’air abasourdi d’un homme qui se trouve soudain en présence d’une bande de fous… mais c’est… c’est…
Toutefois, le diplomate semblait s’excuser de sa surprise.
L’inspecteur Michel affirmait:
— Cela est, monsieur!
Puis il continuait:
— Après avoir hésité quelques instants et s’être assuré que personne ne le suivait — nous venions de nous dissimuler derrière des arbres — Vagualame s’est introduit chez vous, monsieur, et d’une extraordinaire façon qui ne laisse aucun doute sur ses intentions sinistres. Il a grimpé au mur en s’aidant d’un tuyau de gouttière, et a pénétré dans l’hôtel par une fenêtre entrebâillée au troisième étage.
— Vous avez entendu, Bobinette?
Elle avait entendu et elle frémit. Puis réagissant:
— Vagualame, murmura-t-elle, il faut fuir…
— Pourquoi? interrogea le vieillard.
Bobinette eut un geste de désespoir et, s’élançant vers lui, le fixant les yeux dans les yeux:
— Mais ne comprenez-vous donc pas ce qui se passe? On a dû vous apercevoir, on vient ici…