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— Je parierais gros que mon prêtre ne dort pas du tout, malgré sa respiration régulière, je jurerais que c’est lui qui a trouvé le moyen d’accrocher cet écriteau, pour être certain que nous soyons dérangés tout le temps et qu’il ne puisse pas s’endormir…

Et devinant la ruse, Fandor fronçait les sourcils:

— Oh! mais!.. oh! mais ça commence à m’ennuyer, toutes ces aventures-là! que je sois seulement persuadé que mon bonhomme dort pour de bon et je crois bien que moi…

Jérôme Fandor s’occupa à se réciter Le Cid, pour être bien certain de se tenir éveillé…

21 — ENTENTE CORDIALE

— Faisons la paix? offrit Juve.

Le policier tendait sa main large et vigoureuse:

— Faisons la paix, franchement, sans arrière-pensée!

Le lieutenant de Loubersac était en face de l’inspecteur de la Sûreté. Sans hésiter l’officier accepta le pacte et serrant dans les siens les doigts de Juve:

— C’est entendu, monsieur, nous sommes bien d’accord.

L’inspecteur et l’officier se trouvaient sur la jetée du port de Dieppe. Il était trois heures de l’après-midi et par ce jour froid de décembre les flots au loin avaient un aspect sinistre. La tempête venait d’ouest et les rares bateaux de pêche qui s’étaient aventurés au large ralliaient avec la marée la direction du port.

Depuis qu’ils étaient arrivés à Dieppe, Juve et Henri de Loubersac s’étaient machinalement efforcés de s’éviter l’un l’autre, mais la topographie de la ville devait évidemment les ramener sans cesse au même point, car à peine s’étaient-ils tournés le dos avec des mines maussades et ennuyées, qu’ils se retrouvaient face à face…

* * *

La veille au soir, à la suite de son arrestation sous la forme de Vagualame, Juve avait été conduit au Dépôt par les inspecteurs de la Sûreté, ses collègues.

Mais aussitôt dans le taxi où il montait sous la surveillance de l’agent Michel et de son compagnon, Juve s’était fait reconnaître à la grande surprise des deux policiers qui, d’ailleurs, ne laissaient pas d’être fort ennuyés de cet incident au sujet duquel leur amour-propre aurait peut-être à souffrir.

Ils accueillaient sans enthousiasme le récit de Juve, car au fond, ils se sentaient profondément vexés, non seulement de ne pas avoir arrêté le coupable, qu’ils avaient mission d’appréhender, mais encore de n’avoir pas, sur-le-champ, découvert que l’individu grimé qu’ils entraînaient hors de l’hôtel de Naarboveck n’était autre que leur collègue.

Celui-ci, dès le début de l’étrange entretien qui avait lieu dans le taxi, pendant le court trajet qui séparait l’Esplanade des Invalides de la Préfecture de police, s’était douté, avec son flair habituel, que l’agent Michel et son collègue n’étaient pas en bonnes dispositions pour lui prêter, à lui Juve, leur appui bénévole.

Et Juve, ne voulant pas compromettre son plan de campagne, renonçant à son premier projet, avait décidé de ne point leur parler du caractère éminemment suspect de Bobinette, encore moins de la complicité de la jeune femme avec le véritable Vagualame, complicité que depuis quelques jours, surtout depuis le soir même, il avait catégoriquement établie.

Que pouvait-on faire de Juve une fois au Dépôt?

Force fut à Michel de lui enlever les menottes et de lui rendre sa liberté. Toutefois, Michel sollicita de son collègue la promesse formelle qu’il viendrait, dès le lendemain matin, mettre M. Havard au courant de ce qui s’était passé.

Juve avait promis.

Le lendemain matin, en effet, le policier, dès sept heures, était reçu par le Chef de la Sûreté. Il espérait n’être retenu que quelques minutes à peine et pouvoir s’en aller à la gare de l’Est attendre l’arrivée du caporal Vinson. Malheureusement, l’entretien fut long et le policier une fois rendu libre, renonça à son projet. Il était trop tard. Au surplus, Juve n’avait pas perdu son temps à la Préfecture, car un coup de téléphone venant du Deuxième Bureau de l’État-Major avait avisé la Sûreté que le caporal Vinson, arrivé à Paris, allait se rendre prochainement à Dieppe où un bateau de plaisance étranger prendrait possession d’une pièce d’artillerie dérobée et recueillerait vraisemblablement à son bord, par la même occasion, le caporal en question.

Juve, muni de ces renseignements qui coïncidaient avec ceux recueillis par lui la veille au soir, de la bouche même de Bobinette, qui complétaient en somme ceux de la jeune femme, décida qu’il importait au plus vite de gagner Dieppe et d’y effectuer une surveillance.

Juve avait pu prendre à la gare Saint-Lazare, le train dit «de marée», qui correspond avec le bateau d’une heure, à Dieppe, à destination de l’Angleterre.

Or, voici qu’installé dans son wagon de première classe, il avait reconnu, se promenant dans le couloir, un officier du Deuxième Bureau dont la silhouette lui était familière. Le lieutenant Henri de Loubersac… Le train s’ébranlait à peine que, dans le compartiment où Juve était seul, vint s’asseoir l’officier de cuirassiers. Lui aussi avait identifié le policier.

Or, Henri de Loubersac qui était au courant, depuis quelques heures, de l’arrestation du faux Vagualame, avait compris que c’était avec Juve qu’il s’était entretenu sur le quai près la rue de Solferino. Si dans l’intérêt de la Défense Nationale le mal n’était pas grand, l’officier du Deuxième Bureau était profondément mortifié de s’être ainsi laissé berner par un civil.

C’était là, pensait-il, des procédés que l’on n’employait pas, des procédés indignes d’un galant homme.

Dès le tunnel des Batignolles, les voyageurs commencèrent à discuter de cette délicate question, de Loubersac, très emporté, Juve imperturbable.

La discussion durait encore lorsqu’on entra en gare de Dieppe…

Les deux hommes n’ayant plus rien à se dire, semblait-il et ayant à peine effleuré le sujet des motifs qui les amenaient en même temps dans ce port de mer, s’étaient quittés, se saluant sèchement.

Puis ils avaient erré une heure, chacun de son côté.

Or, sans doute, ils avaient le même objectif, voulaient tous deux surveiller les abords des quais, car ils se trouvaient sans cesse l’un en face de l’autre, près des bassins, le long des jetées.

Cette situation aurait pu se prolonger indéfiniment, en dépit de son ridicule, mais Juve et de Loubersac étaient trop intelligents, trop sérieux et aussi trop pénétrés de leurs devoirs pour s’entêter et continuer d’agir séparément dans une affaire pour laquelle leur association eût été profitable.

C’est pourquoi Juve, à la quatrième rencontre fortuite avec l’officier, lui proposa la paix et l’officier l’accepta.

— En somme, reprit Juve, après l’échange cordial des poignées de mains, que cherchons-nous, vous et moi, ou pour mieux dire, vers quel but tendent à la fois le Deuxième Bureau et la Sûreté?

— Un document nous a été volé, nous voulons le retrouver…

Juve poursuivit:

— Deux crimes ont été commis, nous voulons atteindre l’assassin.

— Et, continua le lieutenant de Loubersac en souriant, comme il est vraisemblable que le meurtrier du capitaine Brocq et de la chanteuse Nichoune n’est autre que l’individu qui a dérobé le document…

— En unissant nos efforts, acheva Juve, nous avons toute chance de découvrir l’un et l’autre…

Cependant le policier, après une pause, interrogea:

— Toutefois, mon lieutenant, j’imagine, puisque vous vous trouvez ici, c’est qu’il y a dans cette affaire comme qui dirait un incident, en embranchement…

Et brûlant ses vaisseaux, le policier ajouta:

— En réalité, n’êtes-vous pas venu à Dieppe pour surprendre… un certain caporal qui doit livrer à l’étranger une pièce de la plus haute importance?