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De Loubersac ne tenta pas de ruser:

— C’est exact, je vois que vous êtes comme moi, au courant de l’affaire du «débouchoir»?

Juve hocha la tête.

Les deux hommes, lentement, étaient revenus vers la ville et longeaient les quais de l’avant-port.

Puis ils se rendirent près d’un bassin au milieu duquel était mouillé un joli petit yacht de plaisance battant pavillon hollandais.

Juve, avec attention, considéra cet élégant navire, et comme Henri de Loubersac lui demandait s’il avait un goût particulier pour le yachting, le policier sourit:

— Non! Néanmoins, lorsque ce yacht appareillera, j’aurai le plus grand plaisir à le visiter de fond en comble avec les douaniers, car, si mes renseignements sont exacts, ce bateau de plaisance voyage à d’autres fins que celles de distraire ses passagers. J’aime à croire, pour tout dire, que c’est dans ses flancs que bientôt le caporal Vinson viendra dissimuler le débouchoir volé, et aussi sa peu intéressante personne.

Henri de Loubersac acquiesça.

— Monsieur Juve, vous êtes parfaitement au courant.

Puis les deux hommes causèrent de l’affaire.

— Ah! dit Juve, quel dommage que le capitaine Loreuil et l’inspecteur Michel soient intervenus hier soir et m’aient arrêté prématurément, croyant s’emparer de Vagualame. Car désormais je ne pourrai plus employer le déguisement de ce bandit pour interroger en sécurité les divers membres de cette grande association d’espions que nous cherchons à découvrir…

— Mais, demanda le lieutenant de Loubersac, curieux de savoir le fond de la pensée du policier, encore qu’il n’aimât guère se remémorer les affaires de Vagualame dans lesquelles il avait été berné, qui vous empêchera de vous camoufler de nouveau en Vagualame?

— Mon cher monsieur, répliqua Juve, qui tout en parlant jetait de perpétuels regards inquisiteurs tout autour de lui, car il s’attendait d’un moment à l’autre à voir arriver le gibier qu’il chassait, mon cher monsieur, alors que personne ne savait que j’étais un faux Vagualame, je pouvais lui emprunter son aspect, mais désormais je suis brûlé. Non seulement brûlé dans l’entourage du coupable, mais — j’en ai aussi la persuasion — brûlé auprès du vrai Vagualame.

— Vous aurait-il donc vu?

— J’en mettrais ma main au feu!

— À quel moment? où cela? dans la rue?…

— Non pas, mon lieutenant, mais plus précisément, lors de mon arrestation…

— Vous étiez assez peu nombreux, d’après ce que j’ai entendu dire. Il faudrait donc que le vrai Vagualame se soit trouvé chez le baron de Naarboveck?…

— Hé, pourquoi pas?

— Qui donc soupçonnez-vous?

Juve ne répondit pas.

— Pour ma part, reprit le lieutenant, je serai assez disposé à croire que la demoiselle de compagnie, Mlle Berthe, dite Bobinette, a joué et joue un rôle incompréhensible…

— Vous le trouvez incompréhensible?

— Eh bien, dans ce cas, déclara l’officier, à votre place, je n’hésiterais pas à l’arrêter…

— Et puis?

— On s’expliquerait ensuite…

Juve considéra un instant le militaire, puis le prenant familièrement par le bras, abandonnant son poste d’observation derrière le wagon de marchandises, il se mit à marcher avec l’officier le long du quai.

— J’ai, commença Juve, en matière d’investigations policières et d’enquêtes du genre de celles auxquelles je me livre, une théorie tout à fait spéciale. Ce n’est pas celle de tout le monde, mais elle m’a réussi jusqu’à présent et je m’y tiens. Vous verrez la plupart de mes collègues, dès qu’ils ont un soupçon justifié sur quelqu’un, l’appréhender aussitôt, le mettre au secret, instruire son affaire et même au besoin le faire condamner. Procéder ainsi, cela permet d’obtenir évidemment des succès partiels. On s’illusionne à l’idée de victoires apparentes; on est dans la situation d’un médecin, qui soignerait des plaies superficielles et les guérirait provisoirement, mais négligerait l’état général du malade et laisserait subsister le germe de la maladie. Oui, j’aurais déjà pu arrêter Bobinette, comme nous allons probablement arrêter tout à l’heure le caporal Vinson, mais cela nous aurait-il donné la clé du mystère et n’avons-nous pas plus de chance de découvrir le grand chef de la bande, en laissant ses collaborateurs évoluer dans l’impunité provisoire?

Brusquement Juve s’interrompit: Un homme venait à leur rencontre; c’était un agent attaché au commissariat général de Dieppe:

— On demande, déclara ce dernier, M. Henri au téléphone…

De Loubersac se précipitait au poste de police et se trouva en communication avec le Ministère de la Guerre. L’un de ses collègues l’informait que le caporal fugitif, accompagné d’un prêtre, était arrivé depuis une heure environ en automobile, à un garage de Rouen.

Tandis que l’officier notait précieusement ce détail, Juve recevait au bureau de police un télégramme chiffré qui lui confirmait le renseignement, mais lui apprenait en outre que les étrangers, après s’être ravitaillés en essence et en huile, étaient repartis aussitôt…

Juve entraîna sur le quai le lieutenant de Loubersac:

— Soyons plus attentifs encore, déclara-t-il, nos gaillards ne vont pas tarder à arriver!

Depuis pas mal de temps déjà Henri de Loubersac, en dépit de ses préoccupations professionnelles, avait, sur les lèvres une question d’un ordre plus intime qu’il brûlait d’envie et redoutait tout à la fois de poser à Juve:

L’officier se souvenait que lors de son entretien sur la berge de la Seine avec le faux Vagualame, Juve avait nettement insinué que Wilhelmine de Naarboveck devait avoir été la maîtresse du capitaine Brocq.

L’officier alors avait protesté.

Mais désormais qu’il savait que le faux Vagualame n’était autre que l’inspecteur Juve, ce propos lui était revenu à l’esprit et le torturait singulièrement.

Enfin, de Loubersac posa la question au policier.

Celui-ci fronça le sourcil, parut embarrassé.

La jeune fille blonde qui habitait avec le baron de Naarboveck et passait aux yeux de tous pour sa fille, s’appelait-elle bien Wilhelmine de Naarboveck?

Mais valait il mieux ne rien dire? Non. Il valait mieux faire parler Wilhelmine, en provoquant le lieutenant, en le forçant à interroger celle-ci.

Aussi Juve n’hésita-t-il pas, en dépit du mal qu’il faisait à Henri de Loubersac, à lui dire, hypocritement:

— Il m’en coûte, monsieur, de vous répondre sur ce point, car je crois deviner que votre assiduité chez le diplomate de la rue Fabert tient à ce que vous rencontrez chez lui une délicieuse personne dont les charmes ne vous laissent pas insensible. Vous vous souvenez très bien de ce que vous a dit Vagualame, — le faux, — j’insiste sur cette qualité, lors de son entretien avec vous sur les berges de la Seine…

Vous êtes encore aujourd’hui en présence de ce même faux Vagualame… c’est moi, Juve… comme vous savez. Or, j’ai le regret de vous dire que, quelle que soit la forme extérieure que j’adopte, ma façon de penser, ma manière de voir les choses, ne varie que bien rarement…

L’officier avait compris, il pâlit. Ses lèvres se contractèrent. Il serra les poings.

Juve, satisfait du résultat obtenu, se répétait l’aphorisme célèbre de Basile: «Calomniez!.. calomniez!.. il en restera toujours quelque chose.» La nuit était tout à fait venue. Tandis que de Loubersac restait aux aguets, Juve retourna au poste de police.

Précisément comme il y arrivait, la sonnerie du téléphone se fit entendre. Appelé par le brigadier de service, Juve vint coller son oreille au récepteur. C’était le commissariat de Rouen qui téléphonait.