D’une voix faible, Vinson supplia:
— Je vous en prie, monsieur, faites qu’il ne monte personne avec nous, je serais tellement honteux d’être vu…
Cette requête prouvait que le traître avait encore un peu de pudeur et de bons sentiments. Touché, Juve lui répondit:
— Nous allons faire notre possible pour l’éviter.
Juve s’entendit, en effet, avec le chef de train, lui exposant rapidement les motifs pour lesquels ils désiraient être seuls.
L’employé, pour toute réponse, attachait à la portière du compartiment l’étiquette Réservé.
Le train ne tarda point à partir.
Vinson, désormais réveillé, — il avait trop de préoccupations pour céder au sommeil, — méditait sur son sort et sans doute songeait que cette seconde partie du voyage ne ressemblait aucunement à la première!
Le train s’arrêtait à une gare.
— Je meurs de soif, avait balbutié Vinson d’une voix à peine perceptible.
Quelques instants après, il remerciait Juve d’un signe de tête.
Le policier, à la plainte du caporal, avait répondu en envoyant son second chercher une bouteille d’eau.
Désaltéré, Vinson rassemblait peu à peu ses esprits, et Juve le voyant en meilleures dispositions, après l’avoir laissé quelque temps réfléchir en silence, commença à l’interroger, lui promettant de le traiter aussi bien que possible, s’il voulait parler en confiance, et l’assurant de l’indulgence des juges s’il consentait à dénoncer ses complices.
Vinson ne fut pas difficile à convaincre:
— Ah! murmura-t-il, monsieur, tandis que de grosses larmes coulaient le long de ses joues, maudit soit le jour où, pour la première fois, j’ai accepté d’entrer en relations avec la bande de criminels qui a fait de moi ce que je suis aujourd’hui, un coupable que l’on mène en prison.
Vinson, malgré sa fatigue, fit tout d’une traite à Juve, le récit de ses entraînements et de ses fautes, tel qu’il l’avait fait quelques semaines auparavant au journaliste Fandor. Toutefois, il tut ses relations avec le reporter de La Capitale, auquel il avait promis le secret absolu.
Juve, au surplus, était à cent lieues de soupçonner la substitution qui s’était faite à son insu…
Vinson affirmait ne rien savoir du «débouchoir».
Au surplus, il ne manquait pas de questions à poser au coupable.
Vinson ne connaissait pas Vagualame, Vagualame le vrai, et en l’interrogeant sur ce mystérieux personnage, peut-être Juve pourrait-il préciser la personnalité de l’insaisissable Fantômas qui, comme il l’avait déjà découvert, s’était longtemps dissimulé derrière la barbe blanche du joueur d’accordéon.
Vinson raconta bien des choses sur Vagualame, que Juve connaissait déjà. Néanmoins, un propos frappa son esprit:
— C’est égal, avait murmuré Vinson, si la police connaissait tout ce qui se passe dans l’hôtel de la rue Monge…
Juve s’était dit:
— Dès que j’aurai remis mon caporal entre les mains des geôliers militaires, je sais bien de quel côté je m’en irai fumer une cigarette.
26 — LE SECRET DE WILHELMINE
— Vous êtes seule, Wilhelmine?
La jeune fille, qui sortait de l’hôtel de la rue Fabert, eut une agréable surprise. Devant elle, au coin de la rue de l’Université, se dressait la sympathique silhouette du lieutenant de Loubersac.
Ce dernier, dont l’esprit était perpétuellement torturé, dont les inquiétudes augmentaient d’heure en heure, avait en effet décidé d’avoir ce jour-là, coûte que coûte, une explication définitive avec la jeune fille.
— Je suis seule, en effet, avait répondu la jeune fille, et même… plus que jamais…
— Votre père?
— Parti depuis ce matin. J’ai déjeuné sans lui…
— Et Mlle Berthe?
— Pas de nouvelles depuis quelques jours. Berthe semble avoir disparu.
L’officier n’ajouta rien. Machinalement, il régla son pas sur celui de la jeune fille. Après un silence, il demanda encore:
— Où comptez-vous aller, Wilhelmine?
Mlle de Naarboveck expliquait qu’elle avait des courses à faire, mais que celles-ci ne comportaient aucun caractère d’urgence.
— Voulez-vous que nous marchions un peu, tout en causant?
Machinalement, les jeunes gens avaient traversé l’esplanade des Invalides, remonté le boulevard Saint-Germain, qu’ils atteignaient en suivant la rue Saint-Dominique, puis ils avaient pris la rue Bonaparte, se disant que les jardins du Luxembourg pourraient leur offrir un lieu convenable et agréable pour l’explication suprême qu’ils avaient décidé d’avoir.
— Il y a, ma chère amie, dit le lieutenant, dans votre existence une série de mystères qui me préoccupent et m’inquiètent. Vous savez les sentiments que j’éprouve à votre égard, ils sont sincères et sérieux. Mon amour pour vous est profond, et je n’ai qu’un désir au monde, c’est d’unir ma destinée à la vôtre. Mais auparavant, nous avons certainement l’un et l’autre des choses à nous dire, des choses graves, peut-être des choses, en tout cas, qu’il est nécessaire que nous élucidions…
Wilhelmine décida de parler.
Les jeunes gens étaient à ce moment-là sur la place Saint-Sulpice, et soudain du ciel, qui s’était rembruni, tombèrent de larges gouttes d’eau.
— Entrons à l’église, dit-elle. Nous serons plus tranquilles et j’ai comme l’impression que mes paroles, sous les voûtes de ce saint lieu, auront à vos yeux un caractère de plus exacte vérité. C’est presque une confession…
Henri de Loubersac, ému par ce préambule, redoutait de plus en plus des révélations épouvantables. Il acquiesça sans mot dire. Le couple pénétra sous le porche.
Comme il faisait passer Wilhelmine devant lui, de Loubersac se retourna soudain, considéra curieusement un fiacre aux stores fermés qui venait de s’arrêter non loin du parvis.
— Qu’avez-vous?
— J’avais comme l’impression d’être suivi… que nous étions filés… Cela n’a pas grande importance, nous devons nous attendre, lorsqu’on appartient comme moi au service des renseignements…
— Oui, observa la jeune fille, vous aussi vous avez des secrets…
— Oh! fit l’officier, ne se méprenant pas sur la naïveté de cette insinuation, ils n’ont rien que de professionnel. Ma personnalité est nette. Ma vie peut se raconter au grand jour…
Ils étaient installés depuis quelque temps sur de modestes chaises, derrière un pilier et dans l’obscurité; à mi-voix, Wilhelmine parlait toujours.
Très franchement d’abord, elle avait dit à Henri de Loubersac qu’elle n’était pas la fille du baron de Naarboveck, qu’elle ne portait ni le nom du baron, ni le prénom de Wilhelmine, mais qu’elle s’appelait Thérèse Auvernois.
Ceci n’apprit rien à l’officier…
Wilhelmine, ou Thérèse Auvernois, lui raconta ses premières années passées dans un vieux château des bords de la Dordogne, en tête à tête avec sa grand-mère, la marquise de Langrune. Et puis, un sinistre jour de décembre, un malheur effroyable s’était abattu sur les deux pauvres femmes. La marquise de Langrune avait été mystérieusement assassinée par un jeune homme, fils d’un ami de la famille, et qui s’appelait Charles Rambert. On le croyait du moins. Orpheline dès lors, elle se vit protégée par le père, précisément, de celui qu’on supposait être le meurtrier de sa grand-mère, Etienne Rambert. Celui-ci avait recommandé la jeune fille à lady Beltham, dont le mari avait été lui-même, quelques mois auparavant, mystérieusement assassiné. Thérèse avait vécu alors chez cette lady. Mais quelques mois après, son protecteur, M. Étienne Rambert, disparaissait dans un naufrage. Wilhelmine partait en Angleterre avec lady Beltham pour habiter un château d’Écosse. Deux ans s’écoulèrent, paisibles, au cours desquels Thérèse avait fait la connaissance, chez cette mère d’adoption, d’un diplomate étranger, le baron de Naarboveck. Puis lady Beltham partit pour la France, et un jour, Thérèse devait apprendre que la malheureuse y était morte.