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«Passons en Bobinette sous les arcades, je verrai bien si le caporal Vinson est là, et si par hasard il n’est pas seul…»

Ils s’étaient rencontrés tous les deux sans deviner l’un et l’autre qui ils étaient: Fandor, le faux Vinson; Bobinette, le prêtre mystérieux… Et ils s’étaient retrouvés sans se reconnaître l’après-midi, chacun ayant repris, à la réflexion et ne jugeant plus la chose dangereuse, sa fausse personnalité.

Ce jour-là, Bobinette avait eu à Rouen une terrible surprise…

Le télégramme reçu au garage, télégramme qui avait tant intrigué le faux caporal Vinson et l’avait en quelque sorte décidé à fuir le lendemain du Carrefour Fleuri, était en effet envoyé à Bobinette par… Vagualame.

Comment Vagualame, qu’elle avait vu arrêter la veille, avait-il pu lui adresser cette dépêche?

Bobinette se l’était demandé, terrifiée, ignorant qu’il y avait deux Vagualame, un vrai et un faux, et que le faux seul était arrêté…

Dans cette dépêche rédigée en langage chiffré, en langage conventionnel, Vagualame, renseigné par une méticuleuse surveillance de l’Hôtel de l’Armée et de la Marine, l’avertissait d’avoir, coûte que coûte, et le plus rapidement possible, à se séparer du caporal Vinson, qui, lui, n’était pas le vrai caporal Vinson, mais bien un contre-espion…

Bobinette, ou plutôt le faux prêtre, lisant cela, avait pensé s’évanouir d’effroi. Elle n’avait plus eu dès lors qu’une seule idée: disparaître au plus vite.

Mais Vinson craignait que le faux ecclésiastique ne le livrât à l’autorité militaire. Pour parer au danger, il n’avait point voulu permettre à son compagnon de route d’aller coucher à la cure…

Force avait bien été à Bobinette de partager sa chambre avec Fandor-Vinson.

Si bien qu’au petit matin, alors que Fandor proposait de descendre pour préparer la voiture, Bobinette s’était hâtée d’accepter et, perdant la tête, littéralement affolée, s’était enfuie, à pied vers Rouen, tandis que Fandor s’échappait vers Motteville…

Ils laissaient l’un et l’autre dans la chambre le débouchoir qui, quelques heures plus tard, devait occasionner l’arrestation du mécanicien, arrestation qui d’ailleurs, Bobinette l’avait appris par les journaux, n’avait pas été maintenue…

Bobinette rencontrant au cours de sa fuite le lieutenant Henri, et de plus assistant à la gare Saint-Lazare à l’arrestation du faux caporal Vinson, arrestation qui l’ahurissait, avait définitivement compris que les choses se gâtaient pour elle…

Et c’est pourquoi elle avait écrit au baron qu’elle était souffrante. Sans ressources, Bobinette avait mis au Mont-de-Piété les quelques bijoux qu’elle possédait puis, subitement, avait reçu une nouvelle lettre signée «Vagualame».

Bobinette avait naturellement obéi aux instructions qu’on lui donnait dans cette lettre, plus inquiète de savoir Vagualame libre que de la façon dont il avait pu se procurer son adresse. Elle avait, en effet, eu maintes preuves de la puissance du bandit et n’ignorait pas que celui-ci ne perdait jamais de vue ceux dont il avait intérêt à suivre la piste… Quelques jours avant, s’ennuyant, désireuse aussi de s’assurer une protection qui pouvait, à un moment donné, lui être utile, elle avait écrit à son frère Geoffroy pour lui donner rendez-vous au Veau-qui-Pleure…, histoire de renouer connaissance.

* * *

— Mets-toi là… proposait Geoffroy-la-Barrique, faisant asseoir Bobinette à ses côtés.

Il ajoutait immédiatement:

— Qu’est-ce que lu prends?

Bobinette commanda une «consommation de dame», ainsi que le remarqua plaisamment le patron du Veau-qui-Pleure: un sirop de groseille. Puis le frère et la soeur s’interrogèrent sur ce qu’ils étaient devenus. Le brave Geoffroy, avec une naïve franchise, contait ses histoires embrouillées de places prises et abandonnées, de coups de poing donnés et reçus… Pour Bobinette, plus mystérieuse, elle se borna à affirmer à son frère qu’elle était heureuse et tranquille.

— Figure-toi, lui disait-elle, que je suis maintenant demoiselle de compagnie chez une vieille dame, une Russe qui, je crois bien, a eu dans le temps des ennuis avec la police de son pays…

— La police, interrompit le grand colosse; je n’aime pas beaucoup la police…

— Il vient beaucoup de monde chez elle! le suis de tous les dîners et de toutes les parties…

— Alors, tu vas payer la douloureuse, si tu es dans une situation prospère?

— Je vais payer, Geoffroy…

«Cette vieille dame, ma patronne, je crois bien qu’elle s’occupe de…

Mais soudain Bobinette s’interrompit, pâlissant à devenir blanche comme un linge…

Un homme venait d’entrer, un vieillard qui marchait à pas hésitants, le dos voûté sous le poids d’un accordéon…

29 — JE SUIS TROKOFF

— Tu connais ce bonhomme-là? Qu’est-ce qu’il te veut? S’il t’embête, tu sais que je suis un peu là pour le sortir?…

L’offre de son frère terrifiait la jeune femme.

Ah! ce serait vraiment du beau. Comme cela simplifierait la situation si Geoffroy-la-Barrique provoquait Vagualame et jetait le vieillard à la porte…

Il fallait à tout prix éviter une semblable complication. Bobinette, d’ailleurs, n’était venue voir Geoffroy-la-Barrique que pour se désennuyer. Elle n’avait pas grand-chose à lui dire, peu importait qu’elle abrégeât sa visite, d’autant qu’elle imaginait bien que Vagualame n’était point entré par hasard, qu’il avait à lui parler, qu’il fallait se mettre à sa disposition…

— Tiens-toi donc tranquille, Geoffroy, fit-elle, je ne connais pas ce bonhomme, et tu te trompes tout à fait si tu t’imagines qu’il m’embête… D’ailleurs, mon cher Geoffroy, je vais m’en aller…

— T’en aller? Qu’est-ce qui te prend, Bobinette?

— Il me prend que j’ai affaire ailleurs, et que maintenant que je te sais en bonne santé, Geoffroy, je continue ma promenade.

— Vrai, tu caltes déjà?

— Appelle le patron. Voilà un louis. Paye tes consommations et garde le reste…

C’était là un argument décisif qui calmait immédiatement le chagrin que Geoffroy-la-Barrique pouvait avoir du départ de sa sœur.

— Bon! je n’ai rien à dire, du moment que tu paies. Mais, tout de même, tu as des idées qui ne sont pas ordinaires…

Bobinette s’inquiéta peu de la remarque, et, rapidement, ayant serré la main de son frère, gagna la porte du Veau-qui-Pleure, tournant rue Monge, marchant à petits pas, bien persuadée que Vagualame allait la rejoindre. À cette heure avancée, la chaussée était entièrement déserte. Nul passant ne croisait la jeune femme qui, s’enfonçant dans l’obscurité de la voie silencieuse, évitait avec soin de traverser les taches de lumière que jetaient, de loin en loin, les devantures encore éclairées de bouges analogues au Veau-qui-Pleure. Il y avait déjà cinq minutes que la jeune femme marchait. Bobinette avait pris soin de ne point tourner la tête pour ne pas risquer d’éveiller l’attention d’un observateur, d’ailleurs problématique, lorsqu’elle sentit que quelqu’un qui pressait le pas et venait derrière elle allait la rejoindre. Une main sèche sur son épaule: Vagualame était aux côtés de sa complice. Le bandit ne perdit point de temps en formules de politesse:

— Cette espèce de géant, c’est ton frère?

Bobinette fit «oui» de la tête, puis elle demanda à son tour, la voix haletante:

— Vous êtes donc libre?